Tunisie : Que faire des entreprises publiques en quasi-faillite ?

Quelque 81 entreprises publiques sur 111 ont vu leurs résultats nets consolidés négatifs augmenter de 1 280% entre 2019 et 2020, résultats qui se sont sans doute aggravés au cours des deux dernières années pour causes de Covid-19 et de guerre entre la Russie et l’Ukraine. Que faire pour se débarrasser de ce boulet de fer qui paralyse l’Etat et empêche toute relance économique dans le pays ? (Illustration : palais du gouvernement à Tunis).

Par Imed Bahri

Sur un total de 111 entreprises publiques en Tunisie, 81 ont connu, en 2020, des résultats nets consolidés négatifs estimées à – 2455,26 millions de dinars tunisiens (MDT) contre – 177,93 MDT en 2019 soit une aggravation de 2 277,33 MDT correspondant à 1 280%.

Selon un rapport de la situation économique et financière des entreprises publiques publié par le ministère des Finances, lundi 9 janvier 2023, cette forte baisse du résultat net consolidé pour l’année 2020 des 81 entreprises concernées est due à l’enregistrement de résultats d’exploitation négatifs d’environ – 1 160,7 MDT en 2020, contre 662,75 MDT en 2019.

Eu égard la crise où se morfond notre pays depuis deux ans en raison de la pandémie de Covid-19 et de la guerre russo-ukrainienne, on peut imaginer que ces données catastrophiques se sont aggravées au cours des années 2021 et 2022. Et que fait l’Etat, entretemps ? Il compte les pertes et attend Godot…  

Baisse de liquidité et hausse du découvert bancaire

Selon le même rapport, il y a eu une baisse de la liquidité des entreprises publiques en 2020 par rapport à 2019, d’une valeur de 325,71 MDT, ce qui équivaut à 9,1%, en raison de la baisse importante de la liquidité de la plupart des entreprises publiques du fait de la régression de leur activité. L’encours mensuel des dépôts bancaires a diminué de 395 MDT au cours de la période 2019-2021 contre l’augmentation du découvert bancaire de 498 MDT.

La détérioration de la situation financière des entreprises publiques et l’absence de liquidités suffisantes ont entraîné leur incapacité à remplir leurs obligations envers l’État en matière de paiement des dettes fiscales et douanières et des prêts qui leur ont été accordés par l’Etat, reconnaît le ministère des Finances dans son rapport.  

La détérioration de la situation financière de ces entreprises publiques entraîne également une augmentation des transferts de subventions directes de l’État pour leur permettre de survivre, d’autant plus que certaines d’entre elles rencontrent des difficultés à remplir leurs obligations, ce qui nécessite dans la plupart des cas l’intervention de l’État à travers leur recapitalisation, indique encore le rapport du ministère des Finances, qui précise, par ailleurs, que 53 des 81 entreprises concernées par le rapport ont enregistré un résultat net négatif avec un total de 2 643,27 MDT.

L’Entreprise tunisienne des activités pétrolières (Etap) est au premier rang des entreprises perdantes avec un résultat négatif de 407,07 MDT, suivie de l’Office des céréales avec 340,59 MDT, la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) de 293,25 MDT, l’Office de l’aviation civile et des aéroports (Oaca) avec 245,89 MDT, Tunisair avec 233,97 MDT et la Transtu avec 219,2 MDT.

Les patates chaudes, à qui les passer ?

Le rapport du ministère des Finances ne dit pas ce qu’il compte faire de ces patates chaudes ni à qui il compte les passer, sachant que la solution de la privatisation, totale ou partielle, n’est même pas sérieusement envisageable, car elle n’est pas seulement catégoriquement rejetée par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), mais le président de la république Kaïs Saïed s’y oppose lui aussi fermement. N’a-t-il pas exprimé, à plusieurs reprises, son refus de privatiser les entreprises publiques, comme lors de sa rencontre, le 16 novembre 2022, avec le ministre des Affaires sociales, Malek Zahi, lorsqu’il avait affirmé qu’il était «contre l’abandon du rôle social de l’État car le droit à une vie décente, à l’éducation, à la santé et autres droits n’est pas soumis aux critères des profits et des pertes», tout en préconisant la réforme des entreprises publiques en difficulté et «la poursuite de tous ceux qui œuvrent à ce qu’elles fassent faillite».

Qui sont ces criminels que le chef de l’Etat désigne à la vindicte populaire et destine aux poursuites judiciaires, sinon les innombrables hauts cadres de l’Etat qui se sont succédé à la tête de ces entreprises publiques au cours des vingt dernières années ?

Cela fait beaucoup de monde à sanctionner, mais, au-delà des déclarations populistes qui remontent les Tunisiens les uns contre les autres, et qui ne sont pas moins criminelles, qu’est-ce que cela pourrait rapporter aux Tunisiens ?

Pas grand-chose, d’autant que la privatisation, si elle était envisagée, ne serait même pas rentable, étant donné la quasi-faillite de la plupart des entreprises publiques, qui souffrent toutes de mauvaise gouvernance chronique et de sureffectif endémique. Que de monde à licencier et que de protestations en vue ! De quoi décourager le plus libéral des commis de l’Etat…

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