Tunisie : Saïed, Bouaskar, l’Isie et l’enjeu de la participation électorale  

En cas de faible participation aux prochaines échéances électorales, en raison de la désaffection des électeurs déjà observée lors des dernières législatives, Farouk Bouaskar et «sa troupe» en seront-ils tenus pour responsables ? Tant il est vrai que l’on peut décréter des élections, mais peut-on en décréter aussi la réussite ?   

Par Imed Bahri

Le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), a indiqué vendredi 15 septembre 2023 que les élections des conseils locaux auront lieu le 17 décembre 2023, date qui sera sans doute officialisée avec la publication prochaine du décret présidentiel convoquant les électeurs pour cette échéance.

S’exprimant lors de la cérémonie de clôture d’une session de formation sur la couverture médiatique des élections organisée au Centre africain pour le perfectionnement des journalistes et des communicateurs (CAPJC), Bouaskar a souligné que les élections locales et régionales constituent une priorité absolue, compte tenu de leur importance comme point de départ pour la création de la deuxième chambre législative, à savoir le Conseil national des régions et des districts devant jouer, selon lui, un rôle décisif.

Le président de l’Isie a évoqué la possibilité de reporter les élections municipales à 2025, sachant que les conseils municipaux issus des élections municipales de 2018, et dont le mandat devait s’achever cette année, ont été dissouts par le président de la république en 2022.

Le calendrier électoral étant serré, d’abord avec les élections locales et régionales en 2023 puis avec les élections présidentielles en 2024, l’organisation des élections municipales avant 2025 sera une très tâche difficile, a estimé Bouaskar.

Le taux participation, unique enjeu politique

Le Conseil de l’Isie s’est réuni vendredi, après avoir rempli ses trois sièges manquants, pour examiner le projet de calendrier électoral des élections locales, ainsi qu’un certain nombre de textes et décrets relatifs à ces élections, a déclaré le président de l’Isie.

Concernant le projet de calendrier électoral, le président de l’Isie a expliqué que la période électorale débutera le 17 septembre, avec 10 jours pour le dépôt des candidatures et 21 pour la campagne, qui s’achèvera un jour avant le scrutin prévu le 17 décembre.

L’Isie fera tout ce qui est en son pouvoir pour renforcer les contrôles sur les sources de financement et lutter contre l’argent politique, a promis Bouaska, ajoutant qu’une réunion avec le Comité de contrôle général des finances, les représentants de la Banque centrale, de la Poste tunisienne et d’autres parties concernées est prévue la semaine prochaine.

Sur un autre plan, Farouk Bouaskar a affirmé que, contrairement aux rumeurs, les partis politiques participent aux élections locales et ont le droit de présenter leurs candidats. Toutefois, les slogans des partis ne sont pas autorisés sur les bulletins de vote, le système électoral étant uninominal. Ce qui vide cette participation de toute substance, étant donné que le processus politique engagé par le président de la république depuis la proclamation de l’état d’urgence, le 25 juillet 2021, vise surtout à marginaliser tous les corps intermédiaires : partis, organisations, société civile…

Il reste cependant à savoir si le taux de participation des électeurs sera aussi faible que celui enregistré lors des législatives de 2022, qui n’a guère dépassé 12%, surtout que le désintérêt du public pour la politique en général s’est aggravé depuis, qu’une bonne partie de la classe politique est soit en prison soit sous le coups de poursuites judiciaires, que mes médias sont sous pression et que la population est aux prises avec les difficultés économiques et les pénuries de produits de première nécessité.

Celui qui paye les musiciens choisit la musique

C’est sans doute pour anticiper un tel désintérêt public qui entacherait la crédibilité et la légitimité des résultats lors des prochaines échéances électorales, que Farouk Bouaskar a indiqué, lors de sa conférence de presse d’hier, que la commission électorale est prête sur le plan logistique et organisationnel pour les élections locales et qu’elle travaille dur pour mobiliser les citoyens et les sensibiliser sur le rôle des conseils locaux.  

Traduire : en cas de faible participation, ce qui est le plus probable, il ne faut en attribuer la responsabilité à M. Bouaskar et à «sa troupe» qui ne se sentent concernés que par l’organisation «technique» des élections, c’est-à-dire par la mise en œuvre les moyens humains et logistiques. L’engouement (ou la désaffection) populaire ne sont pas de leur ressort.

L’Isie a choisi une stratégie de communication basée sur le contact direct avec les citoyens via la Poste tunisienne, a précisé Bouaskar, ajoutant que la commission électorale reste déterminée à assurer le succès des élections à venir, même si la participation électorale est une question politique et ne relève pas de ses attributions.

Si ce n’est pas là une manière de se défausser de la responsabilité de tout éventuel échec sur le président Kaïs Saïed, cela lui ressemble beaucoup. A moins que d’ici là, on lui fera comprendre qu’ils devraient en rendre compte aussi, lui et «sa troupe». Etant admis que celui qui paye les musiciens choisit aussi la musique.  

«Nous n’avons pas besoin d’observateurs étrangers, les Tunisiens peuvent surveiller leurs propres élections», a déclaré le président Kaïs Saïed en présidant la cérémonie de prestation de serment des trois nouveaux membres de la commission électorale, le 14 septembre au Palais de Carthage. «Nous n’envoyons pas de télégrammes à des pays comme la France et les États-Unis d’Amérique pour les remercier de leurs élections transparentes. Et nous n’avons pas besoin de leur témoignage», a ajouté le chef de l’Etat, guoguenard, donnant ainsi le ton de ce que seront les prochaines échéances électorales, «faites maison», comme dirait l’autres, dans un entre soi propice à toutes les suspicions et à toutes les remises en question. D’autant que les partis politiques ne vont pas participer, en tout cas en tant que tels, à ces élections, alors que les dirigeants de l’opposition sont pour la plupart en prison ou sous le coup de poursuites judiciaires, et que ceux d’entre eux qui sont (encore) en liberté comptent les jours de liberté qui leur restent et ne semblent pas particulièrement pressés d’y aller, ne voyant pas beaucoup d’intérêt à cautionner des élections dont ils ne voient ni l’utilité, ni l’urgence ni même la légitimité.

«Nous avons juste besoin de messages de félicitations adressés au peuple tunisien pour le succès des élections», a déclaré le président dans la vidéo postée sur la page Facebook de la présidence de la république, semblant écarter l’hypothèse même d’un boycottage du scrutin par les électeurs, comme cela s’est du reste arrivé lors de dernières législatives, en 2022, marquées par un taux de participation, historiquement le plus faible, de moins de 12%.

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