Au lieu de demander aux Tunisiens de se remettre sérieusement au travail pour améliorer la situation générale dans leur pays et par conséquent la situation de chacun d’entre eux, ce qui est le rôle d’un président de la république, Kaïs Saïed, piégé par son populisme, continue de berner ses concitoyens par la vague promesse de retrouver et de distribuer l’argent qui leur a été soi-disant volé par d’introuvables corrompus. (Illustration : Qu’attend Mme Bouden pour faire partager avec l’opinion les résultats de ses investigations sur l’argent de la corruption?)
Par Ridha Kefi
Cela fait trois ans que M. Saïed est au pouvoir et cela fait trois ans qu’il nous rebat les oreilles avec cette antienne de «l’argent volé au peuple» qu’il n’arrive toujours pas à trouver. Quant aux voleurs présumés, plus il en parle, moins il en trouve.
D’ailleurs, le résultat des courses est affligeant de nullité : zéro millime de récupéré parmi les «milliards de milliards» dont parle sans cesse le président de la république sans arriver à en trouver la moindre trace. Pourquoi n’arrive-t-il pas à enregistrer le moindre petit succès sur le front de la guerre contre la corruption ?
L’argent de la corruption, un serpent de mer
Bien qu’il accapare tous les pouvoirs depuis le 25 juillet 2021, l’exécutif auquel il a joint le législatif et le judiciaire, M. Saïed n’arrive toujours pas à débusquer les corrompus qu’il menace sans cesse de représailles ni à trouver trace de tout l’argent qui, selon lui, ces derniers ont volé au peuple ? On aimerait bien le croire sur parole, mais en tant que journalistes, on est vraiment fatigués de devoir continuer à parler de ce véritable serpent de mer qu’est «l’argent de la corruption».
Hier encore, lundi 1er août 2022, les résultats de l’audit sur la gestion des dons et des crédits accordés à la Tunisie depuis 2011 ont été au centre d’un entretien tenu, au palais de Carthage, entre le président de la république, et la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, mission qui, rappelons-le, avait été confiée, par le chef de l’Etat, au ministère des Finances, lors d’un conseil ministériel tenu en octobre 2021, mais qui semble empêtrée dans les sables mouvants de la bureaucratie, qui ne parvient pas à donner corps aux accusations présidentielles.
Selon le communiqué publié par la présidence de la république, M. Saïed a mis l’accent, lors de cet entretien, sur les dépassements qui ont entraîné des déséquilibres budgétaires de l’Etat, appelant à mettre fin à cette situation et à déterminer les responsabilités de chaque personne ayant commis ces dépassements.
«C’est le peuple qui en fait les frais sans pour autant bénéficier de ces importantes sommes d’argent», a déclaré M. Saïed, qui ne se pose pas de question sur les difficultés qu’éprouvent les services de l’Etat pour exaucer son vœu. Et ces chers hauts responsables de l’Etat d’écouter les propos du chef de l’Etat, en opinant de la tête, sages comme des images, sans ressentir le besoin de lui expliquer qu’entre les accusations qui inondent les réseaux sociaux et la réalité qu’il va falloir étayer par des preuves matériels tangibles et acceptables par un juge un tant soi peu honnête et soucieux de vérité, il y a un océan de promesses, d’espoirs, d’illusions voire de mensonges et de désillusions.
Des procès qui se terminent en queue de poisson
Nous ne doutons pas un instant que beaucoup d’argent a été dilapidé dans le pays depuis qu’il existe et qu’il y a eu beaucoup de ripoux, au sein de l’administration publique et du secteur privé qui se sont sucrés au passage, mais il ne suffit pas de porter des accusations contre untel ou untel, il faut être en mesure de les étayer par des preuves matérielles irréfutables. Et c’est là où le bât blesse. Car, jusque-là, peu de procès pour corruption ont abouti à des condamnations fermes et définitives et beaucoup de procès se sont terminés en queue de poisson. Pourquoi ?
La réponse n’est pas simple mais compliquée comme l’est une société humaine.
D’abord, les corrompus ne sont pas des enfants de chœur et ils prennent des précautions pour ne laisser aucune trace de leurs forfaits.
Ensuite, ceux qui sont censés les traquer n’ont pas toujours la volonté politique pour le faire, car certains d’entre eux sont impliqués jusqu’au coup dans des affaires et n’ont aucun intérêt à ce que ce processus avance au risque de les atteindre à un tournant ou un autre. Certains d’entre eux, qui sont sincères et engagés dans leur démarche, n’ont toujours pas les compétences juridiques et les moyens techniques pour parvenir à leurs objectifs : faire tomber un gros poisson de la corruption.
On a vu comment tous les jugements prononcés par la justice tunisienne et tous les dossiers judiciaires remis aux Etats étrangers pour justifier la restitution à notre pays des fonds gelés des proches de Ben Ali dans les banques internationales n’ont pas abouti, onze ans après la chute du dictateur, car il y manquait l’essentiel, à savoir des preuves tangibles que ces fonds ont été volés à l’Etat.
Sur un autre plan, la corruption, il faut la chercher là où elle se trouve. Et nous croyons que le président de la république se trompe en pensant les trouver dans «la gestion des dons et des crédits accordés à la Tunisie depuis 2011», d’autant qu’on n’a pas réussi à les trouver dans les dons et les crédits accordés à la Tunisie avant 2011, Ben Ali et sa smala n’ayant jamais osé taper dans cette caisse-là, dont les mouvements peuvent être tracés par les services de l’Etat.
Les bailleurs de fonds ne sont pas des enfants de chœur
Par ailleurs, M. Saïed, qui ne sait encore pas comment fonctionne les Etats dans leurs relations bilatérales et multilatérales et avec les institutions internationales donatrices, se trompe lourdement en pensant pouvoir trouver trace de détournement de prêts ou de dons accordés par des parties tiers, pour la simple raison que ces parties tiers ne sont pas des enfants de chœur, elles non plus, et assurent, généralement, elles-mêmes le suivi des dépenses, décaissant souvent l’argent par tranche au gré de l’évolution des projets pour lesquels celui-ci est destiné.
D’ailleurs, beaucoup de ces bailleurs de fonds disposent de bureaux et de personnels basés à Tunis, chèrement payés, et qui sont chargés d’assurer le suivi de la gestion des prêts et des dons, car ils savent que les pays bénéficiaires sont souvent gangrenés par la corruption et qu’ils sont redevables, eux-mêmes, à leurs employeurs, des justifications nécessaires pour éloigner tout soupçon de complicité avec quelque responsable corrompu dans le pays hôte.
Il aurait peut-être fallu au président Saïed qu’il évite de s’engager lui-même directement et publiquement dans un combat à l’issue incertaine et de laisser les services de l’Etat faire leur travail normalement, tout en exerçant discrètement les pressions nécessaires pour aider à faire aboutir certaines investigations, et sans tapage superflu qui pourrait, en cas d’échec, se retourner contre lui. Car, à trop miroiter aux yeux des petites gens de mirobolants gains, en puisant seulement dans les coffres forts et les comptes en banque de présumés corrompus, on risque de les démobiliser et d’encourager, chez eux, la culture du moindre effort et l’esprit d’assisté.
On risque aussi, et c’est tout aussi grave, en cas d’échec à trouver l’argent de la corruption, «les milliards de milliards» qu’on a promis de leur distribuer, de les décevoir et de subir le redoutable retour de manivelle qui a emporté tant de chefs d’Etat à travers le monde, lesquels, grisés par les mirages du pouvoir, se sont cru un moment irréprochables et intouchables.
«On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps», disait Abraham Lincoln.
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