Le gouvernorat de Tataouine, qui a pourtant financé pendant deux décennies (1970 et 1980) près du quart du budget national et a donc largement contribué à développer l’infrastructure et l’économie dans les régions côtières, n’a pas reçu lui-même suffisamment d’investissement et, depuis deux décennies, la contrebande y est devenue une ressource économique non négligeables et, pour les plus démunis, une stratégie de survie. Le chaos libyen n’a fait que renforcer cette économie souterraine du sud.
La population du sud, où se trouvent la plupart des réserves de pétrole, de gaz et de phosphate de la Tunisie, se sent d’autant plus lésée que, depuis la chute de Ben Ali, en janvier 2011, elle n’a pas vu sa situation s’améliorer en termes d’investissements et d’infrastructures.
Des régions intérieures qui donnent à l’Etat plus qu’elles n’en reçoivent
Les régions intérieures, qui représentent 70 % du territoire et un tiers de la population, fournissent aux régions côtières plus de 50% des ressources en eau, 50% du pétrole et du gaz, 70% du blé dur, 50% des fruits, légumes et olives et tout le phosphate qui est transformé en fertilisant sur la côte avant d’être exporté.
Il s’agit donc des principales régions productives de la Tunisie de par l’étendue de leur territoire, l’importance de leur population, de leurs ressources naturelles et de leurs avantages en termes de coûts et de disponibilité (main-d’œuvre, sites d’implantation), et de leur statut de zones prioritaires.
Malgré tous ces atouts, les régions intérieures connaissent un rythme de développement économique faible, et un taux de chômage élevé, en particulier parmi les jeunes diplômés, ce qui engendre la migration des habitants vers les régions littorales en recherche de travail.
Par ailleurs, en l’absence d’investissements dignes de ce nom, la contrebande est devenue une stratégie de survie dans ces régions. Il est donc clair que l’État n’a pas réussi à proposer un plan stratégique pour faire face aux conséquences de la pollution. Il a montré aussi son incapacité à diversifier l’économie régionales et sa réticence à construire de nouvelles infrastructures.
Le défi majeur auquel fait face la Tunisie aujourd’hui est celui du développement des régions intérieures d’où sont parties les grandes révoltes de 2010, qui constitue un enjeu vital pour l’avenir du pays et la pérennité de sa démocratie.
Il est temps d’abandonner la politique de prélèvement extrême des ressources naturelles, devenue politiquement insoutenable, et de mieux intégrer les régions intérieures dans le système économique national.
Des actions à mener dans l’urgence
Les solutions existent et il ne manque que la volonté de les matérialiser. Ainsi, au lieu de vendre des rêves, pour faire taire les protestataires, il y a lieu de mener les actions suivantes :
-accélérer la mise en place de la Banque des régions : l’objectif étant de donner aux régions l’occasion d’avoir les moyens financiers requis et de ne plus être tributaires du pouvoir central. Comme en France, l’expérience de la Banque publique d’investissement (BPI) est une success story de l’avis de la majorité des structures d’appui françaises. Elle est présente dans toutes les régions sous forme de guichet unique et constitue un pôle financier, un vis-à-vis unique en matière de financement;
-mettre en place des agences régionales de développement économique ayant une orientation résolument commerciale pour notamment mieux faire connaître la région et ses atouts, détecter de nouveaux projets d’investissement et assurer le suivi des projets déjà installées;
-créer des comités régionaux de facilitation dont la mission principale est d’identifier et de palier aux entraves en matière d’investissement, à travers, notamment, la rationalisation et la simplification des procédures administratives. Ces comités doivent regrouper des acteurs du secteur public impliqués dans l’investissement et les représentants du secteur privé, et doivent s’appuyer sur une dizaine de comités techniques thématiques chargés de proposer des plans d’action annuels;
-cibler le développement des énergies renouvelables en donnant la chance aux jeunes des régions intérieures du pays de se lancer dans des projets de ce genre. Il faut développer des structures à l’intérieur du pays dédiées uniquement aux jeunes qui vont produire une électricité à énergies renouvelables et qui vont pouvoir la vendre ensuite à la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg). Ceci leur permettra d’acquérir une certaine autonomie financière et servira à l’Etat comme un moyen de combattre le chômage, notamment dans ces régions et réduira la dépendance du pays aux combustibles fossiles importés et renforcera la sécurité énergétique.
* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.
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