Le découpage horizontal du territoire de la Tunisie en districts («aqalims») intégrant les régions côtières et celles intérieures, récemment proposé par le président Kaïs Saïed, n’a rien de nouveau, ni de révolutionnaire. La France coloniale et les beys husseïnites l’avaient déjà décrété, sans être jamais mis en œuvre. Et pour cause : il s’est révélé être une très mauvaise bonne idée.
Par Mounir Chebil *
Enfin, la Tunisie est promue à très court terme à un avenir radieux et à une prospérité éternelle. Les experts de pacotille et les planificateurs frappés de myopie ont perdu leur temps à papoter dans le vide. Ils n’ont pas compris que le progrès et le développement harmonieux résident dans le découpage du pays en régions. Le comble de l’ignorance c’est qu’ils n’ont pas creusé dans l’histoire pour s’apercevoir que notre mère patrie la France et notre Bey bien vénéré ont bien pensé à nous en procédant, il y a bien longtemps, au découpage du pays en régions. Ils nous ont légué un découpage bien ajusté auquel il a juste fallu opérer quelques petites rectifications.
Un legs colonial
En effet le décret du 10 février 1944 modifiant l’organisation régionale de la Tunisie énonce ceci :
Louange à Dieu !
Nous Mohamed Lamine Pacha Bey, possesseur du royaume de Tunis,
Vu le décret du 27 mars 1928 relatif à la réorganisation des Conseils de Caïdats et des Conseil des régions,
Vu notre décret du 27 mais 1943 modifiant l’organisation régionale de la Tunisie,
Vu notre décret du 8 août 1943 sur la déconcentration administrative
Vu la proposition du Secrétaire général du gouvernement et la proposition de notre Premier ministre,
Avons pris le décret suivant:
«L’article 10 du décret du 17 mars 1928 susvisé est modifié ainsi qu’il suit:
Art 10 Division du Territoire en régions. Les Caïdats administratifs sont groupé en régions ainsi qu’il suit :
Région de Bizerte (1ère région) comprend les Caïdats dépendant des circonscriptions de Béja, Bizerte, Tabarka Souk El-Arba (actuelle Jendouba, Ndlr);
Régions de Tunis (2ème région) comprend les Caïdats dépendant des circonscriptions de Tunis-ville, Tunis Banlieue, Zaghoan, Grombalia et Medjez El-Bab;
Région du Kef (3ème), comprend les Caïdats dépendant des circonscriptions de Téboursouk, le Kef, Maktar;
Région de Sousse (4ème région) comprend les Caïdats dépendant des circonscriptions de Sousse, Kairouan, Kasserine, et Mahdia;
Région de Sfax (5ème) comprend les Caïdats dépendant des circonscriptions de Sfax, Gafsa, Tozeur et Djerba;
Région de Gabès (6ème) comprend les Caïdats dépendant des circonscriptions de Gabès, Kébili, Matmata, Medenine, Foum Tataouine, Zarzis et Ben Guerdane.»
Nivellement par le bas
Le nouveau découpage régional proposé en septembre 2023 par le président de la république Kaïs Saïed a apporté quelques menus changements.
La région du Kef a été intégrée à celle de Bizerte et Souk El-Arba, intégration qui nous semble aller de soi.
La région de Grombalia a été intégrée dans celle de Nabeul car elle constitue actuellement une délégation de ce gouvernorat.
En 1944, Siliana relevait de la circonscription de Kairouan, qui était comprise dans la région de Sousse. Devenue depuis 1974 un gouvernorat, Siliana est naturellement intégrée dans la région de Sousse.
En 1944, Djerba était intégrée dans la région de Sfax, mais avec le nouveau découpage, elle est comprise dans la région de Gabès vu qu’elle est plus proche de cette dernière que de Sfax.
En quatre vingt ans, nous n’avons pas avancé d’un iota. Prendre un crayon et tracer le découpage d’un territoire est une opération facile, il reste l’essentiel, à savoir l’impulsion d’une dynamique de développement horizontal qui intègre les zones côtières et l’intérieur du pays. Et c’est là une autre paire de manche, qui exige davantage d’imagination et, surtout, de moyens financiers que la Tunisie, traversant aujourd’hui une grave crise financière, ne possède pas. Les urgences nous semblent donc se situer ailleurs que dans ce tracé qui a peu de chance de dépasser l’effet d’annonce.
Sur un autre plan, et au-delà du tracé en tant que tel, le plus grand problème restera de définir l’autorité qui va présider aux affaires de la région et de délimiter ses attributions. Et là, le risque de raviver les clivages régionaux, tribaux et claniques reste important, ce qui freinera toute action de développement dans un pays où l’Etat centralise tout et où tout passe nécessairement par Tunis, sinon plutôt, depuis le 25 juillet 2021, par Carthage.
Tout porte donc à croire que le découpage régional de septembre 2023, au lieu de relancer un processus de développement déjà paralysé, pourrait consacrer le nivellement par le bas en ankylosant les grands pôles économiques existants. En d’autres termes, au lieu d’essayer d’enrichir les pauvres par de vrais programmes de relance économique régionale, on risque d’appauvrir les riches en mettant des obstacles administratifs devant toute entreprise.
Ainsi va la Tunisie d’aujourd’hui, à reculons, en regardant dans le rétroviseur…
* Haut fonctionnaire à la retraite.
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