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Cinq ministres en «pose»… café

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Cinq ministres pour inaugurer un café, il n’y a qu’en Tunisie, pays touché par la grâce révolutionnaire, que l’on peut assister à un moment d’une si grande ferveur patriotique.

Par Yassine Essid

En dépit de leurs activités respectives, nullement embarrassés par le piètre rendement du gouvernement, une brochette de ministres de la république avaient pris l’extravagante initiative d’aller simultanément présider, un soir de ramadan, l’inauguration, tenez-vous bien, de cinq nouveaux cafés !

Le vrai visage de l’élite dirigeante

On a toujours cru que de telles cérémonies solennelles étaient jusque-là réservées à la célébration de certaines réalisations d’ordre culturel, social ou industriel. Commémorer un événement historique, exprimer la reconnaissance de la nation envers une personnalité, consacrer l’œuvre d’un citoyen méritant, célébrer la fin des travaux de construction d’un édifice public, culturel social ou industriel, justifient que l’on se rende sur ces nouveaux lieux pour célébrer de tels événements. Ainsi, par exemple, des monuments identitaires, plaques commémoratives, installées en souvenir des victimes de la guerre, places publiques, honorant la mémoire d’une personnalité exceptionnelle, universités, instituts, musées, bibliothèques, hôpitaux, usines, logements sociaux, nouvelles lignes de chemin de fer et bien d’autres travaux d’infrastructure censés contribuer au développement du pays et répondre aux attentes de ses habitants, autorisent parfaitement la présence officielle d’un Premier ministre ou d’un membre du gouvernement.

Or, l’inauguration d’un café, outre le fait qu’elle surprend et choque par sa futilité et son côté saugrenu, révèle ostensiblement le vrai visage de l’élite dirigeante de ce pays. Si elle a provoqué un tel déchaînement hostile dans les réseaux sociaux, si ses protagonistes s’attirent tant de quolibets, moqueries et commentaires désobligeants, c’est parce que le public a pris conscience à quel point de grands commis de l’Etat sont déconnectés de la réalité. Oser s’exhiber ainsi démontre à quel point ils sont entêtés de vétilles auxquelles s’ajustent si bien leur totale incompétence et leur aveuglement. Ils présentent l’image même d’un pays désormais à l’abandon, oublié par ses responsables. Car en quoi le coupé du ruban de cinq établissements pour la consommation de boissons ou de loisirs, si publiquement honorés par cinq commis de l’Etat et leur cortège de misère, est-il essentiel pour contribuer à stabiliser la vie politique, réduire la perte de prestige d’une fonction ministérielle lamentablement érodée, consolider les équilibres économiques et pousser à réfléchir davantage à des solutions conformes à l’intérêt général?

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A une période de vaches maigres pour le tourisme, la ministre Loukil est heureuse d’inaugurer… un café. 

Un secteur en mal de promotion

En fait l’opinion publique, qui s’est gaussée de cette brochette de ministres dans leur virée nocturne, est profondément injuste. Elle n’a pas cherché à aller au-delà des apparences. Il faut pourtant leur rendre hommage à ce gouvernement et à ses serviteurs qui s’inquiètent des effets de la crise sur un secteur vital de notre économie.

Les cafés représentent en effet un secteur modeste, en mal de reconnaissance, qui a du mal à gagner la faveur publique et souffre de la qualité d’une clientèle haut de gamme de plus en plus réticente. Par leur présence, ils voulaient démontrer énergiquement que les cafés ne sont tous des repaires de gens déconsidérés, des nids de chômeurs ou des fainéants qui ne témoignent pas des efforts suffisants de recherche d’emploi, passent leur temps à bavarder, répandre divers propos fallacieux, diffamer le gouvernement et troubler la paix et le repos des riverains. Qu’ils ne sont pas que des lieux où l’on cause, des échoppes infestées par la tabagie, mais des établissements d’un tout autre aspect : aimables, propres, luxueux même et qui contribuent largement au bien-être général.

Dans ce déplacement chaque ministre était bel et bien dans sa fonction. En premier lieu celui de l’Education nationale préoccupé en permanence du taux élevé des déperditions scolaires. Il y trouve là l’occasion de faire admettre aux parents tout le respect qu’on doit au métier des garçons de cafés, rendre hommage à leur abnégation, indiquer à certains jeunes chômeurs possédant une formation professionnelle insuffisante, qu’ils sont nantis de toute la compétence requise moyennant des qualités relationnelles indispensables pour fidéliser les clients et de rappeler toute la dignité, tout le charme de servir un public de plus en plus exigeant. Il les voit tous vêtus d’une tenue noire et blanche, accueillir les clients et les installer, toujours souriants et aimables, évoluant entre les tables pour venir déposer devant le convive la boisson commandée un instant plus tôt. Il voulait surtout insister que ce métier n’est pas le début et la fin d’une carrière. Qu’à force d’économie et des sacrifices tout garçon de café pourrait, qui sait, se retrouver un jour à la tête d’une affaire prospère.

Le ministre des Finances, par sa présence, a tenu à évoquer l’importance d’un secteur d’activité où l’investissement est facile et très rentable. C’est également une source de revenus substantiels. Le Trésor public pourrait en tirer des profits consistants à travers une fiscalité plus rigoureuse qui passe en priorité par l’installation de caisses enregistreuses sans pour autant menacer l’activité des tenanciers.

L’adhésion du public aux efforts accomplis par le gouvernement

La présence du ministre de la Santé publique est forcément la plus insolite. Mais en regardant de plus près on se rend compte qu’elle n’est nullement superflue car les cafés posent un problème de santé publique évident. Il a tenu d’abord à indiquer que la café n’est pas seulement une boisson d’agrément mais possède des propriétés thérapeutiques évidentes, excitantes et diurétiques. Il en profita pour exprimer l’aval donné par le corps médical à cette boisson, montrant le bon usage que l’on pouvait en faire pour la préservation et la guérison de certaines maladies. Cependant, dans ces établissements on ne consomme pas que du café. Les utilisateurs de la chicha, désormais très à la mode, ne sont pas conscients des dangers qu’elle représente pour ses utilisateurs. Contrairement à une idée reçue, la fumée, bien que filtrée par l’eau, retient à peine la moitié des substances nocives. Par ailleurs, une chicha contient beaucoup plus de tabac qu’une cigarette, d’autant plus que les «séances» peuvent durer plusieurs heures.

De son côté, l’économie de loisirs confère à la ministre du Tourisme des prérogatives spéciales. Désespérée par le tarissement des flux touristiques et de la fermeture des hôtels, elle craint pour la survie du secteur des cafés, que l’hécatombe ne soit aussi sévère et le bilan sans appel. Elle est donc forcée de se rabattre sur la promotion de cette filière devenue une activité économique de premier plan, entrée de plain-pied dans son âge postindustriel.

Contrairement à l’hôtellerie, elle présente toutes les conditions de croissance, ne souffre pas de contrainte budgétaire puisque les cafés sont à la fois le rendez-vous des familles, qui viennent y déguster une glace, y savourer une tasse de café, un verre de thé, ou se délecter de confiseries, et des chômeurs qui, étrangement, disposent en permanence d’assez d’argent pour rester éloigné du monde du travail mais pour lesquels le café demeure le refuge où l’on vient en même temps se perdre et se retrouver. De plus en plus nombreux à associer désormais le boire au manger, elle insiste pour que les cafetiers étendent peu à peu leurs services à la restauration. Enfin, elle n’a pas manqué de souligner qu’il faut donner du sens à la notion d’accueil en créant une atmosphère où les clients se sentiront importants et désirés.

A cette cérémonie ne manquait que le Premier ministre. Mais il est convenablement représenté par son Porte-parole venu observer et rendre compte. Il l’informera avec émotion du dévouement et de l’enthousiasme décelés chez ses ministres qui font un travail exemplaire et qui ont réussi à susciter l’approbation et l’adhésion du public aux efforts accomplis par le gouvernement. Il lui décrira avec détails l’ambiance conviviale qui régnait dans ces cafés, le cliquetis des fourchettes qui s’entremêle au cliquètement des verres dans une joyeuse cacophonie. Enfin, il l’assurera que la démocratie est en marche, la croissance au coin de la rue car les cafés, un secteur des plus actifs de l’économie de ce pays, ont réussi à répondre sans contrainte à la faveur grandissante du public.

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