Depuis le vendredi 25 juillet dernier, une pause estivale s’est écrasée sur le gouvernement tunisien en vertu de l’article 80 de la Constitution. L’activation de ce texte de loi par le président Kais Saied a laissé perplexe une population assommée par la pandémie frappant actuellement au niveau mondial. Bombe à retardement ?
Par Jean-Guillaume Lozato *
En gelant les activités du parlement, Kais Saied a saisi une heureuse opportunité, lui qui n’a jamais été bien partisan du régime de type parlementaire.
Une certaine incertitude décourage, de ce fait, toute opinion contraire. En outre, il existe un vide juridique car la Cour constitutionnelle est en suspens. Quant à la qualité inégale des débats politiques… La polémique est là, diffuse comme un virus.
Le flou entretenu par et autour du chef de l’Etat
Pas d’arbitraire brutal à la Al-Sissi. Ni technique d’enfumage Macroniste. Le président tunisien a su renforcer l’exécutif en entretenant un flou plus artisanal qu’artistique. Pour réparer les incompétences de son entourage, avec un Hichem Mechichi en guest star déchue.
Toutefois, il convient de rappeler que le président lui-même se pose en Ovni dans la galaxie politique, plus connu comme universitaire brillant que comme homme politique. Il serait donc plutôt un théoricien. À partir de là il n’est pas étonnant que s’ouvre une parenthèse plaçant le gouvernement sur pilote automatique.
Depuis l’intronisation de Kais Saied comme président de la république, le Palais de Carthage a semblé en confinement bien avant l’apparition de la Covid-19. Le chef de l’Etat, communicant énigmatique et épisodique, surveille un espace politique national qui est devenu une cour de récréation. Avec des forces politiques qui ne sont que des faiblesses. Couvre-feu intellectuel en puissance.
Un attentisme de mauvais aloi
La solution pour l’hôte du Palais de Carthage sera de trouver urgemment des mesures politiques et des moyens de communication plus efficients. Pour sortir par la grande porte, faudra-t-il organiser des élections anticipées, législatives ou présidentielles?
Depuis dix ans, la discontinuité territoriale accentue le sentiment d’urgence, avec une fragmentation de l’électorat autour de la question centrale de l’islamisation de la société. Une bataille s’annonce entre les approximations aussi bien de Rached Ghannouchi et de son partis islamiste Ennahdha, momentanément mis hors d’état de nuire, que des partis dits laïcs.
Pour résumer, la Tunisie sous tension est en crise politique, sociale, économique, sanitaire. Elle est de plus en plus dépendante de l’extérieur comme nous l’avons vu récemment avec le quatrième plan d’aide en dix ans sollicité auprès du FMI.
On connaît la chanson…
Simultanément, il incombera à l’Etat tunisien de lutter contre la corruption, source de dysfonctionnement variés, et contre le terrorisme sous-jacent. Si Kais Saied n’y parvient pas, alors le morceau interprété cet été par Latifa Arfaoui («Yahya Al Shaab») sera non pas le clip mais le clap de fin pour un régime aux fondations bien fragiles. Remarquons que chaque fois qu’une chanteuse est arrivée au chevet d’une nation arabe, soit un processus de destruction s’est enclenché, soit c’était déjà trop tard. Peuvent le confirmer Soufia Sadok («Ya Tounes»), Tina Arena («Bagdad») ou… Latifa Arfaoui («Damascus»). Plus pragmatiquement, concluons en citant un chanteur occidental, l’Italien Neffa dans «Mondo Nuovo» (ou «Nouveau monde») affirmant : «Ma quando la delusione cresce la pressione aumenta» se traduisant par «Mais quand augmente la déception, la pression augmente».
Saied doit méditer cette phrase et trouver la parade nécessaire pour sortir le pays de sa léthargie actuelle, marquée par un attentisme de mauvais aloi… avant qu’il ne soit trop tard.
Universitaire italien installé en France, auteur de « La Tunisie dans le miroir de l’Italie, et vice et versa ».
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