La Tunisie peine à se mettre à niveau et à relancer son économie grippée par des décennies de conservatisme et de résistance au changement. Réfractaires au changement, conservateurs et partisans du moindre effort, les Tunisiens, ou la majorité d’entre eux, ne donnent pas l’impression de vouloir évoluer avec leur temps. D’où l’impasse où ils s’enferment aujourd’hui…
Par Imed Bahri
Le système économique tunisien vieillit et devient inopérant et couteux, mais il tarde à mettre en route les réformes qui s’imposent pour régénérer et se relancer. On ne sait pas exactement pourquoi. Faut-il s’attaquer aux forces réactionnaires qui tirent profit du statut-quo et du maintien de certains privilèges indus ? Ou bien bousculer une administration publique pesante, inefficace et parfois même complice de certains lobbies d’intérêts ? Ou les deux à la fois, le pays étant gangrené par la corruption et paralysé par l’incompétence de ses élites gouvernantes ?
Il y a sans doute un peu de tout cela à la fois, et le diagnostic quelque peu brutal que fait Kaïs Saïed, selon lequel l’administration publique résiste à tout changement et empêche la mise en œuvre des changements rendus nécessaires par l’état de délabrement général du pays, est à peine exagéré, même si l’on peut reprocher au président de la république d’être plus conservateur encore que ses compatriotes et avoir des réserves sur son style imprécatoire, qui confond action et incantation, prend la proie pour l’ombre et se trompe de combats et de cibles, faisant perdre au pays plus de temps et d’occasions.
Un désastre économique
Pour prendre conscience de l’ampleur du désastre économique actuel en Tunisie, il suffit de voir comment l’Etat continue d’emprunter et de s’endetter, à l’extérieur et à l’intérieur, pour financer son faramineux budget et payer les salaires d’une armée de fonctionnaires dont l’inefficacité n’a d’égal que l’arrogance. Alors qu’il aurait pu rééquilibrer ses finances publiques en venant à bout de l’économie parallèle et en collectant mieux ses impôts auxquels ne sont toujours soumis que les bons contribuables. Allez comprendre pourquoi ?
Pour expliquer cet état de fait, que l’on déplore depuis des décennies, on peut parler de laisser-aller, de gabegie, voire de complicité active des services du fisc avec tous les fraudeurs de la république.
On peut aussi être plus indulgents et parler d’incompétence crasse. Car les procédures pour une meilleure justice fiscale existent depuis belle lurette et elles ont été largement expérimentées aux quatre coins du monde, pourquoi notre chère administration fiscale est-elle incapable de les mettre en œuvre, alors qu’avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication, tout devient possible sinon facile et à la portée de tous ?
Sauf à vouloir continuer à se ménager des marges pour les marchandages, les transactions douteuses et la corruption pure et simple, notre administration fiscale n’a plus aucune excuse pour continuer à travailler de la manière sous-développée qui est la sienne et qui privilégie le contact physique direct avec les contribuables, et surtout les fraudeurs et les corruptibles parmi eux.
Dans ce contexte, les projets visant à réformer le service d’impôt – souvent financés par des dons et des prêts étrangers – se multiplient sans qu’on en voie d’impacts palpables sur le système dans son ensemble qui continue de se complaire dans la médiocrité.
On a souvent parlé, à chaque discussion d’une loi de finances, de mesures fermes pour lutter contre l’évasion fiscale et instaurer un minimum d’équité entre les contribuables, les bons que l’on persiste à faire saigner et les mauvais que l’on continue d’engraisser. Or, les discours sont rapidement oubliés et les annonces à grand renfort de propagande politique sont rarement suivies d’effet.
Les empêcheurs d’évoluer
A ce propos, Elyes Kasri a rappelé à juste titre, dans un post facebook, publié ce samedi 30 septembre 2023, un projet annoncé à cor et à cri et dont le lancement – que l’on disait imminent – a été suivi d’un grand tapage médiatique, avant d’être abandonné en chemin.
«Je crois me rappeler que Feu Slim Chaker avait prévu en 2016, lorsqu’il était ministre des Finances sous Feu Béji Caïd Essebsi, de faire installer des caisses enregistreuses électroniques dans les salons de thé et autres commerces demeurés pendant trop longtemps fiscalement furtifs», écrit l’ancien ambassadeur. Et de rafraîchir la mémoire trop oublieuse de nos responsables : «Presque huit ans après, alors que le trésor public est en difficulté et qu’un effort politique louable est fait pour démanteler les lobbies et cartels, il serait peut être judicieux de mettre en œuvre le programme prévu par Feu Slim Chaker et de l’étendre à tous les commerces assujettis au régime fiscal réel.»
On pourrait se demander pourquoi ce projet a-t-il été «enterré», et c’est le cas de le dire, avec son initiateur, décédé le 8 octobre 2017, et s’interroger sur les obstacles contre lesquels il a buté ou les lobbys d’intérêt – les contribuables soumis au fameux régime forfaitaire (avocats, médecins, architectes et autres métiers libéraux) – qui ont réussi à empêcher sa mise en œuvre en soudoyant les hommes politiques et les gros pontes de l’administration publique.
On se souvient, à ce propos, des combats homériques livrés par ces derniers, qui étaient nombreux sous la coupole de l’Assemblée, contre les rares mesures intégrées aux lois de finances successives et qui visaient une meilleure équité fiscale. Et on comprend pourquoi notre pays peine à se mettre à niveau : réfractaire, conservateur et partisan du moindre effort, il s’enfonce dans la crise chaque jour un peu plus et va dans le mur en claxonnant.
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