Les oppositions de football entre la France et l’Italie, l’Allemagne, l’Angleterre ou encore l’Espagne ne sont jamais des matchs comme les autres. Une autre séquence de choix s’offre à nous ce dimanche 17 novembre 2024: Italie-France dans une version milanaise automnale. Football et bonne foi se donneraient-ils rendez-vous?
Jean-Guillaume Lozato *
Une vraie frise chronologique des rivalités sur fonds de défis sportifs existe. Cette temporalité s’exprime particulièrement par rapport à la France, étant donné son emplacement à la croisée des influences régissant la confrérie européenne. Initions l’ouverture de ce catalogue.
France-Angleterre ou Angleterre-France, en football comme en rugby, prend des airs de tournois médiévaux. Cette plongée dans la chevalerie d’antan nous fera irrémédiablement penser aux épisodes mettant en relief les exploits de Richard Cœur de Lion, à la bravoure de Jeanne d’Arc opposée à la présence britannique en sa chère patrie. Concurrence mais polie, installée au fil des siècles, entre le flegme «so british» et la «french touch» autour du «fighting spirit» animant les pelouses sportives.
Le football à l’épreuve de l’Histoire
France-Allemagne ou Allemagne-France correspond à un duel plus lourd dans la symbolique. Le problème avec les Germanophones remontant jusqu’au temps des hordes teutoniques. Une époque semblant figée par l’entremise du domaine lexical puisque les Allemands continuent à appeler la France «Frankreich», c’est-à-dire Empire Franc, comme lorsqu’ils étaient encore des Germains. La fuite des Huguenots quelques siècles plus tard et le conflit franco-prussien de 1870 renforçant ce sentiment général.
Au poids du souvenir des deux grandes guerres mondiales et de l’occupation allemande de la France entre 1939 et 1945 a succédé un esprit compétiteur pour l’accession à la suprématie continentale diplomatiquement et économiquement, plus que vraiment sur le plan culturel. Cela s’est traduit footballistiquement chez les Français par un complexe d’infériorité accru au moment d’affronter l’Allemagne de l’Ouest à la Coupe du Monde 1982. Avec l’acte d’antijeu violent commis par le goal de la RFA Harald Schumacher sur le défenseur français Patrick Battiston. L’image la plus traumatisante du Mundial espagnol.
Justement, pour ce qui a trait des rapports avec l’Espagne, le sentiment de revanche est déjà plus tamisé. Espagne et France n’ont jamais eu énormément de divergences notables. Y compris sur le partage colonial dans le Nouveau Monde. Comment ne pas omettre les pensées du souverain Charles Quint ayant affirmé «Je parle en Espagnol à Dieu, en Italien aux femmes, en Français aux hommes, en Allemand à mon cheval».
La langue française est là tenue en très haute estime intellectuelle et universaliste. Une portée diplomatique contrastant avec les membres de la «Roja» traitant l’international français d’origine andalouse Luis Fernandez de renégat lors de l’Euro 84. Avec plusieurs années après des sifflets envers l’hymne français de la part des supporters, causés par des déclarations désobligeantes de l’ancien sélectionneur Raymond Domenech. En fait, les rivalités se sont beaucoup plus exprimées à travers les duels entre clubs, du fait de joutes inoubliables entre PSG et Barça.
Juste à côté, les voisins lusophones ont attisé quelques ressentiments beaucoup plus récemment. Il y avait bien eu quelques frayeurs causées par Chalana à l’Euro, puis CR7 au Mondial 2006.Mais lorsque les Portugais ont battu les Français à domicile en finale de l’Euro 2016, alors sont devenues tout à coup moins sympathiques les figures de la gentille concierge et du maçon courageux…
Maçon, ce poste était à l’origine occupé par énormément d’Italiens avant des flux plus conséquents d’ouvriers lusitaniens et maghrébins. Les nombreux travailleurs italiens de l’entre-deux guerre ont pu goûter aux joies de la victoire finale planétaire de leur équipe nationale, obtenue en 1934 en Italie et en 1938 en… France !
Une spécificité, mais pas une exception
La transposition des antipathies au niveau du football constituent une réalité tangible. Bien avant cela et le développement de ce phénomène circonscrit au ballon rond, le cyclisme avait été une occasion surprenante de découvrir l’animosité xénophobe de certains spectateurs du Tour de France, dans les années 50, envers des coureurs transalpins qu’ils n’hésitèrent pas à pousser, entraver ou gêner par le jet de projectiles. Expression au grand jour d’un racisme ordinaire qui dura plusieurs générations à l’encontre des Italiens établis en France et de leurs descendants (le film ‘‘Interdit aux chiens et aux Italiens’’ d’Alain Ughetto, ou encore le roman autobiographique de François Cavanna ‘‘Les Ritals’’).
Après une période d’accalmie, ces altercations débouchant sur des rixes ont regagné en intensité après l’obtention du titre de champion du monde par la «Squadra Azzurra» en triomphant de la bande à Zinedine Zidane. Parmi les conséquences : les deux hymnes sifflés tour-à-tour lors d’autres rencontres et les propos anti-italiens caractérisés de William Gallas jusqu’à l’Euro 2008.
Tout récemment, l’Italie l’a emporté 3-1 à dans le si emblématique Parc des Princes pour le compte de la Ligue des Nations. Sans que cela ne provoque de scènes de guérilla urbaine. Et si ce retour à la normale se pérennisait?
Les binationaux dans la mêlées
Les joueurs d’origine italienne ont été très nombreux à peupler les décennies du football made in France. Cette main-d’œuvre sportive hautement qualifiée a compté des gens inoubliables comme Michel Platini, Dominique Baratelli, Eric Cantona, David Ginola, Roger Mario Piantoni.
D’autres équipes nationales ont eu un apport italique, à échelle variable : l’Argentine, le Brésil, la Belgique, l’Irlande, le Luxembourg, la Suisse, les Etats-Unis, l’Australie… et depuis dix ans l’Algérie avec trois joueurs qui se sont suivis, d’origine italienne paternelle : Liassine Cadamuro, Maxime Spano-Rahou, et dernièrement le gardien Anthony Mandrea. Les Fennecs représentent une nation détenant un nombre impressionnant de supporters vivant en France. Cette parenthèse nord-africaine relance le débat sur l’intégration ainsi que sur l’exclusivité d’un type de focalisation.
Bien évidemment, dépasser les frontières de cette toute dernière analyse nous amènerait à constater que non seulement l’Italie n’est pas la seule nation à faire ressentir la priorité d’un défi par la France, mais qu’en plus il existe d’autres duels singuliers entre équipes nationales.
L’évocation des binationaux revêt un aspect aussi conciliateur que disruptif. Admettre que le relationnel avec l’Italie n’est pas la seule problématique hystérisante du foot s’impose à nous au moyen d’épisodes passés lors de confrontations avec la Bulgarie; à partir de l’ère Michel Hidalgo jusqu’à l’Euro 96 disputé en 1996 sous le commandement d’Aymé Jacquet. Vingt années de défiance à l’origine et aux motivations purement sportives. Deux décennies marquées par les vitupérations du fameux commentateur Thierry Rolland lorsque l’arbitre avait accordé un penalty très contestable aux Bulgares, puis par l’élimination de la course à la qualification pour USA 94 (compétition où les hommes des Balkans terminèrent quatrièmes, avec le meilleur buteur de la compétition la star Hristo Stoïchkov).
Ensuite, il est vrai que comme toute grande puissance, la France peut apparaître comme clivante. Ainsi, lors de la finale de Coupe du Monde 2006, les réactions divergèrent selon les endroits du monde. L’Afrique Subsaharienne, par exemple, avait plus eu tendance à soutenir les joueurs français. Tandis que les pays arabes étaient plus tournés vers l’Italie, à l’instar des Turcs, des Espagnols et même des Iraniens (le quotidien sportif italien ‘‘La Gazzetta dello Sport’’ avait titré «En Iran, ils ont fait la fête pour nous»).
Toutefois, une formation comme celle états-unienne peut faire réagir négativement en certaines circonstances. Pensons à l’appréhension de rencontres avec les équipes d’Iran et du Mexique (il y a plusieurs années, des supporters mexicains s’étaient mis à scander «Oussama! Oussama!» du haut des tribunes, chaque fois que les Américains avaient le ballon, en référence aux attentats du 11 septembre 2001).
Gardons ensuite à l’esprit que des matchs entre Allemagne et Israël ou entre les deux Corées sont éminemment conditionnés par l’Histoire et les guerres. D’autres oppositions encore ont été sulfureuses : entre Suisse et Turquie, entre Allemagne et Turquie, entre Turquie et Grèce, entre Argentine et Brésil, entre Maroc et Algérie, entre Corée et Italie…
Mais il est évident que le rapport avec l’Algérie serait de loin le plus délicat à gérer pour la FFF. À cause de la période très dure de colonisation, puis l’exportation d’une partie de la violence de la «décennie noire» algérienne vers le territoire hexagonal. À cause du manque de communication et de la crainte des autorités françaises de se mesurer aux «Fennecs» lorsqu’ils étaient en phase ascensionnelle (du sport militant du FLN jusqu’à 1990).
Le consensus à travers le sport
Établir un bilan du manque d’objectivité en football est un travail titanesque. La relation entre les deux pays frontaliers qui s’opposeront dimanche au stade San Siro à Milan renvoie à une liste de griefs à l’incommensurable exhaustivité au cours du temps. Parmi eux, le fait d’avoir rendu inaudible l’hymne français, dans ce même stade, par les tifosis italiens, quelques mois après que l’hymne italien eut été conspué en septembre 2006 en France. Sans constituer pour autant un cas isolé.
Pour en revenir au match de ce dimanche, Italie s’est imposée à l’aller, avec la manière et malgré quelques défaillances. Il incombe aux garçons guidés par Didier Deschamps de se ressaisir, après la parenthèse franco-israélienne. Et à ceux entraînés par Luciano Spalletti de reconfirmer certaines choses après le déplacement en Belgique.
Espérons que le meilleur gagne. Particulièrement après les événements liés à la persistance du hooliganisme survenus à Amsterdam, puis le stress autour de la venue de l’équipe nationale israélienne en France. Il est urgent de penser au consensus à travers le sport, issue moins compliquée a priori que les arcanes diplomatiques. Milan et Paris se disputent régulièrement le titre de capitale de la mode; par conséquent, que tout le monde se montre «classe». Pour l’exemple, les politiques de formation en école de football ont emprunté la voie du dialogue à plusieurs reprises entre les deux nations européennes (D. Deschamps avait entraîné la Juventus, Calo Ancelotti, le PSG…).
En outre, les ouvertures culturelles sont constantes dans le domaine de la presse spécialisée (les revues franco-italiennes ‘‘La Voce’’ et ‘‘Radici’’) et dans le tissu associatif (Arim de Melun sous l’impulsion de Véronique Béguin, Michel Fernandez Calvo et Monika Bartelt; l’association Amitié Franco-Italienne sous l’égide de Marina Collin-Duparcq et Georges Spido; le Cercle Leonardo Da Vinci présidé par Jean-Raphaël Sessa; le comité Francitalie).
«Le sport mène à la camaraderie», écrivait le français Jean Giraudoux.
* Enseignant universitaire et écrivain italo-français.
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