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Nidaa Tounes: Le parti gouvernemental vole en morceaux

Ridha-Belhaj--Mohsen-Marsouk---Hafedh-Caïd-Essebsi

Ridha Belhaj, Mohsen Marzouk et Hafedh Caïd Essebsi: les «frères» ennemis.

Des conflits au sein du parti gouvernemental Nidaa Tounes détruisent le projet politique du président Caïd Essebsi, dont le fils essaie de s’emparer du pouvoir par la force.

Par Annette Steinich

Vingt-deux députés ont quitté dernièrement le parti gouvernemental Nidaa Tounes pour former leur propre groupe parlementaire sous le nom d’«Al-Horra» (Libre). Depuis, le parti islamiste modéré Ennahdha, qui compte 69 députés, est de nouveau la principale force au parlement.

Ce processus de dissolution au sein du parlement tunisien est le résultat d’un conflit à l’intérieur du parti qui couvait depuis des mois entre les deux ailes ennemies de ce rassemblement séculier et modéré fondé par Béji Caïd Essebsi en 2012.

Coup de poignard du fils

L’aile gauche libérale se regroupe autour de l’ancien secrétaire général Mohsen Marzouk, ancien fils spirituel de Caïd Essebsi. Homme politique talentueux mais imprévisible, Marzouk a annoncé vouloir présenter son nouveau parti début mars prochain.

Beji-et-Hafedh-Caid-Essebsi

Béji et Hafedh Caïd Essebsi.

L’autre aile est présidée par Hafedh Essebsi, le fils du président. Ce propriétaire d’un supermarché spécialisé dans la vente de l’alcool, âgé de 53 ans, est considéré comme un poids plume politique et intellectuel et comme quelqu’un de facilement manipulable. C’est surtout la question du pouvoir et de l’influence qui divise le parti. A ce jour, le parti n’a pas encore tenu son congrès constitutif. Les structures internes ne peuvent guère être considérées comme démocratiques. En terme de contenu, c’est la proximité avec le parti islamiste Ennahdha et l’adhésion d’anciens cadres du parti unique Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), aujourd’hui interdit, qui sous Ben Ali comptait deux millions d’adhérents.

En novembre dernier, lors d’une réunion du parti à Hammamet, des affrontements violents ont même éclaté entre les deux ailes.

Le 10 janvier, le congrès du parti organisé dans la ville côtière de Sousse a provoqué l’éclat. Alors qu’un accord avait été trouvé avec Caïd Essebsi père, la nouvelle direction du parti surdimensionnée et avalisée à la va-vite était composée surtout de partisans de

Hafedh. Cette décision a provoqué l’ire des délégués régionaux et des délégués de la jeunesse. Par la suite, de nombreuses personnalités politiques renommées comme le très respecté ministre de la santé Saïd Aïdi ont annoncé leur démission de Nidaa Tounes.

Beji-Caid-Essebsi-et-Mohsen-Marzouk

Le fils spirituel poussé vers la sortie.

Confuse et sans autres déclarations, la centrale du parti a retiré pendant le week-end une partie des décisions prises à Sousse. Hafedh n’est plus directeur exécutif, dix commissions ont été chargées de la préparation du congrès du parti prévu pour fin juillet.

Toutefois, ce geste ne semble guère pouvoir calmer la vague de protestation et surtout la déception des électeurs. Rym Mahjoub, députée d’Afek Tounes, petit partenaire dans la coalition gouvernementale déclare: «Nidaa est fini». Cela n’est dans l’intérêt de personne, même pas d’Ennahdha. L’amalgame, autrefois bien connu entre les intérêts politiques et familiaux porte atteinte au pays, disent les critiques.

Des ennemis jurés comme alliés

Les derniers développements risquent même d’entamer l’image de Caïd Essebsi présenté comme le sauveur de la nation. Le président, aujourd’hui âgé 89 ans, a fondé Nidaa Tounes comme un mouvement anti-islamiste et en opposition au gouvernement de la Troïka au pouvoir après la Révolution. Dans un élan victorieux phénoménal, il a gagné fin 2014 les élections législatives et présidentielles et a… inclus Ennahdha dans le gouvernement.

L’ancien ennemi juré, Ghannouchi, le chef très puissant d’Ennahdha, un parti aux structures bien organisées, devint ainsi son partenaire politique. Dernièrement, Caïd Essebsi n’a pas laissé échapper une occasion pour souligner qu’en Tunisie l’islam pouvait être concilié avec la démocratie. Ghannouchi, invité à intervenir lors du congrès du parti à Sousse, a même comparé la Tunisie à un oiseau dont les deux ailes étaient Ennahdha et Nidaa. A la fin de l’année, il était même question de listes communes pour les élections régionales.

Tant de calcul politique pour se maintenir au pouvoir agace les électeurs des deux camps.

Avec effroi, de nombreux Tunisiens observent le retour des anciens cadres du RCD et des porteurs de valise du dictateur Ben Ali. Dans une belle rhétorique, cette alliance est présentée comme la «famille destourienne», le mouvement arabo-nationaliste de Habib Bourguiba, le fondateur de l’Etat tunisien, et prédécesseur du parti unique RCD de Ben Ali.

Ghannouchi-et-Caid-Essebsi

Ghannouchi – Caïd Essebsi: Une entente qui n’est pas du goût des électeurs de Nidaa.

Raouf Khammassi fait partie de ces revenants. Parti dans les années soixante pour faire ses études à Bielefeld, il soigna ses contacts avec les élites du pays. Membre du bureau politique du RCD, il représentait les Tunisiens à l’étranger installés en Allemagne.

Aujourd’hui, Khammassi qui a des liens familiaux avec le vice-président d’Ennahdha Mourou, mène l’aile conservatrice du parti. On lui attribue une très grande influence sur Hafedh Caïd Essebsi.

Que cet homme d’affaires, propriétaires de plusieurs restaurants en Allemagne, est depuis les années soixante-dix membre du SPD allemand ne semble pas inquiéter la nouvelle élite du parti sans conviction politique de Nidaa Tounes. Khammassi lui-même déclare: «Nous devons nous débarrasser de la gauche; les électeurs de Nidaa sont des conservateurs.» Depuis qu’Ennahda s’est éloigné de sa «mentalité de Frères musulmans», explique-t-il, le parti fait de nouveau partie de la famille des destouriens, tout en contestant qu’il exclut ainsi une bonne partie de la société civile et des intellectuels qui ont fait le succès de Nidaa et l’ont porté au pouvoir.

Source : ‘‘Neue Zürcher Zeitung’’, du 30 janvier 2016 (©NZZ AG).

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