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Blague de l’année : Rupture entre l’Arabie saoudite et le Qatar

Le président Trump et le roi Salmane : l’argent adoucit les moeurs. 

La raison invoquée par l’Arabie Saoudite et ses alliés arabes pour justifier la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar mérite l’oscar de la meilleure blague de l’année.

Par Yassine Essid

Voilà un Etat, longuement pointé du doigt pour sa contribution historique à la diffusion de l’idéologie wahhabite-salafiste, devenue un terreau riche et noir propre à la fermentation de mouvements djihadistes de par le monde, qui se refait une vertu en dénonçant un rival qui lui dispute désormais le premier rang dans ce domaine.

Sinistre politique qui avait débouché, comme on sait, sur le radicalisme terroriste incontrôlable d’Al-Qaïda et de l’Etat islamique (Daech), qui représentent aujourd’hui le plus grand danger pour la monarchie elle-même.

Virage dans la politique proche-orientale des Etats-Unis

Ceux qui avaient pourtant été mis sur orbite par Riyad seraient, par un retour de manivelle, retournés contre leurs anciens maîtres qu’ils accusent de ne pas respecter les préceptes de l’islam et sont devenus à leur tour une menace pour la propre existence de la dynastie Al-Saoud.

Le vieux lion et le jeune loup

Rien ne va plus entre le vieux lion (roi d’Arabie) et le jeune loup (émir du Qatar). 

Mais avaler de telles couleuvres officielles sur la collusion du Qatar avec le terrorisme, et sa mise au ban par ses voisins du Golfe et de l’Egypte, rejoint par d’autres pays, c’est aller vite en besogne. Une décision politique aussi extrême, bien que constituant une explication suffisante et bien commode pour le régime saoudien, a peu à voir avec la lutte anti-djihadiste et beaucoup à voir avec d’autres raisons aux effets moins apparents. Ce qui est sûr, cependant, c’est qu’elle ne saurait émaner d’un sursaut de conscience de la part des Saoudiens devenus subitement partisans de la paix. Elle constitue, par ailleurs, un virage dans la politique proche-orientale des Etats-Unis, notamment vis-à-vis des rapports que l’islam entretient avec le terrorisme. Un tournant rendu effectif suite à la visite de Donald Trump à Riyad.

En revenant un peu en arrière, on se rend compte que des événements qui se produisent de manière aussi imprévue avec effet immédiat ont des circonstances, des suites et des causes. C’est ainsi qu’on découvre, sans peine, leur matérialisation à travers la revivification dans la région d’une politique américaine d’alliances et de coalitions passablement ternie par l’administration Obama.

Obama a trop misé sur un pseudo «islam modéré»

En revoyant les discours d’Obama prononcé le 4 juin 2009 au Caire et celui de Trump à Riyad, on s’aperçoit qu’ils mettent en évidence autant de similitudes que d’oppositions. Ce qui les rapproche, c’est évidement les thèmes invoqués de part et d’autre : l’extrémisme, la paix avec Israël, l’Iran et la démocratie.

Mais contrairement à son successeur, Barack Obama, avait une parfaite connaissance de l’islam, des musulmans, allant jusqu’à émailler ses propos de certains versets du Coran. Cela ne l’a pas empêché cependant de recourir à certains clichés et d’imputer à la modernité et à la mondialisation, opposée à la tradition, certaines dérives, notamment l’extrémisme violent qui, bizarrement, n’est jamais qualifié d’islamiste. Mais, comme tous les responsables américains, il s’est mélangé les pinceaux dès qu’il s’est intéressé à l’islam et son rôle en politique. Son tort était en effet d’avoir sous-estimé les motivations religieuses des extrémistes, qualifiant alors l’EI de turbulents fanatiques. Il a également trop misé sur un pseudo «islam modéré» seul capable, à ses yeux, d’assurer la confluence entre la tradition et la modernité dans les pays arabes et musulmans. D’où ses appuis immodérés aux islamistes des pays du Printemps arabe avec les résultats que l’on connaît.

Première cible de Trump : l’Iran

Il est quand même surprenant qu’un président si peu religieux que Donald Trump ait pu prétendre discourir sur l’islam dans la capitale du pays abritant ses lieux saints.

Le chantre de l’anti-islamisme primaire, faisant oublier sa rhétorique de campagne incendiaire contre le radicalisme islamiste et ses décrets migratoires bloqués par la justice, s’est adressé à un parterre de dirigeants de pays à majorité musulmane, flattés d’être à l’écoute, pour leur faire la leçon sur ce que sera l’avenir des relations de son pays avec le monde musulman.

En fait, en matière d’islam il ne fut question que de l’Iran, de la lutte contre le terrorisme, toujours anonyme, et de contrats juteux. Ainsi, dit-il, «le terrorisme s’est répandu à travers le monde. Mais le chemin de la paix commence ici, sur ce sol ancien, dans cette terre sacrée» d’Arabie.

Comme Obama, lors de son discours du Caire, Trump entendait à son tour marquer l’histoire en déclarant sur un ton prétentiard, qu’on «pourrait, un jour, peut-être, se rappeler un tel rassemblement comme le début de la paix au Moyen-Orient, et peut-être même dans le monde entier.»

La rivalité entre Iran et Arabie saoudite, étant bien plus géopolitique que religieuse, n’a pas manqué de nourrir la majeure partie de son discours.

L’Iran chiite et belliqueux est tout de suite excorié. Il est qualifié à la fois de facteur d’instabilité dans la région, de soutien indéfectible de Hezbollah, son bras armé au Liban, et dénoncé pour avoir «alimenté les feux du conflit sectaire et de la terreur». «Du Liban à l’Irak et au Yémen, dit-il, l’Iran finance, arme et forme des terroristes, des milices ainsi que d’autres groupes extrémistes qui propagent la destruction et le chaos dans toute la région. Pendant des décennies, l’Iran a alimenté les feux du conflit sectaire et de la terreur.» C’est aussi «un gouvernement qui parle ouvertement d’un meurtre de masse, promettant la destruction d’Israël, la mort en Amérique et la ruine pour de nombreux dirigeants et nations dans cette salle».

Les méga-contrats d’armements remettent Riyad en orbite

Une fois rappelée la nécessaire «paix entre Israéliens et Palestiniens», Trump donne, sur un ton œcuménique, sa propre définition du terrorisme comme étant «une bataille engagée entre les criminels barbares, qui cherchent à supprimer la vie humaine, et les personnes convenables de toutes les religions qui cherchent à la protéger». C’est, dit-il, en généralisant outrageusement, «une bataille entre le bien et le mal».

La valise en main, tel un commis voyageur, Trump est retourné ensuite à des sujets plus prosaïques, qualifiant cette étape de «moment passionnant… pour les affaires». La monarchie saoudienne, dont le budget de la défense excède de 40 milliards celui de la Russie, investira à cette occasion près de 400 milliards de dollars qui créeront des milliers d’emplois en Amérique.

Cet accord historique comprend aussi l’annonce de méga-contrats d’armements de 110 milliards de dollars. Une bonne affaire pour le complexe militaro-industriel des Etats-Unis, véritable décideur de la politique étrangère américaine qui a appris à se servir du fondamentalisme islamique à son seul profit.

Dans ce même discours, M. Trump a magnifié la grandeur de l’Egypte, la beauté naturelle de l’Irak, berceau de la civilisation, les splendeurs des Emirats arabes Unies (qui abritent la 5e flotte), la magnifique Pétra, dans le royaume de Jordanie. Il a enfin félicité la Turquie et le Liban pour leur accueil des réfugiés, mais pas une seule mention du Qatar. Et pour cause.

Quatre pays arabes alliés aux américains et dirigés par l’Arabie saoudite ont décidé d’isoler le Qatar, qui abrite pourtant la plus grande base américaine au Moyen-Orient, sous le prétexte fallacieux que ce petit émirat, mais surpuissance financière, soutien des groupes terroristes. Or, la vraie raison est dans les relations, de plus en plus étroites, que le Qatar entretient avec leur ennemi juré: l’Iran.

Pour les clercs chiites gouvernants l’Iran, cette rupture arrange bien leur stratégie d’une expansion régionale solide et durable. La politique de la division étant de règle, tout ce qui peut affaiblir leurs rivaux du Golfe est à prendre.
Le premier voyage de Donald Trump dans un pays étranger, était effectué en Arabie Saoudite, c’en est assez pour alarmer Téhéran qui y voit l’ébauche d’une coalition puissante et d’un front uni entre les États-Unis et le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) destiné à contrer ses ambitions régionales.

L’Iran et le Qatar sur un toit brûlant 

La tactique consiste alors pour l’Iran à faire éclater cette coalition par divers moyens, la clé étant, dans un premier temps, le Qatar. Un message clair à l’adresse de Washington et de la communauté internationale pour leur montrer qu’il n’y a pas d’unité dans le CCG ni parmi les pays arabes.

Pendant ce temps, l’Iran continuera de soutenir Hezbollah, Bachar Al-Assad, les milices chiites en Syrie et en Irak, livrer des armes sophistiquées aux rebelles houthis au Yémen, tout en intensifiant ses tentatives de déstabilisation du Bahreïn.

C’est au Qatar maintenant d’aborder de manière adéquate les contradictions profondes dans sa politique étrangère. Ce qui revient en fait à choisir entre la peste et le choléra : contribuer au renforcement de la poursuite implacable de la puissance régionale de l’Iran ou rejoindre le front uni américain-CCG.

Pour nous, victimes consentantes, démunis et sans voix, il suffirait que le Qatar cesse d’ériger la dissimulation, qui est le premier pas vers l’hypocrisie, en soutenant tous azimuts les mouvements islamistes, Ennahdha pour ce qui nous concerne, et d’arrêter de semer le chaos dans la région. Ce serait de la part des Qataris un premier pas vers la repentance, et pour nous un immense soulagement.

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