Le nombre d’hommes d’affaires, et pas des moindres, qui croupissent en prison n’a jamais atteint son niveau actuel en Tunisie. C’est un très mauvais signal envoyé à la communauté des affaires, à l’intérieur et à l’extérieur, au moment où l’investissement, intérieur et extérieur, atteint des niveaux historiquement bas. Ceci explique cela…
Ridha Kefi
Disons-le tout de suite : dans une république digne de ce nom, personne n’est au-dessus de la loi et celui qui commet un délit, quel qu’il soit, doit être déféré devant une justice équitable et payer pour ses actes. Les hommes d’affaires, tout comme les journalistes, les avocats, les activistes politiques ou autres célébrités du showbiz, ne sont pas au-dessus du lot, surtout lorsqu’ils s’autorisent de transgresser la loi.
Reste que la prison doit être un dernier recours, lorsque le prévenu en question a commis un crime d’une telle gravité qu’il ne saurait être question de le faire bénéficier de la liberté conditionnelle.
Préserver l’intérêt national
Mais lorsqu’il s’agit, comme dans le cas de la plupart des hommes d’affaires aujourd’hui sous les verrous, de délits à caractère économique et financier, il y a toujours moyen de faire passer la justice tout en évitant de priver le prévenu de sa liberté de mouvement afin qu’il puisse continuer de gérer ses affaires.
A cet égard, la liberté provisoire assortie du paiement d’une lourde caution, d’une interdiction de voyager et même, le cas échéant, d’un contrôle administratif strict suffiraient amplement. Le but étant de préserver l’intérêt national. Car, au-delà de la pérennité des entreprises que ces suspects dirigent et de l’intérêt des dizaines de milliers de salariés qu’ils emploient et de fournisseurs qu’ils font vivre, c’est un climat des affaires apaisé et confiant qu’il s’agit d’instaurer ainsi, tout en laissant la justice suivre son cours.
Dans la lutte contre la corruption, mission que se donne en priorité le président de la république Kaïs Saïed, on peut toujours chercher à convaincre par l’exemple, la peur de la prison pouvant dissuader les apprentis corrupteurs et les corrompus potentiels. Mais où s’arrête l’exemple et où commence la vengeance ? A quel niveau placer le curseur ?
Par la publicité dont elles sont généralement entourées, l’arrestation, la mise en examen et la détention provisoire sont déjà assez dissuasives en elles mêmes pour que la liberté conditionnelle, accordée dans les conditions énumérées ci-haut, puisse permettre à la justice de suivre son cours – souvent long et fastidieux – et au prévenu de poursuivre ses activités dont bénéficie forcément, directement ou indirectement, la communauté nationale.
Pour un retour de la confiance
Le grand bénéficiaire serait, en dernière instance, le climat des affaires, qui gagnerait à être assaini, avec un retour de la confiance en la justice, principal pilier de l’Etat de droit, aujourd’hui très décriée, à l’intérieur comme à l’extérieur, et souvent évoquée par les investisseurs, nationaux et étrangers, comme étant un obstacle à la bonne marche des affaires.
Il y a des moments où le juge, tout en étant soucieux de faire appliquer la loi, ne doit pas oublier qu’il reste avant tout un citoyen et qu’au moment de prendre une décision de justice, il est tenu de penser aussi à l’intérêt supérieur de la nation. Et l’intérêt de la Tunisie, qui traverse aujourd’hui l’une de ses plus graves crises économiques et financières, ne réside pas dans la culture de la haine, l’esprit de vengeance ou le maintien en prison d’opérateurs économiques majeurs comme Ridha Charfeddine, Marouane Mabrouk, Mohamed Frikha, Maher Chaabane ou autres Kamel Eltaief, pour ne citer que ceux-là qui sont à la tête de groupes prospères (pour combien de temps encore?), sans parler des nombreux autres de leurs collègues qui se sont réfugiés à l’étranger pour fuir les fourches caudines d’une justice très formaliste ou qui sont carrément en train de s’établir sous des cieux plus cléments.
L’intérêt de la Tunisie réside plutôt dans le retour de la confiance, la paix des cœurs et la libération des énergies créatrices de richesses que seule une justice équitable et citoyenne sait garantir, tout en faisant appliquer la loi strictement à tous ceux qui la transgressent.