Le salut de la Tunisie dépend désormais de la science politique de deux illustres patriotes, le très ambitieux Mohsen Marzouk et son imprévisible colistier Slim Riahi.
Par Yassine Essid
Les Tunisiens l’ignorent peut-être, mais ils peuvent d’ores et déjà se réjouir. Ils dormiront bien désormais. La menace de la division ne hantera plus leur sommeil. Car ce dimanche 2 avril 2017, un avenir plein de promesses s’ouvrira à eux. Mais par quel miracle? Le chef de l’Etat serait-il subitement sorti de la profonde léthargie dans laquelle il était plongé? Un réveil immédiatement communiqué à un gouvernement engourdi, qui ne fait que tourner dans le cercle des vieilles routines sans rien créer de nouveau? Que nenni.
Il s’agit d’un moment historique; une planche insubmersible qui assurera le salut du pays et sauvera les naufragés que nous sommes. Mais qui va décider l’abandon du navire et sauvera le peuple d’une noyade assurée? Qui est encore capable de nous tirer de ce champ d’écueils et éviter que le pays ne sombre, emporté par les aberrations d’une gestion politique calamiteuse? Bref, qui va nous maintenir à la surface de l’eau ?
Un patchwork hâtif d’opportunistes ?
Et d’abord de quoi s’agit-il? D’un nouveau parti qui serait un ersatz de Nidaa Tounes, ou d’un mouvement annexe à Machrou Tounes? Est-il question d’une sorte de rébellion organisée, un sursaut de survie structuré qui éliminerait les divisions internes de tous les partis? Par ailleurs, quelle doctrine idéologique incarnerait-t-il? Les réponses sont très éclatées. Gauche, droite, progressiste, humaniste, ultralibéral, ou écolo ne tombent pas du ciel toutes faites, mais se développent en continuité avec des pratiques sociales et politiques. Alors on s’arrangera avec des aspirations aussi nobles que vagues. Un système de valeurs morales telles la vérité, la justice et le devoir de défendre la cause de l’humanité.
Enfin, quels sont ces illustres patriotes, ces esprits révolutionnaires, ces foules enthousiastes qui se rangeraient derrière un Mohsen Marzouk qui donne tout l’air d’être de bonne foi, toujours inspiré par un idéalisme aussi fanatique que sincère, magnanime au point de laisser traîner dans ses talons d’anciens ministres et porteurs d’encensoirs de Ben Ali?
Est-il question de riches hommes d’affaires, dévorés par l’appétit du pouvoir, formés à la finance, rompus à la gestion budgétaire, à l’administration stratégiques des ressources humaines, aux problématiques de direction et à la négociation? Ou une gouvernance technocratique réputée pour sa neutralité et sa rigueur? Enfin, y verrons-nous la mise en place d’une coalition formée d’un patchwork hâtif d’opportunistes de tout acabit; des récidivistes d’une fatale illusion historique?
Depuis qu’il a commencé à agir, M. Marzouk n’a cessé de répéter à l’envi des paroles qui résument son catéchisme politique: adorez-moi, acceptez l’avenir que je vous offre, aidez-moi à établir une république nouvelle fondée sur le mariage (impossible) avec l’ancienne garde destourienne, et vous aurez la prospérité, la liberté et l’égalité.
Deux hommes si dissemblables que l’on se demande ce qui peut les rassembler.
Le destin contrarié de Mohsen Marzouk
Or, l’artisan de cette opération n’a ni le profil d’un rassembleur, ni celui d’un sauveur et encore moins celui d’homme providentiel. Dans sa brève carrière, il dilapida rapidement la totalité de son patrimoine politique. Après le palais de Carthage, où il se sentit vite à l’étroit, naquit chez lui une arrière-pensée de prise de pouvoir. Dans un contexte tourmenté qui n’était ni démocratique ni rationnel, il se voyait assez «animal politique», possédé par cette «fortuna» dont parle Machiavel, au point de prendre congé de son bienfaiteur et de ses compagnons de traversée.
Quoi de mieux que Nidaa Tounes qu’il tenta vainement de mettre à sa botte dans le but de s’en servir comme marchepied pour une ambition grandiose. Mais la grandeur est incompatible avec le culte obstiné de l’erreur et du mauvais calcul. Car, bien que secrétaire général du parti, il découvrit des combinards plus ingénieux, des imposteurs plus astucieux qui étaient eux-mêmes à la recherche de la gloire et de la grandeur au mépris des principes moraux élémentaires. Mais, le plus dur fut pour lui cette promiscuité périlleuse du fils (Hafedh Caïd Essebsi, directeur exécutif autoproclamé d’un parti fondé par son père, le président de la république Béji Caïd Essebsi, Ndlr) et autres roublards thuriféraires qui fluctuent au gré de leurs intérêts et qui ne manqueraient pas de l’entrainer dans la logique du parti qui le force à bénir tout ce qu’ils bénissent et à maudire ce qu’ils maudissent. Il décida aussitôt de prendre le large pour aller constituer son propre mouvement.
Inspiré par l’urgente nécessité de faire triompher ses idées personnelles et ses priorités politiques pour l’avenir du pays, il se rendit compte qu’il n’y a rien de tel que la liberté. Sauf que, aux yeux de l’opinion, il porte toujours cette image de l’impatient de 2019 qui sera appelé à réguler les désordres d’une mauvaise gouvernance qui paralyse la situation économique et sociale désastreuse du pays. Au profil du politicien chevronné s’ajoute chez lui la maîtrise technique de tourner casaque ainsi que le bagou nécessaire pour duper avec volubilité les négateurs de ses principes d’autorité. Autant de raisons pour monter sa propre écurie, créer sa propre bannière, défendre une grande cause sous l’appellation absconse de Machrou Tounes (Projet pour la Tunisie).
Mais, conçu pour aspirer les mécontents de Nidaa Tounes, son mouvement se retrouva à son tour affaibli par les mêmes défaillances: divisions et luttes internes, absence d’un travail d’unification, volatilité des militants, grandes manœuvres et coups bas, et aucun programme politique pour séduire un futur électorat.
Le passage par la sphère médiatique a révélé une personne qui regarde toujours les autres avec l’hauteur de l’homme introduit, renseigné et écouté. Il se retrouve aujourd’hui fortement convaincu que l’idée d’un front, d’une coalition de partis avec pour mandat de refaire le monde, est devenue une nécessité historique dont il serait l’incarnation. Il reprendra alors, aujourd’hui, une posture de rupture avec les tendances partisanes et s’inscrira dans une logique de rédempteur-sauveur.
Sauf que, dans la mesure où, en général, les politiques ne changent pas dans leur nature profonde, il adoptera la même rengaine qu’avant, avec plein d’appels au rassemblement et plein de chèques en blanc.
Il inaugurera et clôturera ce rendez-vous par l’hymne national qu’il chantera la main droite sur le cœur. Un geste emblème habituellement d’honnêteté et de justesse morale mais qui, chez lui, laisse plutôt transparaître la tromperie et l’hypocrisie. Un individu qui n’incarne que la méfiance et suscite rarement l’empathie ne saurait traduire l’aspiration au changement des mœurs de la classe politique. On aura beau cherché, on ne trouvera pas dans ses veines un seul globule de sang démocratique. Tout son parcours laisse penser qu’il n’aspire pas à prendre le pouvoir, mais à avoir tous les pouvoirs.
Un colistier à la réputation sulfureuse
Afin d’éloigner toute suspicion de culte de la personnalité et de domination de la vie politique, Mohsen Marzouk s’est doté d’un atout majeur: Slim Riahi. Un colistier à la réputation sulfureuse devenu leader d’un parti politique allié à la majorité auquel Marzouk ne manquera pas de se fier à ses valeurs et à son bon jugement.
Dans la mesure où la bataille idéologique est d’abord un combat de mots, les médias n’ont pas hésité à qualifier Slim Riahi (défense de rire) de «libéral». Le voilà devenu subitement l’adepte intransigeant d’une doctrine économique qui remonte à Adam Smith, Ricardo et leurs successeurs, les néoclassiques, et dont on ne retiendra, pour ce qui le concerne, que la thèse bien incertaine sur la liberté des agents économiques qui, en maximisant leurs profits, s’enrichissent et enrichissent la nation.
Sauf que M. Riahi n’est ni un capitaine d’industrie, ni un valeureux entrepreneur, encore moins un grand stratège des organisations, mais un richissime «affairiste» dont l’inépuisable fortune relève plus de la science occulte que de l’économie de marché.
Est-ce donc à ce célèbre tandem que sera confié demain le sort du pays? Lui, en tout cas, n’en doute pas…
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