Les Tunisiens ne veulent plus de Kaïs Saïed

Qu’il le reconnaisse ou pas, le président de la république Kaïs Saïed a joué son projet politique et, par conséquent, ce qui reste de son mandat, sur le succès des législatives anticipées organisées hier, dimanche 17 décembre 2022, selon les règles et dans les conditions qu’il a lui-même imposées. Or, force est ce constater qu’il a lamentablement échoué. En tirerait-il les conséquences et ferait-il les pas nécessaires pour sortir le pays de la crise ? (Illustration : M. et Mme Saïed votent : une élection de trop!)

Par Ridha Kefi    

Kaïs Saïed a échoué, car il pensait, grâce à ces élections de «mi-mandat», dont il était seul, avec une poignée de ses partisans, à saisir l’urgence, renouveler la légitimité qu’il avait acquise en se faisant élire à la présidentielle de 2019 avec un providentiel score de plus de 72% au second tour, face à l’une des principales figures de la corruption dans le pays, Nabil Karoui en l’occurrence, aujourd’hui en fuite à l’étranger.

Or, au regard du taux général de participation au scrutin d’hier, qui n’a pas dépassé 8,8%, selon les résultats officiels préliminaires annoncés par Farouk Bouasker, le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), dont il avait désigné lui-même tous les membres, on peut dire que la consultation électorale a tourné au camouflet, confirmant, même aux yeux des plus sceptiques, que l’écrasante majorité du peuple tunisien ne veut plus de Kaïs Saïed, qui avait pourtant fait du slogan «Echaab yourid» (Le peuple veut) son slogan de campagne en 2019.

Les erreurs fatales de Saïed

En effet, et avec un taux de participation d’un Tunisien sur onze, le plus maigre jamais réalisé dans le pays, on peut estimer que la mascarade est terminée. Et si on enlève le nombre des bulletins nuls, et qui sont très nombreux, car beaucoup de Tunisiens ont tenu à participer à l’élection et de voter non à leur manière, ce taux descendrait à 1 sur 15. Aussi, et avec un taux de «rejet du projet politique» de Kaïs Saïed qui approcherait 95%, de quelle légitimité pourrait se prévaloir le prochain parlement et, par ricochet, le président de la république lui-même, qui, dans son délire messianique et pseudo-révolutionnaire, avait cru pouvoir prouver, avec ces législatives anticipées, que le peuple est ENCORE corps et âme avec lui ?

L’erreur de Kaïs Saïed, qui est desservi par son inexpérience politique et par sa propension à ne s’écouter que lui-même, est d’avoir cru que la répulsion que l’opposition inspire aux électeurs, fatigués par une décennie de palabres à n’en plus finir et de gabegie socio-économique, équivalait à une adhésion aveugle à sa personne et à son projet politique.

L’autre erreur de Saïed, qui se prend pour un sauveur de la nation, est de n’avoir pas cherché à écouter son peuple, mais d’avoir au contraire essayé, dans tout ce qu’il a entrepris depuis la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, à lui imposer sa vision, son projet et son agenda.

Complètement sourd aux préoccupations des Tunisiens, qui sont d’ordre socio-économique : inflation galopante, chute du pouvoir d’achat (malgré les constantes hausses des salaires), pénuries des produits de première nécessité, dégradation des services publics (éducation, santé, transports, administration, etc.), Saïed a poursuivi la mise en œuvre de son projet politique personnel, sans faire preuve de pédagogie pour le faire admettre par le plus grand nombre et lui garantir l’adhésion populaire nécessaire à sa réussite.

Il faut dire aussi que ce projet est nébuleux, insuffisamment clair dans la tête du chef de l’Etat et si mal présenté par ses partisans, dont les interventions dans les médias l’ont beaucoup desservi, que l’écrasante majorité des Tunisiens y ont vu une dangereuse aventure, qui risque de détruire les fondements du pays sans rien construire sur les ruines ainsi provoquées, et dont le seul résultat concret serait d’instaurer un nouveau pouvoir personnel du genre qu’ils ont déjà connu avec Bourguiba et Ben Ali. Le camouflet des législatives était déjà inscrit dans ce malentendu, mais Saïed, obnubilé par son projet, ne l’a pas vu venir…

Et maintenant, que faire ?

Une question doit cependant être posée : Kaïs Saïed, à qui on reconnaîtra l’honnêteté de ne pas avoir recouru au bourrage des urnes (il est vrai que les temps ont changé et ne le permettent plus), pousserait-il l’honnêteté jusqu’à tirer la leçon de cette défaite et prendre les décisions qu’impose la nouvelle donne, ou persévérerait-il dans ce qui s’apparenterait à une fuite en avant et une aventure sans lendemain, qui se termineraient mal, très mal, pour lui comme pour le pays ? Mais que pourrait-il faire pour éviter le pire et transformer la défaite en sortie honorable ?

Les deux scénarii qui semblent s’imposer, dans une perspective de changement pacifique et dans l’ordre constitutionnel, sont les suivants : 1- reconnaître l’échec et changer de cap, en restant à son poste pour assurer la continuité de l’Etat, tout en ouvrant le dialogue avec l’opposition en vue d’élaborer un plan de sortie de crise et mettre en place un gouvernement de salut national qui mettrait en œuvre ce plan; ou, 2- démissionner et céder le pouvoir à la cheffe du gouvernement, qui aurait pour mission d’assurer la transition politique en concertation avec les différentes forces nationales.

Ce second scénario peut sembler hasardeux pour certains, étant donné le supposé manque de personnalité de Najla Bouden, mais les hommes et les femmes d’Etat peuvent se révéler dans les moments difficiles où ils ou elles peuvent donner la pleine mesure de leur talent de médiation, de négociation et de construction des consensus nécessaires pour avancer.

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