Tunisie : des élections locales pour quoi faire ?

Malgré les appels au boycott émanant de la plupart des partis de l’opposition, la Tunisie organisera dans une semaine des élections locales dont peu de Tunisiens voient l’utilité ou l’urgence, les problèmes économiques et sociaux du pays ayant la priorité à leurs yeux.

Par Imed Bahri

Ces élections auront lieu dimanche prochain, 24 décembre 2023, parce que le président de la république Kaïs Saïed y tient pour parachever son projet politique et consolider son pouvoir personnel. C’est ce que pensent en tout cas tous les opposants qui appellent au boycott, tout en dénonçant ce qu’il appellent le «coup d’Etat permanent», par allusion au processus politique engagé en solo par le locataire du Palais de Carthage.

D’ailleurs, ces premières élections locales se tiennent dans le cadre de la nouvelle constitution rédigée et promulguée par le même Saïed le 16 août 2022, lors d’un référendum marqué un faible taux de participation, onze mois après la proclamation de l’état d’exception et l’accaparement de tous les pouvoirs par le président en exercice.

Des membres tirés au sort  

Ces élections devaient avoir lieu le 17 décembre, selon ce qu’a annoncé le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections  (Isie), Farouk Bouaskar, le 10 septembre, mais le président Saïed a décidé de les repousser d’une semaine pour leur donner une portée symbolique. Le 24 décembre marque en effet le 13e anniversaire de la mort des jeunes militants Mohamed Amri et Chaouki Hidri lors des émeutes de la révolution tunisienne qui a renversé l’ancien dictateur Zine El Abidine Ben Ali (17 décembre 2010 – 14 janvier 2011).

Selon la nouvelle constitution, la fonction législative en Tunisie est assurée par deux chambres : la Chambre des représentants du peuple, qui a commencé ses travaux en mars dernier, et le Conseil national des régions et des districts, qui reste à élire.

La Constitution de 2022 donne aux assemblées régionales la prérogative d’élire les membres du Conseil national des régions et des districts. A cet effet, les membres des assemblées locales tireront au sort ceux parmi eux qui siègeront dans les assemblées régionales, lesquelles éliront à leur tour les membres de la chambre haute.

Parlant de ces élections lors d’une réunion avec son cabinet le jeudi 21 septembre, le chef de l’Etat a déclaré : «Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier tour, un second tour aura lieu, au cours duquel seuls les premier et deuxième candidats ayant obtenu la majorité des voix au premier tour seront retenus».

Ce système électoral est jugé sophistiqué par beaucoup d’experts et nécessitant d’importantes préparations logistiques et humaines, d’autant que les élections de dimanche prochain se tiendront dans 2 155 circonscriptions électorales, contre seulement 350 lors des élections municipales de 2018.

Vers un taux d’abstention record

«Les projets liés au budget de l’État et aux plans de développement locaux, régionaux et nationaux doivent être soumis au Conseil national des régions et des districts afin d’assurer un équilibre entre les régions et les districts», lit-on dans la constitution de 2022.»

«D’un point de vue politique, nous ne pouvons pas organiser d’élections alors que nous sommes dans un état de démobilisation générale à l’égard de tout processus politique», a déclaré Oussama Ouidet, porte-parole du mouvement Echaab, à Al-Araby Al-Jadeed. Ce parti, qui a soutenu le régime de Saïed depuis 2021, a déclaré que les élections devaient être reportées jusqu’à ce que la confiance soit rétablie dans l’État.

Il faut dire que la plupart des observateurs s’attendent dimanche prochain à un taux d’abstention record semblable à celui enregistré en décembre 2022, lors des élections législatives qui ont donné naissance à un parlement dont la légitimité est remise en question pour avoir été élu avec un taux de participation inférieur à 12%.

Sur un autre plan, les citoyens ne semblent pas porter un grand intérêt aux élections locales, car leur esprit est ailleurs : ils se plaignent de la hausse des prix, de la baisse du pouvoir d’achat, de la détérioration de leurs conditions de vie et des pénuries récurrentes des produits de première nécessité : carburants, farine, semoule, huile de cuisson, sucre, café, médicaments… Ainsi que de la détérioration des infrastructures publiques : moyens de transport, écoles, hôpitaux… Et de l’absence d’horizon pour eux et de débouchés pour leurs enfants, sur fond de grave crise des finances publiques.

Ces considérations, le président Saïed les écarte d’un revers de la main, estimant que les élections locales sont nécessaires pour arracher la Tunisie à l’emprise d’une élite politique corrompue et égoïste qu’il se donne pour mission quasi-divine de combattre par tous les moyens.

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