Tunisie : une croissance de 6% par an pour approcher le plein emploi

Le dernier rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) apporte des statistiques inquiétantes au sujet de la Tunisie. Ses auteurs notent que la démographie tunisienne constitue désormais un facteur de pression socio-économique, voire même d’instabilité politique. Et ce malgré de nombreux atouts…

Par Moktar Lamari *

Le rapport note que des niveaux d’éducation élevés maintiennent une croissance démographique faible selon les normes régionales. La population tunisienne devrait croître de 0,8% par an en moyenne au cours de la période de prévision, passant de 11,9 millions en 2021 à 12,4 millions en 2026.

Ce taux est bien inférieur à celui de la plupart des pays en développement et comparable aux taux de nombreux pays occidentaux. La croissance démographique a ralenti de 3% par an en 1966 en raison des niveaux d’éducation plus élevés (en particulier chez les femmes), de l’entrée d’un plus grand nombre de femmes sur le marché du travail et du succès des programmes nationaux de contrôle des naissances depuis la création de l’Office national de la famille et de la population (ONFP), la première organisation nationale de planification familiale dans le monde arabe.

Le nombre de personnes par ménage continuera de diminuer au cours de la période de prévision.

Le dernier recensement complet de 2014 a montré que le nombre de ménages était passé de 2,2 millions à 2,7 millions en 2004, un taux de croissance annuel moyen de 2,1% – plus du double du taux de croissance démographique. La taille moyenne de la famille est passée de 4,5 personnes en 2004 à un peu plus de 4 personnes en 2014.

Cela reflète de grands changements dans la société tunisienne, notamment la lente dégradation des unités familiales élargies intégrant trois générations ou plus et l’augmentation du nombre d’unités unifamiliales. De cette façon, la structure de la population tunisienne est devenue de plus en plus similaire à celle d’un pays occidental.

Un chômage élevé continuera à éclipser la stabilité sociale

Même avec un taux relativement faible de prévision de croissance de la main-d’œuvre à une moyenne de 1,1% par an en 2022-26, les niveaux élevés de chômage sera l’une des plus grandes menaces pour la stabilité sociale au cours de la période de prévision.

Des sources de données locales ont indiqué que le chômage était en moyenne de 15,7% au premier semestre de 2022, toujours plus élevé qu’avant la révolution, bien que cela varie considérablement selon l’âge, le sexe et le lieu.

L’économie devrait croître d’environ 6% par an sur une période prolongée pour absorber les 90 000 nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année et faire des percées majeures dans le chômage. L’économie fait à peine 2% de croissance par an en moyenne, et pousse au chômage (total ou partiel) plus 40 000 jeunes par an. Les emplois précaires et le saupoudrage pour la création de l’emploi ne suffisent plus à apaiser la situation. L’émigration illégale devient une option ambitionnée par deux jeunes sur trois, selon la plupart des sondages récents.

La croissance économique n’a atteint en moyenne que 1,8% entre 2011 et 2020, date à laquelle elle a chuté de 9% en raison de la pandémie.

Le chômage est en moyenne de 38,5% chez les moins de 25 ans. La valeur du dinar a diminué de moitié par rapport au dollar depuis 2011 et l’inflation est à son plus haut niveau depuis plus de 20 ans.

Bien que le pays soit déjà très endetté, le gouvernement, qui subventionne le pain et le carburant pour la population tunisienne de 12 millions d’habitants, a déclaré qu’il avait besoin de 7 milliards de dollars de financement supplémentaire cette année 2022.

Le pays est mal gouverné par ses élites, tous intéressés par le pouvoir et ses dividendes, ne faisant rien pour apporter des solutions économiques fiables et créatrices d’espoir. Et cela constitue le principal danger pour le pays et pour sa stabilité future. Le pire c’est que les élites politiques font fi de ces données et jouent de manière irresponsable la gamme du pouvoir pour le pouvoir,

Alors même que l’économie se remet de la crise du coronavirus, les prévisions nous disent que le taux de chômage reste supérieur à 17% en 2023-26 alors que l’incertitude politique et la chaotique situation budgétaire du gouvernement continuent de limiter les politiques de création d’emplois. Les politiques monétaires font pis, en étranglant l’investissement et les espoirs de relance économique. Les taux d’intérêt moyens frôlent les 15%.

Il y a un décalage croissant entre le besoin de l’économie de main-d’œuvre semi-qualifiée et l’offre croissante de diplômés. L’échec du secteur privé à créer suffisamment d’emplois de niveau supérieur a conduit la plupart des diplômés dans le secteur public, où 60% d’entre eux sont maintenant employés, mais ce n’est pas une solution à long terme, compte tenu des pressions fiscales.

Cela se reflète dans le fait que, même en 2019, avant le début de la pandémie, le taux d’inactivité de la Tunisie chez les 15-24 ans était de 71,3%. Ce taux a probablement encore augmenté en 2020-21 et constitue une source majeure de troubles sociaux continus.

En outre, de nombreux Tunisiens ont cherché un emploi à l’étranger, encore une fois au détriment du potentiel économique de la Tunisie.

Face à l’opposition des partis de gauche et des puissants syndicats, le gouvernement aura du mal à adopter des réformes visant à accroître la flexibilité du marché du travail, à réaligner les compétences de la main-d’œuvre et à réformer les politiques salariales et les procédures de licenciement.

Les taux de migration resteront plus bas que d’habitude en 2022-23 en raison de la faiblesse des perspectives d’emploi en Europe en raison de la faible croissance dans l’Union européenne (UE), mais recommenceront à moyen terme. Cela mettra à rude épreuve les relations avec l’Europe, la destination de la grande majorité des migrants.

Croissance urbaine en raison des limites de l’emploi rural

De grandes disparités dans la répartition des revenus entre le nord et l’est du pays plus prospères et urbanisés, et le sud et l’ouest appauvris, resteront un problème. Depuis la révolution en 2012, les gouvernements tunisiens successifs ont reçu des sommes substantielles d’aide étrangère, et la majeure partie de celle-ci continuera à être gaspillées et détournées des priorités stratégiques.

Nous nous attendons à ce que l’exode démographique du sud et de l’ouest vers le nord et vers l’est se poursuive au cours des prochaines années, malgré les dépenses d’infrastructure dans le sud et l’ouest, car les disparités régionales continuent de menacer le développement et la paix sociale.

La population sera de plus en plus concentrée le long du littoral nord-est, de Bizerte à Sfax, où vit actuellement les deux tiers de la population. La population deviendra également plus urbanisée. Les citadins représentaient 71% du total en 2021, contre 60% en 1990. Le chômage excessif et les taux d’intérêts exorbitants empêchent l’investissement dans l’habitat décent et durable.

Les tensions urbaines vont s’intensifier, et les conditions de vie vont se précariser davantage si rien n’est fait pour relancer l’économie et surtout pour fouetter l’investissement productif. Encore une fois, l’émigration illégale devient une option recherchée par les jeunes et moins jeunes coûte que coûtent coûte…

* Economiste universitaire au Canada.

Blog de l’auteur.

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