Accueil » Les dix péchés capitaux de la diplomatie tunisienne

Les dix péchés capitaux de la diplomatie tunisienne

Siège du ministère des Affaires étrangères.

La plupart des observateurs et analystes conviennent que la diplomatie tunisienne a perdu son lustre et son efficacité d’antan et semble, à la faveur notamment du limogeage houleux des représentants permanents tunisiens à New York et du débat suscité par le mouvement annuel des chefs de postes diplomatiques et consulaires, susciter des doutes quant à sa capacité de défendre et servir les intérêts de la Tunisie à l’étranger.

Par Elyes Kasri *

Ce ministère de souveraineté, vivier d’une élite jadis internationalement respectée pour son professionnalisme et son patriotisme, souffre actuellement de maux qui lui ont été infligés et qui hypothèquent son rendement et sa crédibilité. On en citera, notamment, les déficiences et même les dérives de l’administration tunisienne après le 14 janvier 2011, en matière de gestion des ressources humaines. Cette situation est exacerbée par un statut particulier anachronique des agents du ministère des Affaires étrangères (datant depuis 1991) et injuste envers les diplomates de carrière (recrutés par voie de concours national très sélectif) qui facilite toutes sortes d’aberrations faisant parfois accéder aux grades diplomatiques les plus élevés et assumer de hautes fonctions à Tunis et à l’étranger des agents administratifs et des fonctionnaires qui n’ont pas les qualifications académiques et professionnelles normalement requises chez un diplomate.

L’appauvrissement du vivier et la baisse du niveau général

Autre mal, l’appauvrissement du ministère des Affaires étrangères en personnel qualifié et en diplomates hommes et femmes ayant fait leurs preuves avec la double obligation de remplacer les départs à la retraite (avec une rigueur assez remarquable sans faire bénéficier la plupart d’entre eux des possibilités de maintien dans le service public pourtant autorisé par le code de la fonction publique) par des bénéficiaires de l’amnistie législative générale et des agents administratifs à la formation souvent inadaptée au travail diplomatique qui nécessite une grande culture générale et une capacité d’analyse et de communication orale et écrite multilingue.

Les quelques recrutements, par voie de concours des secrétaires des affaires étrangères, sont loin de combler le déficit en personnel qualifié et les couloirs pratiquement vides du ministère l’attestent alors qu’il y a une vingtaine d’années ces mêmes couloirs bourdonnaient comme une ruche d’abeilles avec une dose élevée d’adrénaline et de fierté de servir et de défendre son pays.

La cacophonie des pouvoirs et le choc des prérogatives

Le troisième mal, le «tricéphalisme» du pouvoir créé par la constitution tunisienne de 2014, et qui ne facilite guère les affaires, avec un président de la république chargé de la direction de la politique extérieure, un chef de gouvernement chargé de la politique gouvernementale et d la direction de l’administration tunisienne et une assemblée parlementaire qui prétend dicter la politique à suivre par le gouvernement et jouit du droit de lui retirer sa confiance en cas d’insatisfaction de la conduite de la politique gouvernementale y compris dans le domaine des relations internationales.
Par ailleurs, le libéralisme excessif dans l’action gouvernementale (pour ne pas dire la cacophonie) tolère que de nombreux ministères et institutions puissent mener leur propre diplomatie (sous couvert de coopération internationale) sans coordination préalable avec le ministère des Affaires étrangères. Les dérapages sont multiples et leur poursuite risque de causer des dégâts incalculables.

Il y a aussi le problème des compétences économiques amputées depuis 1992 par le détachement de la coopération internationale au profit d’un nouveau ministère dédié à la Coopération internationale et l’Investissement extérieur, alors que le ministère des Affaires étrangères avait jusqu’à cette date un secrétariat d’Etat à la coopération internationale avec des diplomates de très haut niveau et d’une compétence internationalement reconnue.

Sixième mal et pas des moindres, la culture politique en vigueur qui privilégie assez souvent les slogans anachroniques et ne tient pas suffisamment compte de l’évolution des rapports de forces ainsi que des contraintes et des priorités de la Tunisie sur la scène internationale.

L’absence de vision et de projet d’avenir pour le pays

Pour ne rien arranger, il n’existe pas un consensus national sur les principes directeurs ou fondamentaux de la politique étrangère, ni un projet d’avenir pour la Tunisie qui aiderait à fixer les priorités et les choix en matière de déploiement géographique de notre représentation diplomatique et consulaire, de partenariats bilatéraux ou multilatéraux et d’initiatives et priorités diplomatiques.

L’absence de garde-fous institutionnels contre toute dérive du processus décisionnel concernant les relations internationales et toute action ou discours susceptible de porter préjudice aux intérêts de la Tunisie sur la scène internationale, est un autre mal de notre diplomatie.

Last but not least, cette diplomatie souffre de l’évocation de concepts et de slogans restés sans contenu concret et prêtant assez souvent à équivoque ou manipulation, comme l’identité arabo-musulmane, le soutien aux causes justes et en premier lieu la cause palestinienne, la présence de la Tunisie sur le continent africain ou, pour certains dans un élan lyrique, «la conquête du marché africain», la diplomatie économique, la défense des peuples contre les régimes oppresseurs (Syrie, Egypte, etc.). Ceci est dû, en grande partie, à une appréciation insuffisante de l’état actuel des relations internationales chez une grande partie de la classe politique tunisienne et aux réminiscences d’une culture arabo-musulmane où le verbe et le discours incantatoire tiennent souvent lieu de praxis.

En fin de compte, une diplomatie crédible et efficace ne dépend pas uniquement de la personne du ministre des Affaires étrangères ou de l’ambassadeur ou du représentant permanent, mais reflète plutôt la situation d’un pays qui connait ses intérêts et priorités et se donne les moyens humains et matériels de leur concrétisation.

Lorsque nous aurons atteint ce stade d’organisation administrative, de maturité politique et de détermination dans nos vision et action internationales, nous pourrons alors être, en toute objectivité et équité, intraitables avec nos diplomates et sanctionner tout manquement aux instructions et aux priorités nationales.

* Diplomate.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.