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Sport et emploi en Tunisie : Les diplômés de 2016 seront recrutés en 2038 !

Sport-Tunisie

En contraste donc avec le tableau noir de l’emploi sportif en Tunisie, le marché sportif mondial offre d’énormes opportunités d’emploi.

Par Fredj Bouslama*

Après la nouvelle vague de protestation pour le droit au travail qu’a connu le pays ces derniers jours, les débats sur la pertinence et l’efficacité des politiques publiques en matière d’emploi reviennent au-devant de la scène avec acuité et insistance.

Après tout ce temps passé depuis la révolution, il est sans doute compréhensible de voir les jeunes désabusés exprimer leur colère et leur mécontentement face à un chômage qui augmente au lieu de régresser.

En effet, d’après l’Institut national de la statistique (INS), le taux de chômage a connu une légère hausse au cours du 2e trimestre de 2015, atteignant 15,2% contre 15% au cours du 1er trimestre de la même année. Le taux de chômage des diplômés du supérieur, après une légère baisse au 1er trimestre de 2015, a encore augmenté pendant les 3 premiers mois de cette année pour atteindre un taux de 32%.

Il est évident que la maîtrise du taux de chômage nécessite une approche globale et transversale pour relancer au plus vite la croissance économique d’une manière générale, mais elle nécessite également des politiques sectorielles spécifiques qui répondent aux particularités de chaque secteur d’activité économique et professionnelle et à chacun des différents types de chômage frictionnel, conjoncturel ou structurel.

Le secteur sportif présente à ce titre des particularités qui doivent être prises en compte pour espérer voir un jour la mise en place de véritables plans d’action et de stratégies efficaces pour réduire sensiblement le chômage et stimuler le marché de l’emploi.

Chômage structurel et faibles perspectives d’embauche

Pour donner un ordre de grandeur à l’ampleur et à la gravité du problème du chômage dans le secteur sportif, jusqu’à 2016, environ 400 jeunes diplômés depuis 2010 attendent encore leur tour à l’embauche.

Au total, 5.807 diplômés chômeurs sont actuellement sur la liste d’attente. Vu la saturation du marché de l’emploi dans les domaines de l’enseignement de l’éducation sportive et de l’entrainement sportif, la capacité de recrutement du ministère de la Jeunesse et du Sport sera limitée à couvrir le peu de postes encore vacants et au remplacement des départs à la retraite.

Au meilleur des cas, le pourvoi annuel de postes ne pourra pas dépasser les 300 par an. Les jeunes qui auront leurs diplômes de licence en éducation physique ou en sport en 2016 ne seront donc embauchés qu’en… 2038.

En plus, chaque année, les quatre instituts de sport et d’éducation physique continueront à envoyer un peu plus de 900 nouveaux jeunes fraichement diplômés, prendre leur place dans la liste d’attente. Face à cette situation surréaliste, l’État et le gouvernement semblent jusqu’à présent impuissants.

Tous ces chiffres et projections indiquent que nous sommes bel et bien face à un chômage structurel. Un chômage chronique qui traduit un déséquilibre profond et durable du marché du travail. Ce type de chômage est lié aux changements qui se sont opérés lentement et progressivement sur une longue période, dans les structures démographiques, économiques, sociales et institutionnelles sans que personne n’intervienne pour arrêter ce processus d’accumulation et pour réajuster l’équilibre entre l’offre et la demande d’emploi dans le secteur sportif.

Le marché mondial du sport est prospère

Paradoxalement, sur le plan mondial le secteur sportif se porte très bien et il connaît depuis quelques années un essor économique incomparable. La valeur du marché sportif mondial des biens et services est estimée à 1000 milliards d’euros par an avec un potentiel de croissance annuelle qui varie de 2,5 à 3%.

Cette manne financière et ce potentiel de création de richesses et d’emploi a bien été identifiés par les pays développés et émergents. Au brésil par exemple en moins de 10 ans, le nombre des salles de sport a triplé en passant de 7.000 en 2006 à plus de 22.000 en 2014. Avec plus 100 millions d’inscrits (la moitié de la population du Brésil !), c’est le deuxième marché mondial derrière les États-Unis. En plus les, études prouvent que contrairement aux idées reçues, la pratique du sport dans des salles privées n’est pas un privilège réservé aux classes aisées puisque 40 millions des inscrits appartiennent à la classe moyenne.

L’Inde, faisant figure de «nain sportif» jusqu’alors, malgré son 1,2 milliard d’habitants, avait mis en place une stratégie gouvernementale de mise à niveau du sport. Une nouvelle politique sportive basée sur 3 piliers : le développement de la pratique des sports mondialisés tels que le foot ou le tennis jusque-là très peu rependus en inde, le développement de l’infrastructure sportive, et la course à l’organisation de compétitions internationales. Une stratégie qui consacre un véritable investissement de l’État dont le but est de booster la pratique sportive chez le grand public et stimuler ainsi tous le tissu industriel, commercial, médiatique, et de service dans le domaine du sport.

En Coré du Sud, le 2 décembre 2016, lors d’une conférence de presse, Kim Chong, le vice-ministre de la Culture, du Sport et du Tourisme chargé des affaires liées au sport, a déclaré que le plan du gouvernement verra une augmentation du nombre d’emplois liés au sport de 230.000 cette année à 270.000 d’ici 2018. Kim Chong a dit que le ministère essaiera de créer un marché du sport orienté vers le futur qui englobera les techniques avancées.

En contraste donc avec le tableau noir de l’emploi sportif sur le plan national le marché sportif affiche une très bonne santé sur le plan mondial et offre de plus en plus d’opportunités d’emploi dans diverses spécialités. Les études menées par les grandes firmes internationales d’intelligence sportive prévoient même une explosion inédite des startups sportives au cours des années, voir des mois à venir dans le monde.

Startups et niches de marché de grandes opportunités

En croisant le potentiel de développement des trois générations du sport : le sport olympique, le sport 2.0 (sport de glisse et sports alternatifs) et le sport 3.0 (sport virtuel ou cybernétique) avec les 3 marchés importants du sport: le sport qui se pratique, le sport qui se regarde et le sport qui se «labéllise», 9 segments de marché prometteurs ouvrent des possibilités de création de startups sportives.

Par ailleurs, de par la nature mondialisée du marché sportif, avec l’évolution permanente du nombre des personnes qui pratiquent les sports dans le monde et l’évolution conséquente de la demande en bien et en service dans ce domaine, le sport offre un potentiel illimité de niches de marché c’est-à-dire de sections spécifiques du marché global suffisamment intéressantes et sur lesquelles la concurrence est moins importante que sur le marché global pour garantir les bonnes conditions de croissance et la pérennité des PME sportives.

La réforme de la politique sportive est inévitable

Il est donc clair que c’est la politique tunisienne en matière de sport qui n’est pas au diapason de la nouvelle logique du marché sportif et qui n’a pas encore entamé l’aire de l’économie du sport. Une politique publique basée jusqu’à ce jour sur la vision des années 60 dans laquelle le sport remplissait une fonction d’encadrement de la jeunesse et de représentation de la nation sur le plan international. Cette politique, tous les indicateurs le montrent, n’est plus, ni appropriée ni adaptée au contexte socio-économique et institutionnel du XXIe siècle et elle n’est plus capable d’apporter des solutions au problème du chômage dans le secteur sportif.

La Tunisie a besoin d’une nouvelle politique du sport fondée sur une vision socio-économique qui épouse la logique du marché international et rentré progressivement dans sa dynamique. La transition sportive doit s’opérer d’une politique focalisée sur la recherche des performances sportives à une politique du développement intégral de l’écosystème sportif avec sa dimension de performance certes, mais aussi ses dimensions économiques, financières, sociales et diplomatiques.

Mais en attendant cette transition, les 5.708 diplômés chômeurs ne doivent pas être oubliés et abandonnés à leur sort. La mise en place d’un système d’insertion professionnelle et de soutien à l’entrepreneuriat dans le secteur sportif, l’instauration du partenariat public privé, la création d’incubateurs de startups sportives sont tout autant des solutions possibles pour offrir à ces jeunes la possibilité d’avoir un travail qui leur garantie l’autonomie et la dignité.

* Représentant de l’AMS en Tunisie et assistant du SGWSA pour le monde arabe.

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