Le virus de la Covid-19 gambade allègrement en Tunisie et part à l’assaut de Tunisiens accablés par la misère et menacés par la famine dans un climat de guerre entre un président de la république anarchiste conservateur, un président de parlement frères musulmans parrain des terroristes, et un chef de gouvernement atypique craignant d’être déboulonné rapidement et prêt, pour durer, à se liguer avec le diable.
Par Mounir Chebil *
La Tunisie n’est pas ravagée par le coronavirus. Elle n’est pas en faillite non déclarée. Elle a le taux de croissance le plus élevé au monde. Elle est le pays du plein emploi. Là où on va, on ne voit que des jeunes et moins jeunes à travailler à distance dans les cafés, tout en prenant des pauses chicha et des pauses ramis.
La Tunisie baigne dans la paix sociale. Aucun tunisien n’est exclu du bien-être. Le peuple se gave des brioches sorties de la boulangerie de Marie Antoinette. Tellement les affaires du pays marchent d’elles-mêmes comme sur des rails, que les gouvernants meurent d’ennui et d’oisiveté. Alors ils s’ingénient à chercher des occupations pour remplir leur temps, et dégager leur énergie.
N’ayant rien à faire, le président de la République Kaïs Saïed, le chef du gouvernement Hichem Mechichi, et le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) Rached Ghannouchi, se querellent pour une question de prérogative. Chacun d’eux trouve son territoire, délimité par la constitution, pour vouloir empiéter sur celui de son voisin et avancer ses pions dans le camp adverse. Bref, ils jouent à nommer et à révoquer des ministres. Cheikha Moza ne jouait-elle pas à faire et défaire le monde arabe?
A chacun son «virage»
Aujourd’hui, le président de la république et le chef de gouvernement jouent au bras-de-fer, à chacun son «virage». Le premier crie «Allahou Akbar». Le deuxième vocifère «Echaab yourid». Les prétendants aux fauteuils douillets des ministères sont nombreux. Ils savent qu’ils vont se la couler douce, tellement qu’il n’y a plus rien à faire pour ce pays et que la botte de persil parviendrait à leur dame par la Mercedes gouvernementale.
La Tunisie n’a besoin ni de lois, ni de réformes. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Les parlementaires, faute de n’avoir rien à mettre sous la dent, passent leur temps à caqueter, à se disputer et à se donner en spectacle. Pour faire plus d’ambiance, ils nous gratifient de singeries, de gesticulations clownesques ou d’empoignades. Silence on tourne… en rond.
Les partis politiques, confiants dans la providence pour veiller à la prospérité dans le pays, n’ont pas jugé utile d’élaborer des programmes pour la bonne marche des affaires nationales. Pour marquer leur présence, ils manœuvrent de l’intérieur et de l’extérieur du cirque parlementaire pour susciter des élections récurrentes à l’effet d’un meilleur positionnement sur l’échiquier politique et dans les nouveaux gouvernements qui succéderaient à ceux qu’ils ont défaits auparavant. De son temple des plaisirs, Barbe-bleue se délecte du manège qui s’offre à ses yeux de rapace, guettant des jours meilleurs pour reprendre les fauteuils et les strapontins qu’il a distribués aux eunuques, pour mieux les manipuler avant de s’en débarrasser.
La démocratie participative, dit-il
L’UGTT entre en lice pour vouloir engendrer plus de prospérité et de paix. Pour cela, elle propose l’ouverture d’un dialogue national auquel sont invités les meilleurs spécialistes du chaos pour l’avoir expérimenté avec brio pendant dix ans. Le président de la république y a consenti mais avec la condition d’y faire participer les jeunes illuminés du mouvement «Echaab Yourid» qui l’ont élu ainsi que des représentations régionales. Ce qui l’intéresse dans ce dialogue, c’est un champ d’expérimentation du régime politique qu’il a prôné lors de sa campagne électorale, faisant fi de son serment de respecter la constitution. Les «fassidine» (corrompus) doivent être exclus de ce dialogue providentiel. Mais comme en Tunisie le ridicule ne tue point, les Frères musulmans ne font pas partie, selon le président Saïed, des «fassidine». Lui le petit salarié est «farfouri» (clean). Sa campagne pour les présidentielles ne lui a coûté que le prix d’un paquet de cigarettes Cristal et d’un café capucin. Le djinn de la lampe d’Aladin a fait le reste.
La sympathie de Kaïs Saïed pour les comités de coordination qui se sont constitués dans certaines régions du pays en dehors de toutes structures légales, et regroupant des voyous qui ont défié l’Etat, à l’instar de ceux d’El-Kamour, laisse présager de ses intentions de changer radicalement le système politique actuel par un système basé sur sa vision de la démocratie participative. Celle-ci ne serait que la ratatouille de mauvais goût concoctée par son mentor Ridha Chiheb Mekki, alias Lénine, et dont les ingrédients sont les Soviets d’avant la révolution russe de 1917, la commune de Paris, la conception de Karl Marx de l’Etat communiste, les thèses du conseillisme autour desquelles Ridha Lénine a voulu réunir la gauche depuis le tout début des années 80, et du municipalisme. On y trouve même des traces de l’organisation berbère de la «Djémaa».
À la guerre comme à la guerre
Les épices du système miracle de Kaïs Saïed, ne sont que des théories utopiques ou des expériences anarchistes qui ont échoué. De son côté, Tonton Rchouda, qui se démène à coup de magouilles politiques et de pétards pour imposer l’Etat islamique gouverné par la charia, cherche à reprendre du souffle grâce au Dialogue national projeté comme en 2014.
Le virus de la Covid-19 gambade allègrement en Tunisie. Il part à l’assaut de Tunisiens accablés par la misère et menacés par la famine dans un climat de guerre entre un président de la république anarchiste conservateur, un président de parlement frères musulmans parrain des terroristes, et un chef de gouvernement atypique craignant d’être déboulonné rapidement et prêt, pour durer, à se liguer avec le diable. Les ministres roupillent faute de budgets disponibles entre autres, et la classe politique est empêtrée dans les radotages de vieilles commères.
En Tunisie, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour la Covid-19. À ce jour, plus de cinq mille morts sont enregistrés. Des soucis en moins pour nos dirigeants. Les terroristes frères musulmans se targuent de leur humanisme du fait qu’ils n’ont pas encore tué autant. Malthus a ses adeptes en Tunisie.
* Ancien haut cadre de l’administration publique.
Donnez votre avis