Le prix et la disponibilité des œufs ne cessent de préoccuper l’opinion publique en Tunisie. La commercialisation de l’œuf connaît des perturbations en raison du prix jugé peu rentable pour les producteurs. Producteurs et intermédiaires sont en train de stocker les œufs en attendant une augmentation du prix. Le système répressif est peut efficace et le ministère du Commerce (MD) semble incapable d’imposer le prix fixé de 0,980 dinar les 4 unités. Jusqu’à quand ces problèmes vont-ils durer ? Alors que des solutions existent…
Par Ridha Bergaoui *
En cette période de fêtes de fin d’année, les œufs connaissent une importante demande de la part des professionnels de la pâtisserie-restauration ainsi que des ménages. A part les œufs sous emballage présents à prix forts sur les étagères des grandes surfaces, les œufs à la pièce vendus chez l’épicier se font de plus en plus rares ou se vendent parfois à des prix exorbitants (jusqu’à 1,600 dinar/les quatre unités, alors que le prix fixé par le ministère du Commerce – MC – n’est que 0, 980 dinar).
Les œufs, objet de chantage et de pression
La production de l’œuf de consommation en Tunisie a été estimée à 1863 millions en 2020 (Filière avicole Tunisie, Onagri. Cette production est assurée par 360 éleveurs de taille moyenne, situés essentiellement dans les régions de Sfax et Nabeul.
Le ministère de l’Agriculture affirme qu’il n’y a aucun problème de production. Il a même commencé à constituer le stock traditionnel stratégique pour le mois de Ramadan.
Les producteurs se plaignent des prix élevés des aliments concentrés destinés à la volaille et trouvent que le prix de vente fixé par le MC n’est pas rentable et reviendrait à la vente des œufs à perte. Ils demandent la révision de ce prix et une augmentation minimale de 50 millimes/œuf.
Quant à l’Organisation tunisienne pour informer le consommateur (Otic), elle appelle à acheter les œufs au prix fixé par le MC, pas plus cher pour ne pas encourager les spéculateurs.
Dans un dernier communiqué, le MC maintient sa position et appelle tous les intervenants à assurer l’approvisionnement régulier du marché tout en respectant le prix fixé.
Les œufs sont théoriquement disponibles en grande quantité, les poules continuent à pondre comme d’habitude et les stocks ne cessent d’augmenter. Des spéculateurs et différents intervenants de la filière sont en train de constituer des stocks dans l’espoir d’une augmentation sensible du prix de vente surtout que les œufs se conservent facilement à température ambiante en cette période hivernale. En effet, les services du MC ont opéré de nombreuses saisies d’œufs stockés dans des dépôts anarchiques.
Un système de fixation des prix obsolète
Le système de fixation des prix par le MC semble arrivé à bout. Ce système ne satisfait plus personne et est devenu à l’encontre de son objectif principal, celui de défendre le pouvoir d’achat du consommateur et de lutter contre l’augmentation des prix des produits essentiels.
En effet, il a été remarqué à plusieurs reprises que dés que l’Etat intervient pour fixer le prix d’un produit, soit disant pour défendre le consommateur, le produit disparaît des circuits de distribution classiques et se retrouve dans les circuits parallèles à des prix beaucoup plus élevés. Le consommateur n’a plus aucun choix que de l’acheter au marché noir. C’est le cas de la pomme de terre dont le prix a été plafonné en aout dernier pour la vente au public à 1,380 dinar/kg et qui a disparu des grandes surfaces pour être vendue dans le commerce informel jusqu’à 2,000 dinar le kg. C’est également le cas du fer à béton, de l’escalope et du poulet et bien d’autres produits. La politique de fixation des prix des produits essentiels n’arrange que les spéculateurs et les opportunistes et n’est nullement à l’avantage du consommateur.
Le MC ne cesse de brandir l’application de la loi et de pénaliser tous les intervenants qui ne respectent pas les prix fixés toutefois le MC n’a pas les moyens matériels et humains nécessaires pour contrôler tous les intervenants et lutter contre la spéculation et l’augmentation illicite des prix. Le système répressif mis en place par le MC n’a plus aucune efficacité. Cette solution était valable du temps de la dictature où les gens avaient peur des autorités et des officiels et que l’Etat arrivait à imposer ses décisions. De nos jours, le Tunisien est devenu réfractaire face à un Etat grandement affaibli et discrédité.
Ménager la chèvre et le chou
Il est indiscutable que pour assurer la pérennité d’une activité ou d’une filière, il est nécessaire que les opérateurs puissent en tirer un bénéfice. Demander à des producteurs de vendre à perte est inconcevable. Toutefois profiter des circonstances pour faire de la spéculation et se remplir les poches aux dépens du consommateur n’est pas non plus admissible.
Etablir un prix de revient pour les œufs est très facile surtout qu’il s’agit d’une activité hors sol et les postes de dépense sont bien identifiés. Le Groupement Interprofessionnel des produits avicoles et cunicoles (Gipac) dispose de toutes les données actualisées concernant le secteur avicole. Fixer un prix rentable pour les éleveurs et raisonnable pour le consommateur, tout en prévoyant des marges correctes pour les différents intervenants, est très facile. Le différent entre producteurs et le MC au sujet de la fixation du prix de vente des œufs n’a pas en principe lieu d’être.
Il faut souligner que la productivité de la poule (nombre d’œufs pondus/an) dépend de plusieurs facteur dont la souche, la qualité de l’aliment, l’ambiance d’élevage et la technicité de l’éleveur. Pour réduire le cout de production, il est possible d’agir sur tous ces facteurs et en premier sur les compétences des éleveurs.
Dans ce sens si le prix de 0,980 dinar laisse suffisamment de marge tant aux différents intervenants, compte tenu du prix du concentré, la demande des producteurs d’augmenter les prix serait tout simplement abusive et il y a lieu de veiller au strict respect du tarif fixé par le MC quitte à sanctionner sévèrement les contrevenants. Le MC connaît dans les détails tous les producteurs des œufs de consommation, les grossistes ainsi que tous leurs dépôts de stockage des œufs, intervenir pour obliger les intervenants à approvisionner le marché d’une façon régulière n’est pas difficile.
Dans le cas où le prix est réellement trop bas, il faut prévoir rapidement une révision du prix pour éviter de déstabiliser une filière encore fragile et dépendante des marchés mondiaux des matières premières.
Ce que reprochent les professionnels c’est que l’Etat ne bouge généralement pas lors de la chute des prix en raison de l’abondance de l’offre ou le recul de la consommation. En effet, en période de surproduction les prix chutent d’une façon parfois catastrophique et de nombreux éleveurs courent la faillite. Dans ces cas, l’Etat se doit de venir en aide aux producteurs pour surmonter la crise. De nombreux mécanismes existent et le Gipac est habilité à intervenir dans ces situations délicates (constitution de stocks, réforme précoce des pondeuses…). Il suffit de lui accorder les crédits nécessaires pour mener ces tâches spécifiques de régulation du marché.
Des solutions possibles
A part la lutte contre la spéculation, le contrôle des prix et les mesures répressives pour appliquer la réglementation, l’Etat dispose d’un puissant levier pour lutter contre une augmentation injustifiée des prix c’est l’importation. Cette mesure doit être le dernier recours afin de ne pas léser le consommateur et lui permettre d’acquérir un produit devenu de première nécessité et la principale source de protéines bon marché.
Une autre solution envisageable pour réduire les prix, c’est le boycott par les consommateurs. Le boycott a été une bonne solution appliqué à certains produits (surtout ceux rapidement périssables comme la banane, le lait, le poulet… des produits facilement substituables ou superflus), dans certains pays et certaines circonstances. Les effets du boycott ne sont efficaces que s’il y a une diminution sensible de la demande et surtout si les consommateurs sont solidaires. En effet si le consommateur lambda continue à agir comme d’habitude en se disant que les autres feront le boycott à sa place, l’opération n’a aucune chance d’aboutir.
L’hôtellerie, la restauration et le secteur de la pâtisserie sont de gros consommateurs d’œufs. Il est injuste de placer ces clients au même titre que le simple consommateur pour qui les œufs représentent un aliment essentiel au même titre que le pain. Les pâtissiers qui vous vendent le morceau de gâteau de 8 à 10 dinars peuvent se permettre d’acheter des œufs plus chers que le simple citoyen sans forcément augmenter le prix de vente de leurs produits.
C’est au fait toute la problématique de la politique de subvention des produits (pain, semoule et pâtes, sucre, carburant…), de la caisse de compensation et du ciblage des classes visées par les aides sociales.
Dans les pays évolués, et essentiellement pour des raisons sanitaires, les cuisines centrales et la restauration collective ne peuvent utiliser que des œufs emballés par des centres de conditionnement agrées ou des ovoproduits.
Revoir les circuits de commercialisation des œufs
Les œufs sont fragiles et présentent des risques importants de contaminations susceptibles d’entrainer chez le consommateur des risques d’intoxications. Quoique le contenu de l’œuf est stérile, la coquille peut être très souillée à commencer par les fientes de volaille mais également par de la poussière et une multitude de germes.
La vente des œufs à l’unité chez le petit épicier du coin est un choix archaïque et déconseillé. Le consommateur ne dispose d’aucune information sur le produit. L’œuf est manipulé par de nombreux intermédiaires et peut présenter d’importants risques sanitaires.
L’emballage des œufs et leur calibrage sont devenus partout indispensables pour garantir un produit sain et de qualité. La fraicheur est également un critère important pour le consommateur. Dans de nombreux pays, les œufs sont également classés en fonction du mode de production et de l’élevage de la poule pondeuse (élevage biologique, pondeuses en plein air, au sol ou en cage).
Des casseries industrielles existent partout dans le monde. Ces usines transforment les œufs en ovoproduits. Il s’agit de séparer les différentes parties de l’œuf (blanc, jaune, mélange de blanc et de jaune en différentes proportions) présentées sous différentes formes : pasteurisées, congelées ou déshydratées, avec différents types d’emballage et de capacités. Cette présentation est largement utilisée par les industries agroalimentaires et la restauration collective. Elle offre une parfaite qualité hygiénique des produits, de la praticité (produit prêt à l’emploi, facile à conserver et à manipuler) et du cout (on n’utilise que la partie de l’œuf dont on a besoin).
* Universitaire.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Comment réduire nos déchets organiques et alléger nos poubelles
Semences des céréales et sécurité alimentaire en Tunisie
Pour le développement de la consommation de la viande du lapin en Tunisie
Donnez votre avis