En démocratie, la politique prend du temps, mais les difficultés économiques pourraient rapidement rendre la vie des gens inconfortable sinon très difficile. La Tunisie, en panne d’idées et de solutions pour relancer sa machine de production, en fait l’expérience à ses dépens, sur un fond de grogne sociale.
Par Amine Ben Gamra *
La Tunisie est petit à petit vidée de ses ressources humaines : de plus en plus de médecins, d’ingénieurs et de technologues s’expatrient, suivis maintenant par de techniciens supérieurs qualifiés en plomberie, électricité et autres infirmerie. De nombreux Tunisiens expriment désormais une nostalgie pour l’époque de la dictature de Ben Ali où la croissance annuelle était de 4 à 5%. Jadis prospères, beaucoup d’industriels broient du noir, s’ils ne plient pas bagage pour partir s’installer ailleurs, au Maroc ou en Turquie. Les plus riches ont une partie de leurs capitaux à l’étranger parce qu’ils n’ont plus aucune confiance en l’avenir de leur pays. Comment avoir confiance en un pays dont les derniers chefs de gouvernement sont des technocrates incapables d’implémenter la moindre réforme économique digne de ce nom ?
Des dirigeants ambitieux, malhonnêtes et corrompus
L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) est devenue la gare de triage de tous les trafics d’influence, ne parvenant même pas à trouver un accord pour la mise en place de la Cour Constitutionnelle, ce qui bloque la vie politique et rend insurmontables les querelles de prérogatives opposant les principales institutions de l’Etat.
Les instances de contrôle public sont inopérantes et paralysées, faisant de la simple figuration, alors que le financement des partis, notamment lors des campagnes électorales, reste obscur, surtout concernant les apports de l’argent sale provenant de l’intérieur (contrebande, économie informelle, évasion discale…) et de l’étranger. Ils sont souvent dirigés par des hommes et des femmes ambitieux, malhonnêtes sinon franchement corrompus. Les gens honnêtes, patriotes et vraiment compétents sont mis à l’écart, s’ils ne s’excluent pas eux-mêmes par acquit de conscience et pour préserver leur dignité.
Les partenaires internationaux lâchent prise
Jadis, l’aide financière internationale à la Tunisie s’est avérée suffisante pour l’aider à traverser des années mouvementées, marquées par les grèves, l’absentéisme dans le secteur public et une forte baisse de la production du phosphate, l’une des principales ressources naturelles du pays. Le pays a même vécu, dans les années 1990-2000, dans une relative aisance souvent citée en exemple parmi les pays du sud de la Méditerranée.
Si l’aide internationale est restée importante au cours des dix dernières années, elle ne parvient plus désormais à relancer l’activité économique et à calmer la grogne sociale, malgré le fait qu’elle est généralement dépensée pour financer les incessantes augmentations salariales.
Pire encore, la Tunisie a besoin d’environ 5 à 6 milliards de dollars de prêts par an au cours des trois prochaines années et les donateurs étrangers, n’ayant plus confiance dans les capacités de redressement de notre pays, ne semblent pas disposés à mettre la main à la poche.
C’est le cas de l’Union Européenne et de la France, partenaires commerciaux essentiels et sources de nombreux investissements industriels. La Banque Mondiale et le Fonds monétaire international sont tout aussi sceptiques, car ils savent que les conditions attachées à leurs prêts sont souvent ignorées par le gouvernement tunisien qui n’honore pas ses engagements, notamment en matière de réformes structurelles, les seules à même d’aider l’économie à soigner ses maux chroniques et à se relever.
Conséquence : l’économie tunisienne est pratiquement à l’arrêt, la situation sociale est très délicate et on manque des ressources nécessaires pour satisfaire les revendications populaires. D’où la recrudescence des mouvements sociaux prenant parfois l’allure d’une désobéissance civile et dont le mot d’ordre semble être ces vers célèbres du poète national Abu Al-Qassem Chebbi, repris dans l’hymne national : «Lorsqu’un jour le peuple voudra vivre, le destin l’exaucera infailliblement, la nuit se dissipera nécessairement et le carcan se brisera immanquablement».
* Expert Comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.
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