En Tunisie, la prochaine étape après l’annulation de l’utilisation l’encre électorale, serait-elle celle de la démocratie de la «blockchain» ou démocratie du «vote électronique» ?
Par Sami Ben Slama *
La «blockchain» est en fait un nouveau procédé technologique, que l’on présente comme «révolutionnaire», de stockage numérique et de transmission d’informations. Il s’appuie sur un réseau décentralisé pour s’assurer de la fiabilité des transactions et peut même être utilisé dans l’organisation d’élections basées sur le vote électronique.
Je ne suis pas expert en la matière, mais en essayant d’analyser, de comprendre et d’anticiper, je demeure de plus en plus convaincu que rien n’est, et ne sera fortuit en matière électorale en Tunisie.
Sécuriser le vote en ligne, disent-ils
Ceux qui avaient proposé d’utiliser le dépouillement électronique des bulletins de vote pour les élections de la constituante du 23 octobre 2011 (procédé que nous avions catégoriquement refusé à l’instance centrale de l’Isie à l’époque), et qui avaient imposé – suite à notre départ – l’adoption du très controversé «USSD» (Unstructured Supplementary Service Data) pour l’inscription des électeurs lors des élections de 2014, ne lâcheront pas prise de si tôt.
La technologie de la «blockchain» permettrait, selon ses supporteurs, de sécuriser le vote en ligne. Un argument parmi d’autres, que vous entendrez certainement répéter et qui sera en vogue chez nous très prochainement.
Avant l’apparition de la «blockchain», ce genre de vote (par internet surtout) a déjà été testé au Royaume-Uni pour ses élections locales de 2002 à 2004 et aussi en 2007 mais il a été définitivement abandonné pour son manque de sécurité et sa vulnérabilité aux attaques.
L’Estonie, pays sous contrôle atlantiste, est le seul pays d’Europe à avoir développé le vote par internet. Mais, il a été établi que ce système présentait des failles de sécurité énormes et était très vulnérable aux cyber-attaques.
Dans un article paru au journal français ‘‘Le Monde’’ en date du 31 juillet 2017 et relatif aux piratages de machines de vote électroniques aux Etats-Unis, on pouvait même lire que «le département de la sécurité intérieure des Etats-Unis a confirmé que des hackeurs russes avaient conduit des repérages sur vingt et un systèmes électoraux durant l’élection présidentielle de 2016. Il n’y aurait toutefois aucune preuve que les votes aient pu être manipulés». Même si cela «remet quand même en cause la légitimité des présidents des Etats-Unis».
Des élections supervisées par une start-up
Malgré cela, les arguments ne manqueraient pas à l’avenir pour nous persuader de la nécessité d’adopter un système de vote en ligne qui permettrait surtout, et c’est là un argument de taille pour un pays qui peine à boucler ses fins de mois, de limiter une partie des lourdes dépenses liées à l’organisation des élections.
On bâtirait alors une démocratie qui se baserait sur un contrôle total du processus électoral par une entité autre que l’Isie, qui ne servirait plus à rien. Cette entité pourrait être le ministère des Technologies de l’information contrôlée dans le gouvernement tunisien actuel par un ministre soupçonné d’être «indépendant» (Anouar Maarouf, dont il s’agit, est membre du parti islamiste Ennahdha, Ndlr).
Il faut souligner que la première «blockchain» publique a vu le jour en 2008 avec la monnaie numérique Bitcoin qui a été développée par un inconnu.
Agora, qui est une start-up suisse, a supervisé, le 7 mars 2018, les résultats de l’élection présidentielle en Sierra Leone. C’était une première, la première fois qu’on utilise la technologie «blockchain» dans une vraie élection. Les votes des districts de l’Ouest ayant été enregistrés manuellement sur un registre de «blockchain», cela a permis à Agora de (vérifier) les résultats.
Le Pdg de cette start-up n’est pas totalement étranger à la Tunisie et c’est sur le site internet de la start-up qu’on découvre qu’il s’appelle Léonardo Gammar, qu’il est ingénieur et programmeur, mais aussi financier, qu’il a reçu son premier prix à l’âge de 8 ans des mains de Jacques Chirac et, tenez vous bien, qu’il a fondé sa première entreprise à 18 ans pour promouvoir… l’artisanat tunisien.
* Ancien membre de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie).
Article du même auteur dans Kapitalis:
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