Israël va utiliser l’aide humanitaire pour déplacer la population palestinienne

Le Financial Times a publié une enquête de Neri Zilber, Mihul Strivastava et David Sheppard qui fait la lumière sur une entité jusque-là inconnue qui est sur le point de contrôler la distribution de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza.  L’enquête révèle qu’un certain nombre de mercenaires étrangers sont arrivés en Israël pour mettre en œuvre un plan controversé, soutenu par les États-Unis, qui pourrait forcer les Nations Unies à abandonner leur rôle dans la gestion de l’une des pires crises humanitaires au monde. 

Imed Bahri

Cette semaine, Israël a autorisé 60 camions à entrer dans la bande de Gaza suite à une vague de condamnations internationales concernant le blocus de ce territoire palestinien occupé qui dure depuis trois mois et qui a poussé la population au bord de la famine.

Pour Israël, c’est la dernière étape avant l’entrée en fonction du mécanisme soutenu et défendu par l’administration du président Donald Trump. Ce mécanisme devrait être prêt d’ici la fin du mois ce qui en fera le seul moyen pour l’aide d’entrer dans la bande de Gaza.

Une distribution alimentaire contrôlée par l’armée israélienne

La dénommée Fondation humanitaire pour Gaza, une organisation de droit suisse peu connue, distribuera l’aide dans des centres de distribution gardés par l’armée israélienne et des entreprises privées. Si l’Onu et d’autres agences veulent distribuer de l’aide, elles devront utiliser ces sites, dont la plupart sont concentrés dans le sud de Gaza, obligeant les Palestiniens à parcourir de longues distances pour obtenir de la nourriture.

Cependant, depuis son introduction initiale début mai, l’initiative d’aide a rencontré de multiples problèmes et des personnes au courant de ce projet affirment qu’il n’est ni capable ni prêt à nourrir plus de deux millions de Palestiniens. Ces mêmes personnes indiquent que le projet a bénéficié des conseils informels de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair.

Les Nations Unies qui ont longtemps été le principal fournisseur d’aide à Gaza ont condamné cet arrangement comme une couverture pour le déplacement des populations civiles palestiniennes. Tandis que l’une des personnes dont le nom a été ébruité comme étant membre du conseil d’administration de la fondation a indiqué au Financial Times qu’elle n’en avait jamais fait partie. «Tout cela est devenu une source de controverse et de négativité», a déclaré une personne familière du projet.

Une couverture pour le déplacement des populations civiles

La Fondation humanitaire de Gaza affirme qu’elle distribuera 300 millions de repas au cours des trois prochains mois. Selon le projet de plan, les Palestiniens recevront des repas coûtant 1,30 $ chacun, y compris le coût des mercenaires étrangers engagés pour surveiller la nourriture et les installations.

Cependant, il n’y a pas d’informations claires sur la façon dont l’organisation est financée et aucun pays donateur étranger n’avait contribué à ses finances jusqu’à la fin de la semaine dernière, ce qui soulève des doutes sur son financement et sur la provenance du soutien selon trois personnes proches du dossier. Une personne familière avec les opérations de la Fondation humanitaire pour Gaza a déclaré que les donateurs avaient promis au moins 100 millions de dollars mais n’a pas donné leurs noms.

Dès le début, le projet a cherché à attirer des personnalités du monde humanitaire. Trois personnes au courant du dossier ont déclaré que Blair avait parlé avec David Beasley, l’ancien directeur du Programme alimentaire mondial, qui figure dans un document de la Global Humanitarian Finance Foundation comme membre potentiel du conseil d’administration, pour examiner le plan. Peut-être qu’en associant Beasley, ancien gouverneur de Caroline du Sud qui dirigera par la suite le Programme alimentaire mondial lorsque celui-ci a remporté le prix Nobel, renforce la crédibilité du projet. Pour sa part, M. Beasley n’a pas répondu aux appels et aux messages le sollicitant pour réagir.

Nat Mock, directeur de World Kitchen, dont l’association caritative a aidé à nourrir des centaines de milliers de Palestiniens avant que les réserves ne s’épuisent en raison du blocus, a été cité comme membre du conseil d’administration de la Fondation humanitaire pour Gaza. 

Le FT a cité Mook disant qu’il n’était pas membre du conseil sans fournir plus d’informations. Une personne proche du dossier a déclaré que «le nom de Mook figurait dans une note interne et malheureusement, il a été divulgué aux médias». 

La Fondation humanitaire de Gaza a soulevé de nombreuses questions sur sa structure opaque. Elle comprend une branche suisse fondée début février par un citoyen arménien qui n’a aucun lien étroit avec le travail humanitaire et une deuxième branche américaine non nommée. Peu d’informations sur le financement de la fondation ont été divulguées.

Ces derniers jours, les médias israéliens ont publié des images de sous-traitants et de mercenaires étrangers en uniformes kaki atterrissant en Israël et recevant des briefings avant d’être déployés pour garder les convois d’aide et les sites de distribution.

Un moyen d’expulser à terme les habitants de Gaza

Deux sociétés de sécurité, Safe Solutions et UG Solutions, sont impliquées dans le plan. Elles ont déjà géré les points de contrôle à l’intérieur de Gaza au début de cette année pendant la courte trêve qui a duré jusqu’au 18 mars.

Le directeur exécutif de la Fondation humanitaire de Gaza, Jay Wood, un ancien Marine qui dirige l’agence de secours Team Rubicon, a déclaré que même si le plan n’est pas complet, il est le seul disponible et bénéficie de l’approbation israélienne.

«Nous nous engageons à fournir une aide humanitaire d’une manière qui ne semble pas militarisée», a déclaré un porte-parole de la Fondation humanitaire de Gaza ajoutant que «la distribution sera effectuée uniquement par des équipes civiles». Il a également fait part des inquiétudes des Nations Unies mais c’est le seul moyen d’apporter de l’aide à Gaza, qui est affamée, avec l’approbation d’Israël.

L’Institut Tony Blair a nié que l’ancien Premier ministre britannique ait fourni des conseils officiels en faveur du projet. Les Nations Unies et d’autres agences ont jusqu’à présent refusé d’y participer arguant que la création d’un petit nombre de centres de distribution collective dont la plupart sont situés dans le sud de Gaza forcerait les Palestiniens affamés à amener leurs familles dans la zone proche de l’Égypte.

Les inquiétudes ont été renforcées par les déclarations de Bezalel Smotrich, le ministre israélien des Finances d’extrême droite, dans lesquelles il a décrit la dernière opération israélienne comme un moyen d’expulser à terme les habitants de Gaza et de «changer le cours de l’histoire». 

Tom Fletcher, le coordinateur humanitaire de l’Onu, a averti dans un discours au Conseil de sécurité la semaine dernière que le plan de la Fondation humanitaire pour Gaza rend l’aide conditionnée à des objectifs politiques et militaires et fait de la famine un argument de négociation.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!