Le sélectionneur de l’équipe de Tunisie seniors de football, Jalel Kadri, dévoilera demain, jeudi 16 mars 2023, la liste des joueurs convoqués pour le stage précédent la double confrontation avec la Libye pour le compte de la 3e et 4e journées des qualifications à la prochaine Coupe d’Afrique des nations. Bonne occasion pour revenir sur les atouts et les faiblesses d’un groupe qui ne manque d’allant. Mais qui alterne le bon et le moins bon.
Par Jean-Guillaume Lozato *
L’univers de la chanson légère ne démontre en général rien de philosophique. Sa fonction est avant tout festive. Elle divertit bien avant de suggérer l’émotion. Quant à la pure réflexion… Pourtant le titre interprété avec allégresse par Morthada Ftiti afin d’encourager les Aigles de Carthage pour l’expédition de Qatar 2022 peut nous donner à réfléchir suite aux issues possibles entrevues depuis le dernier Mondial.
Automne 2022. La Tunisie a tenté sa chance au même titre que les autres 31 équipes qualifiées. Avec du bon, du moins bon mais de l’encourageant dans l’ensemble. Alors, bien sûr, de la tribune d’un stade à la tribune d’expression journalistique, les ressentis peuvent s’atténuer, sous l’effet de la distance spatio-temporelle, de la subjectivité et des inévitables imprécisions. Cependant, prendre du recul permet d’établir un bilan et de revenir vers plus d’objectivité.
Un Mondial assez positif mais des questions demeurent
Dans un groupe difficile, les Tunisiens ont su montrer un beau visage lors de la phase de poules, frôlant la qualification pour le tour suivant. Les trois résultats ont pu faire engranger quatre points au terme d’un enchaînement honorable de prestations allant du match nul contre les Danois à la victoire face aux Français. En passant par la défaite devant les Australiens; la faute à une première mi-temps hors sujet avant une seconde mi-temps ponctuée par 73% de possession de balle.
Avec un but encaissé au total pour un but marqué on pourrait parler d’équilibre pour les hommes venus d’Afrique du Nord, qui avaient déjà montré plus d’aspects positifs que de lacunes lors des matches de préparation précédant la Coupe du Monde, à l’exception du revers 1-5 essuyé face au Brésil.
La Tunisie du football semble prendre son temps. Sereinement ou laconiquement selon les cas de figure. Mais un détail a évolué pour le facteur temporel : son équipe nationale joue plus rapidement qu’il y a plusieurs années, ne se contentant plus de la gestion de la balle ou du contre. La Tunisie marque une pause et puis repart. A l’image de ses trois matchs en terre qatarie.
Les Aigles de Carthage prennent leur temps
Ayant démarré un match prometteur face à un adversaire scandinave redouté, les joueurs maghrébins, plus techniques, ont contraint les Danois au partage des points (0-0) et ont terminé leur programme en battant une France (1-0). Une victoire méritée malgré les interrogations et polémiques soulevées par une certaine frange de la presse sportive occidentale. Certes, les Bleus entraînés par Didier Deschamps avaient des blessés mais les Aigles de Carthage avaient eux aussi des circonstances atténuantes. Entre les deux parties avait eu lieu l’opposition avec l’Australie. Une défaite arrivant comme si les footballeurs coachés par Jalel Kadri avaient décidé de prendre une pause.
L’occasion de dresser une constatation en deux temps. Un premier positif qui a montré que les Rouges et Blancs faisaient preuve de caractère, de résilience. Un second qui montre que l’effectif est perfectible, qu’il se doit d’être bien utilisé tant les longs ballons ont été inefficaces en face des Australiens, pendant un match dont la première mi-temps a prouvé que le passage au 4-3-3 pouvait se révéler bénéfique et préfigurer une philosophie de jeu basée sur le 4-3-1-2.
Le tiki-taka pour mieux faire circuler la balle
Pour parvenir aux récentes évolutions de jeu, les internationaux tunisiens ont travaillé dur, n’ont pas démérité pendant les joutes qualificatives et les matchs amicaux. Attendre de voir tout en proposant quelques coups audacieux a été rendu possible par une façon de faire circuler la balle mais aussi de se replacer insufflée par une sorte d’impressionisme projeté sur le tableau footballistique.
La composition qui en a résulté est une disposition des joueurs comme des petites touches avec pour superviseur «coloriste» Aissa Laidouni – qui de par sa vigilance guerrière est à son équipe nationale ce que Sofyan Amrabat représente pour le Maroc – et Wahbi Khazri comme traceur de lignes. Car il s’agit bien de lignes internes à créer ou de lignes adverses à contourner.
La prestation contre le Danemark a mis en lumière cette prédisposition non seulement en résistant mais aussi en agissant par petites remises et passes courtes, même si le flanc droit du bloc tunisien reste à perfectionner. Ce dernier point souligne que la coordination serait à retravailler latéralement davantage que verticalement ou en soutien, avec un système de transmissions de balle rappelant justement le tiki-taka costaricien ou le toque colombien.
Une voie balisée par le Maroc et l’Algérie
Lors des précédentes éditions de la World Cup, la Tunisie avait été soit absente soit très irrégulière. 2010 et 2014 avaient vu l’évolution à grands pas de l’Algérie jusqu’à l’accès au second tour. 2018 avait vu un sursaut marocain annonciateur de belles choses à condition de plus de rigueur tandis que l’Egypte sombrait, et que la Tunisie remportait quand même un match tout en se trouvant éliminée dès le premier tour.
En fait, la question serait de savoir si la Tunisie est capable de consolider ses acquis tout en proposant un saut de catégorie en dépassant la phase de poules à la prochaine Coupe du monde. A son tour de prolonger la brèche qu’elle avait elle-même créée lors de l’épopée argentine de 1978 et de poursuivre l’itinéraire de ses homologues nord-africaines.
Le Maroc a par exemple accompli une formidable Coupe du Monde au Qatar, mais il ne semble pas vouloir s’arrêter là : il a organisé sur ses terres un Mundialito des Clubs ressemblant à une chorégraphie d’ensemble du début jusqu’à la fin. Aux Tunisiens de savoir s’en inspirer tout en sachant effectuer ce qu’ils savent le mieux accomplir: rester eux-mêmes.
L’équipe nationale tunisienne de football possède des arguments fiables mais à consolider comme l’ont démontré ses derniers résultats au cours d’une compétition internationale majeure.
L’évolution passera par la prise de conscience, le management, la préparation mentale un peu à l’image de ce que proposait Timothy Gallwey dans son ouvrage ‘‘Le jeu intérieur du tennis’’, livre de chevet de Bill Gates en personne. La prise de conscience en capitalisant les progrès tout en enregistrant les défauts.
Ainsi, le sens de la rigueur devra être toujours à l’ordre du jour pour éviter des épisodes comme la défaite inattendue contre l’Australie. Une défaite comme référence peut servir à redynamiser un groupe. En ce sens, la démonstration offerte en match amical par le Brésil pourra servir de leçon tout comme la défaite 0-4 à domicile contre ce même pays avait servi à la Turquie pour renaître en participant à l’Euro 2016.
Le management consistera à bien gérer un effectif dont la classe d’âge dominante aura soif de terminer positivement une carrière internationale, à savoir repérer les éventuels espoirs (Hamza Rafia et Bilel Sahli par exemple) et à tenir compte des performances des Tunisiens jouant à l’étranger à l’image d’Elyess Skhiri auteur d’un impressionnant parcours cette saison en Bundesliga.
La préparation physique et tactique tâchera d’insuffler une culture stratégique à des joueurs qui semblent prêts à assimiler des schémas de jeu diversifiés. Ainsi, les artistes tunisiens du ballon rond nous feront-ils passer de l’impressionisme au pointillisme? Le tiki-taka sera là pour nous guider.
* Ecrivain et analyste de football.
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