Affaire de la BH Bank : l’arbre qui cache la forêt 

Une série d’arrestations et de poursuites ciblant des cadres ainsi qu’un ancien président directeur général d’une banque publique, la BH Bank en l’occurrence, met en évidence les problèmes structurels persistants du secteur bancaire tunisien. Cette affaire révèle des lacunes en matière de gouvernance et de contrôle, soulignant ainsi l’urgence de réformes pour restaurer la confiance et préserver l’intégrité du système financier.

Pat Hssan Briki  

Nous n’entrerons pas dans le fond de l’affaire de la BH Bank, car le peu d’éléments qui en ont filtré ne nous permettent pas d’identifier la nature du délit reproché aux prévenus et la crédibilité des accusations portées contre eux. Si c’est simplement une affaire de prêt accordé sans garanties, comme l’ont relayé certains médias, il convient de rappeler qu’il n’existe aucun texte juridique ou réglementaire obligeant une banque à exiger des garanties pour accorder un prêt, surtout lorsque le client est un opérateur économique ayant pignon sur rue et qui réalise des chiffres d’affaires importants, dont témoignent ses activités bancaires. S’il s’agit d’autre chose, attendons d’y voir plus clair avant de nous lancer dans des jugements. Et même si la justice s’est empressée de les écrouer, les prévenus sont présumés innocents jusqu’à preuve du contraire.

Cette affaire pose un problème plus large, celui du rôle, de la place et de la situation du secteur bancaire dans l’économie tunisienne. Ce secteur, qui compte 38 établissements (ce qui est excessif), fait face à plusieurs problèmes, dont la dispersion, la fragilité et surtout ce que certains qualifient de système de rente.

Mauvaise gouvernance et blanchiment d’argent 

Les banques en Tunisie sont souvent des extensions de conglomérats économiques appartenant à des familles qui contrôlent chacune plusieurs secteurs et y opèrent souvent presque exclusivement. En général, ces conglomérats détiennent des actions dans plusieurs banques, en y possédant la majorité du capital et en contribuant au capital d’autres. Ce qui créé des situations de monopole et de contrôle de certains aspects du cycle économique. 

Dans son rapport pour les années 2018 et 2019, la Cour des Comptes a constaté, à la suite d’une mission de supervision couvrant les banques tunisiennes, que la Banque Centrale n’a pas imposé de sanctions concernant plusieurs violations identifiées lors de précédentes missions d’inspection, portant sur des domaines tels que la gouvernance, le contrôle interne, la lutte contre le blanchiment d’argent, l’octroi de prêts à des taux d’intérêt usuriers et les frais élevés pour les dépôts des épargnants.

La Cour a estimé la valeur des sanctions non-appliquées dans les domaines de la gouvernance et du contrôle interne s’élèvent à environ 123 millions de dinars, et environ 48 millions de dinars dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent.

La Cour a également averti que la Banque Centrale n’a pas mis en place le comité de sanctions prévu par la loi bancaire, un comité indépendant chargé notamment d’imposer des sanctions aux banques enfreignant les dispositions légales et réglementaires relatives aux transactions avec des personnes liées aux établissements bancaires et aux institutions financières. 

Principal bénéficiaire de la crise économique 

Avec ses participations au financement du budget de l’État avec des taux d’intérêt élevés, le secteur bancaire est le principal bénéficiaire de la crise économique et financière en Tunisie. Il profite du financement sécurisé de l’État au détriment de son rôle principal dans le financement des entreprises et des particuliers, la stimulation de la consommation et de l’investissement, ainsi que le financement de projets.

La contribution des banques au financement du gouvernement à travers l’acquisition de bons du Trésor a dépassé 9 milliards de dinars en 2022. En plus des taux d’intérêt élevés et des frais exorbitants pour des services censés être gratuits, tels que les retraits aux distributeurs automatiques et les transferts électroniques, cela explique la hausse du bénéfice net des banques tunisiennes de 10,7% entre 2010 et 2019, alors que la croissance économique annuelle n’a pas dépassé 0,86% entre 2010 et 2020. En comparaison, le secteur bancaire au Maroc a enregistré une croissance annuelle moyenne de «seulement» 4,32% entre 2010 et 2020, malgré la situation économique plus favorable au Maroc qu’en Tunisie.

Pour restaurer la confiance des investisseurs, partenaires et bailleurs de fonds internationaux et préserver l’intégrité du système financier, des réformes profondes et urgentes sont nécessaires. La Tunisie doit repenser son secteur bancaire et surtout réformer ses  banques publiques en mettant l’accent sur l’efficacité, la gouvernance, la transparence et leur rôle primordial dans la relance économique. 

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