Si la centrale patronale tunisienne, habituellement réservée et sobre, a ressenti le besoin d’appeler les gouvernements tunisien et algérien à entériner les principes de liberté de circulation, de résidence, de travail et de propriété, et à supprimer les barrières douanières, non douanières et frontalières, c’est pour mettre le doigt sur une vieille plaie purulente et qui tarde à être soignée, celle des obstacles que mettent les pays de la région devant les flux commerciaux et les investissements.
Par Imed Bahri
Cela fait un demi siècle que les experts économiques de la région déplorent le fait que les échanges entre les pays maghrébins sont inférieurs à 5% de leurs échanges globaux, sans que les dirigeants des pays concernés ne prennent des mesures courageuses pour changer cette réalité qui les déshonorent tous.
Une amère réalité
En fait, à chaque fois que les circonstances les réunissent, ces derniers se gargarisent des mêmes mots pour louer une fraternité maghrébine, qui n’existe pas dans les faits. Et c’est dont témoigne le très faible niveau des échanges interrégionaux et les obstacles que mettent les autorités de nos pays respectifs pour empêcher leur développement, de sorte que des produits industriels tunisiens ont plus de difficultés à être écoulés en Algérie et en Libye que partout ailleurs dans le monde. Pis encore : des produits turcs, chinois ou autres, de bien mauvaise qualité que leurs équivalents tunisiens, trouvent souvent plus facilement le chemin des marchés libyen et algérien, en dépit du bon sens commercial et de l’intérêt bien compris des deux peuples, sans parler des règles du bon voisinage et du devoir de solidarité régionale.
C’est cette amère réalité, que ne sauraient dérober à nos yeux les effusions de fausses et hypocrites amabilités diplomatiques entre nos hauts responsables respectifs, que la centrale patronale tunisienne a pointé dans son communiqué publié hier, samedi 16 juillet 2022, en appelant «les gouvernements tunisien et algérien à encourager les investissements conjoints et à défendre la liberté d’investissement dans les secteurs économiques et à faciliter l’accès au financement par les institutions financières.»
Les intérêts bien compris
L’Utica a également souligné la nécessité d’élaborer un accord de libre-échange global entre les deux pays et de libéraliser complètement leurs monnaies dans les transactions économiques et dans le tourisme, une fois que les institutions officielles compétentes se seront mises d’accord sur un taux de change unique. Et appelé à renforcer la coopération dans tous les secteurs à valeur ajoutée, notamment dans celui des énergies renouvelables et des technologies de communication, et à mettre davantage l’accent sur le tourisme et les services rendus aux citoyens des deux pays.
La centrale patronale tunisienne a également, dans le même communiqué, souligné la nécessité de se concentrer sur le développement des régions frontalières et l’établissement de zones de libre-échange dans ces régions et de mettre en place des zones industrielles de haute technologie dans les régions frontalières pour attirer des projets innovants directs et conjoints.
Quand on sait que ces régions frontalières sont (comme par hasard ?) les moins bien loties en projets de développement, et ce des deux côtés de la frontière, en dépit de la langue de bois officielle à ce sujet dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles, aussi bien à Tunis qu’à Alger, on saisit l’utilité et l’urgence de ce «coup de gueule» (car il faut appeler les choses par leur nom) de l’Utica, dont les structures sont confrontées, chaque jour que Dieu fait, aux lamentations et aux doléances des acteurs économiques empêchés de déployer librement leurs activités, qui plus est dans un contexte de crise mondiale, et pénalisés par les bureaucraties tatillonnes des deux pays qui n’ont de cesse de leur mettre les bâtons dans les roues.
Et comme la nature a horreur du vide et que les gens, délaissés, cherchent (et ne tardent pas à trouver) les moyens pour survivre, ces zones frontalières sont devenues depuis des décennies des paradis pour la contrebande et les trafics de toutes sortes.
Effusion d’amabilités, et après ?
Le sous-développement auquel elles sont condamnées par les planificateurs de Tunis et d’Alger, conjugué à leur vocation montagneuse et forestière, a en outre encouragé les groupes extrémistes armés à y essaimer, rendant encore plus hypothétique le développement d’activités agricoles, commerciales et industrielles organisées et pérennes.
Le fait que la frontière tuniso-algérienne, fermée depuis deux ans à la circulation des citoyens en raison de la pandémie de Covid-19, ait été de nouveau rouverte, le 15 juillet courant, pour permettre aux Algériens de venir passer leurs vacances estivales à Tabarka, Bizerte, Nabeul, Hammamet, Sousse ou Djerba, est certes un événement à saluer, en ce qu’il va permettre la reprise des flux humains entre les deux pays, mais il s’agit, comme le préconise l’Utica, d’aller plus loin et de viser plus haut, en balisant la voie devant les opérateurs économiques et en enlevant les obstacles bureaucratiques devant les investisseurs, dans les deux sens. Sinon les effusions d’amabilités diplomatiques auxquelles on a eu droit ces derniers jours de la part des responsables politiques des deux pays, à commencer par les présidents Kaïs Saïed et Abdelmadjid Tebboune, ne serviront qu’à donner bonne conscience à peu de frais aux responsables politiques des deux pays.
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