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Grandeur et décadence du nord-ouest tunisien : la responsabilité historique des dictatures

Déséquilibre régional entre une côte prospère et un pays profond laissé à l’abandon.

La région du nord-ouest tunisien s’est invitée, et comme souvent de manière dramatique dans l’actualité tunisienne, une occasion d’évoquer le sujet qui fâche des inégalités régionales, fruit d’une gestion inégalitaire des ressources du pays par les gouvernements successifs depuis l’indépendance en 1956.

Par Sémia Zouari

À la lumière des débats houleux sur le douloureux drame de l’autobus de dimanche 1er décembre 2019, sur la route reliant Amdoun et Ain Draham, qui a coûté la vie à plus de 26 jeunes gens, et endeuillé toute la Tunisie, il paraît que les gouvernorats du nord-ouest ont un relief trop accidenté pour que l’on puisse y implanter un CHU digne de ce nom. Mais, attention, toutes ces entraves techniques n’ont pas soulevé de problème pour exploiter les belles ressources hydrauliques de la région au profit du reste du pays.

Certaines vérités ne sont pas bonnes à dire

Certaines zones dans ces gouvernorats n’ont pas l’eau potable alors qu’ils sont le château d’eau de la Tunisie. Leurs grands propriétaires terriens sont spoliés de leurs meilleures terres pour y aménager des lacs collinaires près des barrages dont ils ne profiteront pas réellement. Mais cette vérité n’est pas bonne à dire.

Ces gouvernorats sont les plus froids du pays mais ils ne sont pas équipés du gaz naturel pour se chauffer, alors que le gazoduc venant d’Algérie passe tout à côté pour alimenter tout le reste du pays sauf eux. Ah bon?

Ils produisent du tabac mais les manufactures de tabac n’ont pas jugé utile de se positionner sur place pour y créer des emplois.

Ils étaient le grenier à blé de Rome et la région la plus riche de Tunisie, mais grâce à la politique de prix bien ciblée de Bourguiba, pour brader leurs céréales, ils sont devenus les plus démunis, ceux dont les champs de céréales sont les otages des mafias des incendies, ceux dont les forêts sont incendiées par les mafias du charbon et la faune ravagée par des chasseurs exterminateurs du «tourisme régional».

Maintenant ce sont eux qui triment dans les hôtels de Sousse et Monastir, pour des salaires misérables que leur versent chichement des hôteliers cupides, en faisant chaque année du chantage à l’Etat tunisien pour qu’il les exonère du paiement des cotisations sociales et du remboursement de leurs crédits bancaires, en puisant dans la Trésorerie Générale. Mais chut… pourquoi gâcher l’ambiance?

Les éternels oubliés des plans de développement

Ils étaient les tribus berbères et numides qui faisaient trembler les envahisseurs, les descendants de Jugurtha, de Massinissa, d’Al Kahena et de Saint Augustin, les véritables enfants et propriétaires de la Tunisie. Ils étaient courtisés par les empereurs romains et les beys ottomans qui recherchaient leur appui afin de consolider leur pouvoir. Ils sont devenus les «zéro huit» grâce au zoning de Bourguiba, et ils sont les éternels oubliés des plans de développement.

Ils ne sont plus que les laissés pour compte de tout: sans infrastructures, sans hôpitaux, sans facultés de médecine, sans universités prestigieuses, sans préservation et valorisation de leur patrimoine archéologique et culturel. Aucun effort pour fixer la population et les cadres qui pourraient s’y installer avec des lotissements d’habitation, des chambres de gardes pour les médecins, des logements de fonction incitatifs…

De tout cela, il ne faut pas parler, «pour ne pas attiser le régionalisme», fomenter la rébellion et la sédition, détruire les «équilibres» précaires qui ont fait du pillage du nord-ouest et de tant d’autres zones du centre-ouest et du sud, une banalisation du calvaire des éternels oubliés de la vie.

Des gouvernorats, ghettoisés dans la marginalisation

Voilà, le drame de toute la Tunisie, deux dictatures successives ont jalousement promu le Sahel aux dépens des autres gouvernorats, ghettoisés dans la marginalisation et l’exclusion des fruits de la croissance.

De ce crime qu’osent dénoncer des esprits chagrins et fauteurs de troubles, il ne faudrait pas parler, pour préserver l’ordre établi par un despote mégalomane putschiste et régionaliste et un dictateur kleptocrate et son gang mafieux. Et on ne touche pas à nos idoles que le monde entier nous jalouse… Sans eux nous serions «un peuple de pouilleux analphabètes».

Quant à la révolution, il faudrait la reléguer à un coup d’Etat contre la légalité, à une jacquerie de gueux, il faudrait la remettre à sa place, dans la «barouita». Elle a foutu une belle pagaille en mettant à jour toute cette misère cachée derrière la carte postale du «miracle tunisien».

Vite, de vrais historiens pour réécrire l’histoire de cette malheureuse Tunisie, dépouillée de tout, même de sa légitime liberté de penser et de s’indigner…

La dictature n’est pas partie avec les despotes, elle a essaimé dans les esprits des éternels enfants gâtés du pays, qui vous insultent copieusement à défaut de pouvoir justifier l’ineptie criminelle des 3 CHU et 2 Facultés de médecine du carré privilège Monastir-Sousse face au désert médical du nord-ouest.

Miskina Tounis…

* Diplomate.

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