Accueil » Où Kaïs Saïed mène-t-il la Tunisie?

Où Kaïs Saïed mène-t-il la Tunisie?

Kais Saied préside le conseil des ministres, jeudi 2 décembre 2021.

Peut-on avoir un débat rationnel, serein et apaisé sur la politique de Kaïs Saïed? Ou bien sommes-nous obligés de supporter la partisannerie aveugle en sa faveur ou l’acharnement contre le président de la république? Le sens de la nuance est-il encore possible? L’objectivité est-elle encore permise?

Par Chedly Mamoghli *

À ceux qui s’acharnent contre lui, votre haine ne mènera nulle part. À ses laudateurs et zélateurs, ce n’est pas un prophète. L’homme peut avoir raison comme il peut avoir tort. Lui déclarer la guerre ou lui attribuer un chèque en blanc, les deux attitudes sont suicidaires.

Il a raison concernant le volet de la lutte contre la corruption endémique qui a massacré le pays, sinon le bilan diplomatique bat de l’aile et le rendement présidentiel pose et impose des questions sérieuses: est-il plus urgent d’inscrire à l’ordre du jour du conseil des ministres l’examen de la situation extrêmement préoccupante et gravissime de la Steg et de la Sonede et de faire de leur sauvetage une priorité nationale ou bien de transférer le jour férié du 14 janvier au 17 décembre? Qu’est ce que ça va changer au quotidien difficile des Tunisiens? Rien. Par contre, si la Steg et la Sonede ne sont pas sauvés maintenant, elles feront faillite et le pays se retrouvera sans électricité, ni gaz ni eau. Pour l’instant, les pouvoirs publics et les gens s’en foutent de ce grand problème tant qu’ils ne sont pas dans le noir et qu’ils ont de l’eau. Ce n’est qu’une fois la catastrophe en place qu’ils se réveilleront. Toujours subir et ne jamais anticiper, ce n’est pas un hasard si on fait partie du tiers monde!

Le projet de la Nouvelle construction en gestation

Ensuite, pourquoi la suppression du ministère des Affaires locales et son rattachement à celui de l’Intérieur et pourquoi la nomination de gouverneurs supporters de Saïed? Ce n’est pas un hasard. En réalité, il y a une volonté de contrôler les régions afin d’appliquer la Nouvelle construction (le projet de Saïed).

Enfin, avec la Nouvelle construction, le projet de réconciliation pénale, les sociétés communautaires («charikat ahliya») et toutes les nominations partisanes, si on assemble tous les morceaux du puzzle Saïed, on voit qu’il ne compte pas modifier le régime politique mais le système politique dans son ensemble (qui englobe à la fois le régime politique, la structure économique et l’organisation sociale).

En conclusion, Kaïs Saïed veut tout changer ou plutôt tout chambouler. Sauf que ce qu’il propose, qu’il considère comme ce qui doit être fait et qu’il considère comme LA solution n’est que théorique et qui lui dit que sur le plan pratique et dans la réalité ça va réussir? Le pays fatigué par la décennie noire islamo-affairiste est-il en mesure de supporter l’établissement d’un projet aussi global que brutal et utopiste? Le credo de Kaïs Saïed dans sa guerre contre la classe politique («harb taksir al-idham») est de tout donner au peuple et à l’échelle locale à savoir le pouvoir politique et le pouvoir économique afin d’écraser la classe politique. La classe politique a fait beaucoup de mal au pays certes et elle nous a mené à cette situation mais ce que Saïed considère comme LA solution n’est ni LA solution ni même une solution. C’est de la pure théorie qui se fracassera sur le mur de la réalité.

Une aventure utopiste aussi brutale qu’incertaine

Monsieur le président, cher Kaïs Saïed, nous vous demandons seulement de lutter contre la corruption, de réformer le régime politique pour qu’il soit efficace et rende le pays gouvernable, de permettre au pays de redémarrer économiquement et sauver la Steg et la Sonede pour que le pays ne se retrouve pas prochainement sans électricité ni gaz ni eau mais nous ne vous demandons pas de nous embarquer dans une aventure utopiste aussi brutale qu’incertaine.

Ne soyez pas aveuglé par le soutien populaire massif d’aujourd’hui; ils accepteront tout et applaudiront tout comme ils l’ont fait avec d’autres mais si demain, quand la théorie sera à l’épreuve de la réalité et qu’elle se fracassera, les mêmes se retourneront contre vous et maudiront votre ère.

Faites le choix de la raison et du réalisme. L’idéalisme, les recettes dogmatiques et idéologiques basées sur la théorie ont abîmé bien des pays comme l’Histoire n’a cessé de nous l’enseigner.

* Juriste.

Articles du même auteur dans Kapitalis :

Le Qatar, État satellite des Etats-Unis

Afrique du Nord : L’influence américaine décroît, la Tunisie doit en tirer des conclusions

La Tunisie réduite au statut d’Etat mendiant

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.