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Grogne des avocats : Les dessous d’un marchandage

Ameur-Mehrezi

Me Ameur Mehrezi.

Derrière la grogne des avocats, largement inspirés par eux, c’est à une guerre de positions que se livrent les dirigeants d’Ennahdha, pour pousser leur avantage.

Par Jomâa Assâad

Comme par enchantement, l’Ordre national des avocats tunisiens (Onat) a décidé d’annuler les mouvements de protestation contre le projet de la loi de finances 2017, pompeusement nommés «semaine de colère», qui auraient dû débuter aujourd’hui.

Curieusement, cette annulation n’est intervenue que quelques heures avant son entame. Plus étrange encore, le laconique communiqué l’annonçant n’a fait état d’aucune explication qui puisse justifier pareille mesure prise à la dernière minute.

La main du Nahdhaoui Noureddine Bhiri

Selon le communiqué, cette suspension vient à la suite de la reprise des négociations avec la partie gouvernementale concernant le projet de la loi de finances 2017. Or, nous n’avons constaté aucune spectaculaire évolution de la situation, tant il est vrai que la position initiale du gouvernement le présentait, de prime abord, comme «ouvert au dialogue avec toutes les parties concernées». Cette explication ne semble donc pas tenir la route. D’autant que la ministre des Finances a, non seulement, été très claire (il n’y aura pas de concessions substantielles à ce sujet), mais elle a de surcroît barré la route de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) aux avocats qui, surreprésentés, y sont très influents. Réduisant d’autant leurs chances de réaliser des avancées majeures concernant ce dossier.

Comment, dès lors, pourrait-on expliquer cette suspension?

Petite rétrospective : l’élection du bâtonnier Me Ameur Meherzi ainsi que celle d’une bonne partie du conseil de l’Onat a été rendue possible grâce au «lobbying» des ténors d’Ennahdha et notamment de celui du député Noureddine Bhiri, avocat lui-même et ancien ministre de la Justice. Nidaa Tounes, quant à lui, s’est contenté de suivre le mouvement, car traversant une crise larvée et disposant d’une marge de manœuvre somme toute réduite.

La «diplomatie populaire» de Ghannouchi

Premier témoignage de reconnaissance au bienfaiteur nahdhaoui : les fidèles savamment placés à l’Onat ont, sous couvert de défense des intérêts des inscrits au barreau, permis au «cheikh» Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, de se repositionner dans les relations tuniso-algériennes, et, de manière plus générale, sur l’échiquier de la politique étrangère avec sa fameuse «diplomatie populaire», ressuscitée à l’occasion. Ce faisant, ils lui permettaient d’ôter deux épines du pied. La première : un froid de plus en plus glacial, ô combien handicapant avec le grand frère algérien. Est-il besoin de rappeler que le président Bouteflika, échaudé, n’a jamais éprouvé une dévorante passion pour les islamistes? La seconde : un véto présidentiel à l’encontre d’un péché mignon du cheikh : sa fameuse «diplomatie populaire». Estimant que la politique étrangère était sa chasse gardée, le président Béji Caïd Essebsi (BCE) voyait d’un très mauvais œil que l’on se permette de marcher sur ses plates-bandes.

Pour atteindre ce double objectif, comment nos fins stratèges nahdhaouis s’y sont-ils donc pris?

Tout simplement en provoquant, via l’Onat, un incident diplomatique avec notre voisin. Les faits, insignifiants en eux-mêmes, n’ont de véritable valeur que par leurs conséquences. Sur fond d’une sombre affaire d’équivalence de diplômes et de validation de stages d’avocats tunisiens ayant accompli leur cursus en Algérie, l’Onat, nouvellement élu, s’est évertué à discréditer son prédécesseur ayant avalisé le dossier et, surtout, l’Etat tunisien, signataire d’une convention avec l’Etat algérien en la matière.

La preuve était désormais faite pour la partie algérienne que compte tenu de la faiblesse de l’Etat tunisien, les Nahdhaouis étaient incontournables dans tous rapports bilatéraux. Et c’est en grande pompe que le vénérable «cheikh» fut reçu en Algérie… Cerise sur le gâteau : Ghannouchi a réussi le tour de force de se faire mandater par BCE lui-même. Le fait en deviendra coutumier.

Le prestige de l’Etat en question

Second gage de reconnaissance : monnayer le soutien des Nahdhaouis au projet de la loi de finances 2017 en soutirant à «l’allié stratégique» un maximum de concessions. L’Onat se disait disposé à en arriver aux extrêmes si le gouvernement ne révisait pas ses positions au sujet de la nouvelle taxation imposée aux avocats. Le gouvernement n’a rien révisé et l’Onat, bien loin d’en arriver aux extrêmes, n’a même pas entamé le processus des protestations.

Unique explication, la surenchère a porté ses fruits : le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) quasi acquis pour les Nahdhaouis, désignation de Abdellatif Mekki à la présidence de la commission parlementaire chargé des affaires de la défense et de la sécurité, et celle de Kalthoum Badreddine à la tête de la commission du règlement intérieur, de l’immunité, des lois parlementaires et des lois électorales, dont le premier haut fait a été la levée (avortée ?) de l’immunité parlementaire à l’encontre de deux députés Nidaïstes… plus quelques petits éventuels «bonus» dont les jours prochains nous informeront. Mission accomplie : l’Onat pouvait désormais desserrer son étreinte. Et, éventuellement, rentrer dans les rangs. C’est une question de temps.

Dernier petit détail pour couronner le tout: le timbre fiscal auquel les avocats seraient assujettis en vertu du projet de la Loi de finances 2017, tant décrié par lesdits avocats, a été préconisé par l’Onat lui-même… sous l’ancien bureau. Ce gouvernement dit d’union nationale n’a même pas eu l’audace de le lui rappeler… En fait de gouvernement, seuls deux ou trois ministres se sont voués à la défense de ce projet de loi. Celui de la Justice, en pleine contemplation philosophique semble-t-il, se tient résolument au-dessus de ces contingences bassement matérielles, nous exposant sans réplique aux arguties procédurières des avocaillons. Bel exemple de solidarité gouvernementale, à défaut d’être nationale!

Monsieur le président de la république, le «prestige» de l’Etat passe par là aussi.

A moins qu’il ne nous faille attendre une prochaine, et fort probable, main basse des islamistes sur l’UGTT pour que, vous départissant enfin de votre prestige personnel, vous daigniez vous pencher sur le problème.

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