Tunisie : Farouk Bouasker dans ses petits souliers  

En bon soldat cherchant à sauver la mise à son chef, Faouk Bouasker s’est fendu, hier, dimanche 17 décembre 2022, d’explications inexactes, oiseuses et ridicules de l’échec des législatives anticipées dont seul le président Saïed saisissait l’intérêt et l’importance… pour asseoir son projet politique personnel.

Par Imed Bahri    

Visiblement très gêné par le très faible taux de participation des électeurs à ce scrutin, que ses propres services ont estimé à 8,8% du corps électoral, et qui pouvait être reproché à la commission électorale par celui-là même qui en a désignés tous les membres, le président de la république Kaïs Saïed en l’occurrence, le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), a qualifié de «modeste» ce taux de participation (les qualificatifs faible ou insignifiant auraient mieux convenu), avant de s’empresser d’affirmer que les raisons principales de cette défection des électeurs sont «les modifications du mode de scrutin et l’absence d’argent politique dans les campagnes électorales», reconnaissant ainsi à moitié l’impact négatif de la nouvelle loi électorale promulguée par M. Saïed, qui a imposé le mode de scrutin uninominal à deux tours visant à exclure les partis de la course ou à les marginaliser.

La défection des électeurs

Cependant, on aurait aimé entendre ces réserves au moment de la promulgation de cette loi électorale, en septembre dernier, alors que beaucoup d’organisations de la société civile, outre les partis, étaient unanimes à pointer les inconséquences de ce texte. Mais à l’époque, M. Bouasker et les autres membres de la commission électorale n’avaient qu’un seul souci : plaire au président de la république, servir son projet avec tout le zèle qu’il attend d’eux ou, tout au moins, ne pas susciter son courroux par l’expression d’une quelconque divergence avec ses choix dont, en vieux routiers des processus électoraux, ils ne pouvaient ne pas voir les limites.

Par ailleurs, et comme M. Bousaker a aussi tenu à le rappeler, la commission électorale n’a ménagé aucun effort pour mener la campagne de sensibilisation nécessaire dans les médias audiovisuels, dans la rue et par SMS, pour persuader les électeurs de se rendre aux urnes. Mais si ces derniers n’ont pas jugé utile d’aller voter et qu’on ne peut en rendre directement responsable l’Isie, pourquoi, dans ce cas, ne pas clairement reconnaître que les électeurs n’ont pas écouté le président Saïed, mais plutôt ses opposants qui ont appelé massivement, malgré leurs divisions, à boycotter les urnes. Est-ce si difficile à M. Bouasker de reconnaître cette vérité ?  

Les raisons d’un échec

Sur un autre plan, assimiler la très faible participation des électeurs à ce que M. Bouasker a appelé, avec une évidente démagogie, «l’absence d’argent politique dans les campagnes électorales», et non pas au désaccord profond de ces derniers avec les orientations politiques du président Saïed, dont ils redoutent à juste titre la dérive autoritaire et le manque d’intérêt pour leurs préoccupations socio-économiques, plus importantes à leurs yeux que ses tripatouillages constitutionnels et électoraux… Cette manière de botter en touche et de chercher de fausses explications participe de la même volonté d’éviter le courroux du locataire du palais de Carthage, en essayant de «vendre» son échec politique dans un emballage de vertu retrouvée.

«Les élections sont propres, et la campagne électorale s’est déroulée pour la première fois dans une atmosphère exempte d’argent politique suspect, d’achat de votes et d’utilisation des médias par les partis politiques. La participation aurait pu être beaucoup plus élevée si le régime légal du financement par les fonds publics et étrangers et de l’utilisation des associations et des chaînes de télévision avait été maintenu», a déclaré M. Bouasker. Ce qui est à moitié vrai, car non seulement, le phénomène de l’argent politique a été relevé, cette fois aussi, par les observateurs indépendants et la justice a même été saisie de certains cas, mais il y a eu pire lors de ces législatives : les clans ou «oûrouch» ont largement remplacé les partis pour influencer et orienter les votes. Et quand on parle de clanisme et «oûrouchia» en Tunisie, l’argent de la contrebande et de l’économie parallèle n’est jamais très loin.

Cela M. Bouasker et ses collègues ne le savent que trop, pour avoir déjà organisé des élections ayant fait accéder des barons de la contrebande à l’Assemblée. S’ils avaient réellement sévi par le passé contre tous ceux qui ont accédé au parlement en recourant à des pratiques illégales, les membres de l’Isie seraient aujourd’hui plus crédibles en affichant cette vertu opportunément retrouvée pour tenter de sauver la mise à celui qui les a nommés.

Mais, peut-on reprocher à de simples agents de l’Etat d’être ce qu’ils ont toujours été : des serviteurs sans envergure et, surtout, sans scrupules.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.