Les chefs de gouvernement successifs ont ratifié, au nom de la Tunisie, bon élève mais pas toujours soucieux de ses intérêts, de nombreuses conventions internationales très contraignantes et dont les conséquences n’ont toujours pas été bénéfiques pour les Tunisiens.
Par Khémaies Krimi
À la veille de la célébration de la proclamation de l’indépendance de la Tunisie, la fondation allemande Heinrich Böll Stiftung, affiliée au parti vert allemand, a animé, le 19 mars 2019, à Tunis, un débat sur le thème «Entre aspirations et réalités : la transition tunisienne dans un contexte de changements de l’ordre mondial».
Expliquant les raisons l’ayant emmenée à organiser ce débat auquel elle a invité des politiciens, des activistes de la société civile et des journalistes, la Fondation a indiqué que «la transition démocratique de la Tunisie ne s’opère pas seulement à l’intérieur des frontières nationales. Avec l’émergence économique et politique de nouvelles puissances comme la Chine et l’Afrique du Sud, membres du club de Brics d’une part, et l’idéologie ‘‘My Country First’’ menée par Trump d’autre part, le monde est en pleine transformation. Cela a des répercussions sur l’ordre multilatéral qui est apparu après la Seconde Guerre Mondiale, impactant le commerce international, la gouvernance environnementale, les droits humains et conduisant à une érosion mondiale de l’espace démocratique de la société civile». Et la Fondation d’ajouter : «La Tunisie se trouve aussi à la croisée des chemins. Que ce soit sur la scène internationale ou dans le cadre de la transformation tunisienne, la démocratie n’est jamais un don, mais une lutte continue…».
Erosion du système multilatéral
La principale question à laquelle les conférenciers ont essayé de répondre était savoir «comment se traduit le changement et la crise du système multilatéral en Tunisie, un pays où les conventions internationales ratifiées sont fermement ancrées dans la hiérarchie juridique ?».
Ouvrant le débat, Barbara Unmübig, présidente de la fondation allemande a mis en garde, dans sa communication, contre les dangers de ce qu’elle a appelé «l’érosion du système multilatéral». Selon elle ces dangers sont dus aux politiques protectionnistes et populistes de dirigeants comme Donald Trump, président des Etats Unis, Jair Bolsonaro, président du Brésil, et de Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres d’Italie… Elle pense que «les décisions populistes prises par ces dirigeants sont de nature à fragiliser l’équilibre mondial des nations dans la mesure où la tendance est de minimiser le rôle joué par les organisations internationales (Alliance Atlantique, Organisation mondiale du commerce…) et par les agences spécialisées des nations unies (Unicef, Pnud, Unesco…).» Et Mme Unmübig de mettre, particulièrement, l’accent sur les conséquences de ce changement de l’ordre mondial sur l’espace de dialogue pour la société civile, le «Shrinking space», sur les libertés individuelles et sur les droits humains.
La Tunisie piégée par les conventions internationales
Des professeurs de droit exerçant pour la majorité à la Faculté des sciences juridiques politiques et sociales de Tunis (FSJPST) ont souligné, de leur côté, l’ancrage de la Tunisie dans le «système multimodal», et ce à travers des conventions internationales auxquelles elle a adhéré, et les conséquences de ce changement au plan national.
Wahid Ferchichi, professeur agrégé en droit public, a rappelé que «les conventions internationales ratifiées par la Tunisie sont fermement «ancrées dans la hiérarchie juridique du pays».
Fadhel Moussa, ancien doyen de la FSJPST et actuel maire de l’Ariana, est revenu sur l’importance des conventions internationales dans le système des normes tunisiennes. Il a pris l’exemple des conventions environnementales à l’instar de la Conventions des Nations unies sur les changements climatiques concrétisées par les fameux accords de Paris.
Salsabil Klibi, spécialiste en droit constitutionnel, a traité de la situation des droits de l’homme dans le monde et du rétrécissement de l’espace de dialogue sur ce dossier au sein de la société civile.
Traitant d’un cas concret à l’échelle nationale, Zied Boussen, consultant en gouvernance, politiques publiques et droits de l’homme a attiré l’attention sur «les dangers que présente le projet de réforme du cadre législatif régissant les associations et le verrouillage progressif qui risque de s’exercer sous couvert de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme.»
Défendre les intérêts de la Tunisie dans le concert mondial
Les participants au débat instauré au terme de ces communications ont insisté sur l’enjeu de continuer le combat pour défendre les acquis de la Tunisie en termes de défense des droits de l’homme, de la femme ou de l’environnement.
Peu de choses ont cependant été dites sur la responsabilité des gouvernants tunisiens successifs dans la ratification des conventions internationales très contraignantes et dont les conséquences n’ont toujours pas été bénéfiques pour les Tunisiens. Cette ratification s’est faite dans la précipitation, souvent sous la pression des partenaires internationaux, sans concertation de la société civile et sans étude d’impact de l’asymétrie développementale prévalant entre les pays signataires.
Aujourd’hui, si la Tunisie n’arrive pas à créer des emplois pour ses jeunes qui ne rêvent que de quitter le pays, c’est entre autres à cause des importations qui inondent le marché intérieur, par l’effet du libre échange et de la concurrence déloyale. Ces mêmes importations qui empêchent les investisseurs locaux de créer des entreprises à forte employabilité.
Donnez votre avis