Le Maroc du football : du rêve à la réalité

France-Maroc, Maroc-France, Europe-Afrique, Orient-Occident… L’imagination se perd en conjectures pour cette affiche des plus attrayantes. Ces deux pays de haute gastronomie, qui ont connu tous deux la royauté et unis par la pratique de la langue française vont se livrer un combat comptant pour une demi-finale de la Coupe du monde de football Qatar 2022.

Par Jean-Guillaume Lozato *

Rencontrer le champion du monde en titre est un honneur doublé d’un piège. Des deux cotés, il s’agira d’une entreprise périlleuse. La France du trident Giroud – Griezmann – Mbappé impressionne énormément offensivement. Pas toujours défensivement. Toutefois, le Maroc a commencé à faire peur. Une intimidation obtenue par les résultats et la manière, qui a rendu perplexes les Espagnols avant leur huitième de finale.

Tout comme la France a éliminé l’Angleterre malgré la pression de deux penalties accordés et pour une fois l’inspiration d’Henderson et Sterling, prolongée par la détermination de Rashford jusqu’à la toute dernière minute, le Maroc a su se qualifier devant le Portugal une des équipes les plus fortes, si ce n’est l’équipe européenne la plus belle à regarder jouer. Samedi après-midi les Rouge et vert ont imposé parfois leur jeu de manière dynamique parfois sans rien proposer d’autre que l’opposition attentiste. Une alternative pour contrer la percussion de Joao Felix et le talent de CR7, les débordements de Leao. Le but marocain pour la victoire 1-0 a confirmé la bonne forme de Youssef En Nessyri et la cohésion du groupe ressoudé par le coach Walid Regragui.

Parcours brillant et échéance déterminante

En vue de la demi-finale du 14 décembre, Français et Marocains devront se rencontrer le plus promptement possible. Faire abstraction sera le mot d’ordre de deux organisateurs hors pair comme Didier Deschamps et Walid Regragui.

Français comme Marocains tiennent à gagner impérativement ce match pour des raisons premièrement sportives mais aussi de rivalités historiques, culturelles, humaines. Avec pour espoir que la presse sportive ne tombe pas dans les bassesses des comparaisons contre-productives comme sur le supposé niveau aléatoire de la CAN. Ou encore dans la polémique stérile concernant les débordements ou les problèmes d’intégration d la communauté maghrébine en Europe.

L’équipe de France a la chance d’avoir Kylian Mbappé et Olivier Giroud. Avec pour soutien Antoine Griezmann capable de mettre sur orbite n’importe quel partenaire comme il l’a fait sur le premier but contre les Anglais. Elle devra se méfier de l’homogénéité marocaine possédant une défense de fer n’ayant concédé qu’un seul but en cinq matches.

Dans le même temps, les Lions de l’Atlas pourront miser sur la qualité aléatoire du jeu proposé par les Bleus dans l’entrejeu ainsi que les ailes perméables de la défense. Heureusement pour les champions du monde qu’il y a Hugo Lloris dans les cages. En misant sur le hors-jeu et en pratiquant un marquage individuel non pas sur Mbappé mais plutôt sur Griezmann et Giroud. Cette alternative entre défense en zone et marquage pourrait créer des difficultés à des adversaires qui misent sur l’explosivité.

Rendez-vous avec l’Histoire

La France veut accrocher une troisième étoile. Les joueurs à l’écusson frappé du coq veulent aussi compter le meilleur buteur du tournoi en la personne de Giroud. Didier Deschamps rêve en secret de devenir un footballeur de haut niveau ayant gagné une étoile en tant que joueur puis deux en tant que sélectionneur.

Pour sa part le Maroc a réalisé l’exploit d’être la première équipe arabe à arriver en quart de finale. Puis la première formation africaine à arriver en demi-finale. Sur sa lancée, penser à obtenir une victoire finale à une compétition de cette envergure n’aurait rien d’indécent pour une équipe membre du dernier carré. Ce qui s’apparenterait à une source de fierté pour le sport arabe en général. Plus particulièrement pour les Maghrébins car nombre d’entre eux résident en France. Les scènes de liesse en Région Parisienne, à Lille, Reims, Marseille ou Nice ont exposé une communauté importante, variée puisque composée essentiellement de Marocains pour l’occasion, mais aussi d’Algériens, d’Egyptiens, de Tunisiens.

C’est sur ces derniers que nous allons nous attarder en premier. Très présents en Ile-de-France et sur l’agglomération niçoise, ce sont ceux qui ont soutenu le plus leurs camarades marocains, suivis par des Algériens déjà un peu plus partagés, puis par les Egyptiens. Une quasi-unanimité qui masque certains aspects oubliés si on rentre dans le détail. En effet, le nationalisme sportif est plus prononcé chez les hommes que chez les femmes. Alors que les supporters peuvent aller jusqu’à être excessifs, les supportrices elles font preuve de plus de modération.

Sihem, Tunisienne de Bizerte, explique : «Je suis pour la Tunisie mais maintenant il ne reste que le Maroc que je me dois de supporter. Mais bon si la France gagne je n’en fais pas une maladie». Celia, étudiant algérienne en Normandie, affirme : «Le Maroc, je le supporte parce que l’Algérie n’est pas là. Mais je suis pour la France aussi». Des propos suivis par des atténuations un peu inattendues de la part du groupe de filles d’à côté émues par les larmes de CR7 «parce qu’il a du charme et que rien que pour lui on supportait un peu le Portugal». Un petit jeu de séduction où l’Italie, pourtant non qualifiée, remporte tous les suffrages à en juger par la phrase prononcée par le groupe en question : «On adore Cadamuro de l’équipe d’Algérie, en plus son père c’est un Italien. Et puis on aime beaucoup les joueurs de l’équipe d’Italie ils ont la classe».

Cette sagesse féminine est contrebalancée par les affirmations plus tranchées des garçons. A commencer par Lotfi B de Paris qui dit avoir exulté pour la qualification marocaine. Il dit, sentencieux : «Bravo le Maroc pour l’Histoire. Les Arabes sont avec vous». Ali S., qui est admirateur de la Juventus depuis sa minorité, déclare que sur sa ville de résidence, «il y a plus de Tunisiens que de Marocains. Mais pour l’occasion tout le monde est derrière les Lions de l’Atlas. Il n’y a plus de calcul, à partir du dernier carré toutes les équipes sont égales et ont leurs chances ». Pour parachever ce tour de supporters, les pensées pleines de sagesse de Kader Derbal, enseignant en Ile-de-France, qui bien que déçu par l’élimination de la Tunisie, continue à rester positif et supporte le Maroc. Tout en soutenant aussi la France qu’il respecte en tant que patrie. Une façon de souhaiter que l’esprit sportif triomphe avant tout.

On se connaît mieux

Quant aux Marocains, ils sont euphoriques. Que ce soit Aziz, quarantenaire installé en France depuis vingt ans. Que ce soit Karim né en France mais se disant «à 100 % pour les Lions pour montrer qui on est aux Français. Et franchement je ne comprends pas les Kabyles qui supportent la France contre nous alors que l’Algérie a subi plus de violences que nous au Maroc». La colonisation est passée par là, y compris pour ceux qui ne l’ont pas connue… Bonne chance aux quatre membres du dernier carré. N’oublions pas la morale sportive: que le meilleur gagne. Pour résoudre le mystère marocain ou l’épaissir encore davantage, souvenons-nous des propos de feu Sa Majesté le Roi Hassan II qui avait déclaré à propos des relations bilatérales franco-marocaines, en réponse à des journalistes de la télévision publique française en décembre 1989: «On vous connaît mieux que vous ne nous connaissez»

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.