L’Afrique, plus instable que jamais, livrée à elle-même!

Le tableau est sombre. Jamais l’Afrique ne s’est autant mal portée. Guerres, terrorisme, corruption endémique, régimes précaires et instables, dérèglement climatique, extrême pauvreté, et en même temps, le continent n’intéresse pas la communauté internationale surtout occidentale qui ne l’évoque que pour se plaindre des flux migratoires et pour empêcher les migrants d’arriver en Europe dans des surenchères électoralistes de plus en plus xénophobes. S’attaquer aux causes de la problématique n’intéresse personne mais en fuyant les véritables raisons, les flux ne pourront être contenus et la citadelle Europe ne tiendra pas longtemps. 

Imed Bahri

Selon une enquête du Wall Street Journal (WSJ), le continent africain est aujourd’hui le théâtre d’un plus grand nombre de conflits que jamais auparavant qui plus est, presque sans que personne ne s’en aperçoive car les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient ont détourné l’attention du monde. 

La directrice du bureau du journal en Afrique, Gabriele Steinhauser, a souligné que les anciennes guerres dans la région se sont intensifiées comme les conflits dans le nord du Nigeria, en Somalie et la guerre des factions armées dans l’est de la République démocratique du Congo. E d’ajouter que les conflits des chefs militaires à l’Est du continent, en Éthiopie et au Soudan, déstabilisent deux des pays africains parmi les plus grands et les plus peuplés et en même temps les pays de l’Ouest sont devenus le cœur du djihad mondial dans lequel les branches d’Al-Qaïda et de l’État islamique se battent entre elles mais aussi contre des régimes militaires instables. 

Selon les données recueillies par l’Université d’Uppsala en Suède et analysées par l’Institut norvégien de recherche sur la paix à Oslo, cette année seulement, 28 conflits ont été enregistrés dans 16 des 54 pays du continent soit plus que toute autre région du monde.

Ce décompte n’inclut pas les conflits qui n’impliquent pas de forces gouvernementales comme l’un des belligérants à l’exemple des différentes communautés ou factions armées qui se battent entre elles et dont le nombre a également doublé depuis 2010.

Les armées de l’Otan sont passées par là

Selon l’auteur, aucun facteur unique n’explique l’émergence et l’escalade de nombreux conflits différents dans cette immense région géographique mais les experts estiment que le manque de stabilité politique après les guerres d’indépendance a rendu de nombreux pays vulnérables au danger.

Selon le WSJ, les causes des conflits diffèrent selon les pays africains: dans les anciennes colonies françaises de la région du Sahel, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les coups d’État militaires ont été le début des conflits.

Quant à la République démocratique du Congo et au Nigeria, leurs gouvernements n’ont pas pu imposer leur contrôle sur de vastes zones de leur territoire ce qui a ouvert la voie aux dirigeants locaux et étrangers pour se disputer les ressources et le pouvoir souvent par la violence.

En Éthiopie, les tentatives du Premier ministre Abiy Ahmed en 2018 de centraliser le pouvoir après des décennies de domination du Front populaire de libération du Tigré ont déclenché une série de rébellions et d’affrontements entre milices régionales tandis qu’au Soudan, les généraux Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan Dagalo sont devenus rivaux après deux ans de gouvernement civil qui était censé assurer la transition du pays vers la démocratie.

L’un des tournants a eu lieu en 2011, lorsque les armées de l’Otan sont intervenues en Libye contre le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi ce qui a plongé la Libye dans le chaos et conduit des milliers d’hommes armés à se déplacer vers le sud, vers le Mali, déclenchant le soulèvement du mouvement touareg contre le gouvernement central de ce pays.

«Pour la région du Sahel, le problème est clairement l’effondrement de la Libye et la prolifération des armes et des différentes idéologies qui en résulte», explique Ken Opalo, universitaire kenyan et professeur adjoint à l’École du service extérieur de l’Université de Georgetown. Il a ajouté: «Le résultat de cette affaire est que nous avons des États fragiles, beaucoup d’armes et de jeunes venant de Libye, des idéologies venant du Pakistan et puis tout prend feu.»

Le WSJ estime que compter les morts dans les conflits africains est très difficile car l’accès des journalistes et des groupes humanitaires aux lignes de front est difficile et l’interruption des services téléphoniques et Internet qui a accompagné les guerres au Soudan et dans la région du Tigré en Éthiopie complique les efforts visant à suivre les événements et à faire le décompte des personnes décédées. La faim ainsi que l’effondrement des services médicaux qui accompagne les combats fait également de nombreuses victimes.

Selon le journal américain, il ressort clairement des données que les civils sont plus vulnérables aux attaques délibérées dans les conflits en Afrique que dans de nombreuses guerres ailleurs.

Femmes et enfants plus vulnérables au danger

Les experts de l’Université de Gand en Belgique ont estimé que la guerre de deux ans entre le gouvernement éthiopien et le Front populaire de libération du Tigré a causé la mort de 162 000 à 378 000 civils tandis que les conflits croissants ont entraîné le déplacement d’un nombre record d’Africains -la plupart d’entre eux au sein de leur pays- de sorte que le continent abrite désormais environ la moitié de la population mondiale déplacée interne, estimée à 32,5 millions à la fin de 2023.

Le rapport souligne que le déplacement rend les femmes et les enfants plus vulnérables au danger. Dans l’est de la République démocratique du Congo, les responsables locaux et les agents de santé estiment que 80% des femmes vivant dans les camps de personnes déplacées ont été violées et beaucoup d’entre elles l’ont été à plusieurs reprises.

Le WSJ relève que les conflits actuels en Afrique n’ont pas provoqué l’élan de sympathie occidentale qui a accompagné l’invasion de l’Ukraine par la Russie ni la colère suscitée par la guerre d’Israël à Gaza ni rien d’équivalent aux concerts d’aide organisés pour mettre fin à la famine en Éthiopie dans les années 1980 ni les marches de protestation contre le génocide au Darfour au début du XXIe siècle.

Ce manque d’intérêt populaire international se traduit par un manque d’action politique pour résoudre les conflits et soulager les souffrances en Afrique. Selon une analyse menée par l’organisation à but non lucratif One Campaign, la part de l’Afrique dans l’aide publique au développement des pays riches a atteint son plus bas niveau depuis l’an 2000.

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