Plaidoyer pour des tribunaux de l’eau en Tunisie  

«Tounes El-Khadra» ou «Tunisie la verte», longtemps chantée par les anciens voyageurs arabes, souffre aujourd’hui d’un énorme déficit hydrique, dû au changement climatique, à la vétusté des installations mais aussi au gaspillage de cette ressource rare. Pour régler ce dernier problème, notre pays pourrait s’inspirer de ce que faisaient nos ancêtres dans l’Espagne andalouse : les tribunaux de l’eau. (Illustration: le tribunal de l’eau se réunit encore aujourd’hui tous les jeudis sur le seuil de la Porte des Apôtres de la Cathédrale de Valence, Espagne).

Par Abdelaziz Guesmi *

Le «tribunal de las aguas» (tribunal des eaux) de l’Horta de Valencia, la plus ancienne institution de justice existante en Europe, est une invention arabo-andalouse, toujours vivante… plus de mille ans après. Mais elle a complètement disparu du Maghreb… pour faire moderne sans doute !

Comme ce tribunal autogérant l’eau, les Arabo-berbères ont également introduit en Al Andalus les canalisations d’eau.

Le nom de la capitale espagnole, Madrid, n’est-il pas issu de l’arabe «majra, majrit» (ruisseau, petits cours d’eau), se prononçant madjriat en arabe classique et madrit en arabo-andalou.

Les bons usages des eaux de l’irrigation

Le tribunal des eaux est l’institution chargée de juger les contrevenants aux bons usages des eaux de l’irrigation. Il s’agit d’un tribunal civil et administratif qui se tient sur la voie publique. Il est en charge d’administrer et de régler les litiges liés à l’irrigation des terres. Il a été classé Patrimoine immatériel de l’humanité.

Son origine remonte au temps d’Al-Andalus et particulièrement du Califat de Cordoue (Xe).

Sa création par le Calife Abd Al-Rahman III sous la forme que nous connaissons aujourd’hui date de l’an 960. Sa continuation à l’époque féodale est décidée par l’édit XXXV du roi Jacques Ier d’Aragon, en 1239, par lequel il ordonne que les canaux soient régis «segons que antigament és efo establit e acostumat en temps de sarrahïns (selon les habitudes antérieures qui furent établies au temps des Sarrasins)».

Nous savons qu’au début du XVe siècle les «sequiers» (de l’arabe «sāqiya, séguia» (canal d’irrigation, fontaine) de plusieurs communautés de l’Horta de Valence convoquaient déjà les accusés le jeudi sur la place de la Seu.

Immuablement, depuis mille ans, le Tribunal :

– se réunit chaque jeudi (jour précédent le vendredi, chômé par les musulmans);

– à l’extérieur de la cathédrale (l’ancienne mosquée);

– lors des jugements le droit à la parole est attribué par le président d’un signal du pied, de même que dans beaucoup de tribus berbères d’Afrique du Nord chaque homme savant attribuait la parole aux autres membres de sa tribu.

Responsabiliser davantage les agriculteurs

Le Tribunal des eaux s‘est propagé en Amérique Latine ibérique… et a complètement disparu au Maghreb !!!

Dans la Tunisie d’aujourd’hui, qui se veut démocratique et participative, et où, par son omniprésence et son omnipotence, l’Etat est en train de détruire l’économie nationale, n’est-il pas temps de responsabiliser davantage les agriculteurs et de redonner vie à cette pratique inventée par nos ancêtres et qui, jusqu’à une date récente, était en vigueur dans la région des oasis, dans le sud de la Tunisie ?    

Proviseur, Grenoble, France.

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