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Légende de la chanson tamazigh, Idir tire sa révérence

La chanson tamazight est orpheline. Une des ses icônes, le chanteur algérien Idir, s’est éteint samedi soir, 2 mai 2020, à Paris, à l’issue d’un long combat contre la maladie. Il laisse derrière lui un riche patrimoine, rehaussé par une chanson phare : ‘‘Avava Inova’’ (Mon Petit Papa).

Par Hassen Zenati

Idir, un des ambassadeurs les plus renommés de la chanson tamazight dans le monde, s’est éteint samedi soir à l’hôpital Bichat à Paris, à l’âge de 71 ans, des suites d’une fibrose pulmonaire, qu’il traînait depuis des années. Une rumeur sur sa mort avait couru en septembre 2019, vite démentie.

La triste nouvelle a été annoncée sobrement par sa famille sur sa page Facebook officielle : «Nous avons le regret de vous annoncer le décès de notre père (à tous), Idir, le samedi 2 mai à 21h30. Repose en paix papa».

Immédiatement, le président Abdelmadjid Tebboune a présenté ses condoléances à ses proches : «J’ai appris avec beaucoup de regret et de tristesse la nouvelle de la disparition de feu Hamid Cheriet, connu sous le nom artistique d’Idir, l’icône de l’art algérien, à la renommée internationale. Avec lui, l’Algérie perd une de ses pyramides», a écrit en pleine nuit, le chef de l’Etat sur son compte Twitter.

‘‘Avava Inova’’, sa chanson fétiche, change le cours de sa vie

De son vrai nom Hamid Cheriet, Idir était né le 25 octobre 1949 à Aït Lahcène, près de Tizi-Ouzou, chef lieue de la Grande-Kabylie. Fils de berger, il était bercé adolescent par les airs de son terroir, qu’il fredonnait en arpentant les chemins de randonnée du majestueux Djurdjura, où son père faisait ses «alpages».

Idir avait déjà le virus de la musique, lorsqu’il entame des études de géologie. Un passage impromptu en 1973 sur Radio Alger pour remplacer au pied levé la chanteuse Nouara, invitée à interpréter ‘‘Avava Inova’’, l’une de ses premières chansons en langue berbère, qui deviendra sa chanson fétiche, change le cours de sa vie.

La comptine racontant un dialogue d’une infinie tendresse entre un ermite réfugié au fond de la forêt et sa jeune visiteuse venue l’interroger sur les mystères de la vie, dont les paroles ont été écrites par le poète Mohammed Hamadouche, dit Ben Mohammed, aura un destin fabuleux. Elle fera le tour du monde à l’insu d’Idir qui accomplissait alors son service national.

C’est sans aucun doute avec ‘‘Zwitt Rwitt’’, au rythme endiablé, l’air le plus connu de l’artiste défunt en Algérie et à travers le monde. «Je suis arrivé au moment où il fallait avec les chansons qu’il fallait», reconnaissait-il.

L’Algérie était alors en pleine effervescence politique et culturelle, à l’apogée de la présidence de Houari Boumédiène (1965-1978).

Installé en France au milieu des années 1970, Idir, le pied à l’étrier, poursuivra son chemin, imperturbable, guitare en bandoulière, en troubadour presque. Artisan méticuleux de la note, il continuera à tracer son sillon avec parcimonie, privilégiant l’art sur la gloire factice des plateaux de télévision.

En 1975, il sortira un premier album titré, comme attendu, comme sa chanson fétiche ‘‘Avava Inova’’. Son deuxième album ‘‘Ay Arrac Nney’’ sort en 1979 et après une longue éclipse, il reprend le fil de sa carrière en 1993 avec un single : ‘‘Les Chasseurs de lumière’’. En 1999, il s’associe dans l’album ‘‘Identités’’ avec Manu Chao, Dan Ar Braz, Maxime Le Forestier, Gnawa Diffusion, Zebda, Gilles Servat, Geoffrey Oryema et l’Orchestre national de Barbès.

En 2007, Idir publie ‘‘La France des couleurs’’ en pleine campagne pour l’élection présidentielle, marquée par d’intenses débats sur l’immigration.

En 2017, il réalise un album ‘‘Ici et ailleurs’’, mariant les airs tamazight avec ceux du patrimoine musical français. L’album est composé de dix duos avec notamment Charles Aznavour, Patrick Bruel, Francis Cabrel. «J’ai décidé de m’immiscer dans la chanson française», dira-t-il avec l’économie de mots qui le caractérise pour étayer sa démarche.

En 2012, consécration suprême, c’est Jean-Jacques Goldman qui signe les paroles de la chanson d’ouverture de son album ‘‘Deux rives un rêve’’, qui tente de dresser des ponts entre sa terre natale et sa terre d’adoption à travers la Méditerranée.

En 2018, Idir retrouve son sol natal après une absence qui aura duré plus de trente ans. Il y reçoit un accueil triomphal, chaleureux. Un premier concert en janvier 2018 draine des milliers de fans à la Coupole, la salle omnisports attenante au Stade du 5-Juillet, sur les hauteurs d’Alger. Une dizaine d’autres sont programmés à l’intérieur du pays. Ils n’auront pas lieu, l’Algérie étant entrée dans une controverse politique, dont elle n’est toujours pas encore sortie.

Il marie avec bonheur chansons tamazight et chaâbi

Indifférent aux polémiques, Idir balaiera les critiques de ses pourfendeurs, en leur expliquant qu’il s’était engagé à ne retourner en Algérie que lorsque la langue et la culture tamazigh seront officiellement reconnus, et qu’il avait tenu parole. «Le jour où la langue amazighe a été officialisée, je suis revenu», a-t-il dit.

Chantre de la chanson berbère, engagé depuis toujours dans les combats pour l’identité culturelle, Idir refusait de devenir une «icône» au service de causes qui lui resteront étrangères. Il n’a assurément pas la fibre politique et il ne participe d’aucun sectarisme : «Chanter en arabe cela ne me pose aucun problème», a dit celui qui, au crépuscule de sa carrière, a marié avec bonheur chansons tamazight et chaâbi, ce genre populaire dont le maître incontestable était Hadj El Anka. «Je ne fais pas de politique. Tamazight est quelque chose d’inaliénable et je continuerai toujours à la défendre envers et contre tous. Mais, je ne m’intéresse pas aux gens qui veulent politiser les choses», aimait-il a dire. Là où il sera inhumé, il n’aura désormais plus à craindre «wahc elghaba», comme l’amghar de son éternelle ‘‘Avava Inova’’.

Avava Inova (Mon Petit Papa), texte original et traduction française

Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie père Inouba ouvre-moi la porte
Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba
O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva
Je crains l’ogre de la forêt père Inouba
Ugadegh ula d nekkini a yelli Ghriba
O fille Ghriba je le crains aussi.

Amghar yedel deg wbernus
Le vieux enroulé dans son burnous
Di tesga la yezzizin
A l’écart se chauffe
Mmis yethebbir i lqut
Son fils soucieux de gagne pain
Ussan deg wqarru-s tezzin
Passe en revue les jours du lendemain
Tislit zdeffir uzetta
La bru derrière le métier à tisser
Tessallay tijebbadin
Sans cesse remonte les tendeurs
Arrac ezzin d i tamghart
Les enfants autour de la vieille
A sen teghar tiqdimin
S’instruisent des choses d’antan

Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie père Inouba ouvre-moi la porte
Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba
O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva
Je crains l’ogre de la forêt père Inouba
Ugadegh ula d nekkini a yelli Ghriba
O fille Ghriba je le crains aussi

Tuggi kecment yehlulen
La neige s’est entassée contre la porte
Tajmaât tettsargu tafsut
L' »ihlulen » bout dans la marmite
Aggur d yetran hejben
La tajmaât rêve déjà au printemps
Ma d aqejmur n tassaft
La lune et les étoiles demeurent claustrées
Idegger akken idenyen
La bûche de chêne remplace les claies
Mlalen d aït waxxam
La famille rassemblée
I tmacahut ad slen
Prête l’oreille au conte

Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva
Je t’en prie père Inouba ouvre-moi la porte
Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba
O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva
Je crains l’ogre de la forêt père Inouba
Ugadegh ula d nekkini a yelli Ghriba
O fille Ghriba je le crains aussi

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