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Justice pour la sage-femme, une profession incomprise

La profession de sage-femme, la plus représentative de la spécificité féminine, se voit, une nouvelle fois, injustement, refuser la satisfaction de ses demandes professionnelles.

Par Dr Mounir Hanablia *

La grève des sages-femmes s’est déroulée il y a quelques jours à l’appel du syndicat de la profession. Ce qui est remarquable, c’est que cette grève a fait l’unanimité contre elle. En effet, elle a été dénoncée autant par l’UGTT que par le ministère de la Santé publique, ce qui est plutôt rare. Est-ce un hasard?

Cela fait plusieurs années que la profession exprime des revendications syndicales spécifiques, dont la plus remarquable est le droit à un statut propre et la valorisation de la formation. Et eu égard au statut social et professionnel de leurs consoeurs dans de nombreux pays, en particulier en Hollande, où la sage-femme jouit d’un grand prestige et d’un grand respect, ou même l’Algérie, où le statut professionnel lui a été concédé, la sage-femme en Tunisie peut d’autant revendiquer une revalorisation de sa profession que tous les gynécologues exerçant actuellement ont fait leurs classes en salle de travail sous sa supervision, qu’actuellement dans le secteur privé c’est elle qui décharge le gynécologue de l’obligation de suivre la femme en salle de travail jusqu’à l’accouchement, et qu’elle dispose du droit non seulement de pratiquer les accouchements mais également des actes tels que les insertions de stérilets, ou bien des prescriptions de médicaments pendant ou en dehors des accouchements; pour ne pas parler dans les dispensaires de son rôle dans les dépistage des cancers féminins, et celui des maladies sexuellement transmissibles, ainsi que leur prévention.

On peut même dire que rien ne devrait l’empêcher de pratiquer des actes diagnostics assez complexes comme l’échographie fœtale, et en France, par exemple, elle possède le droit d’acquérir un diplôme de compétence.

Curieuse concordance entre l’UGTT et le ministère de la Santé

Apparemment, ce sont justement ces spécificités liées à son métier qui valent à la sage-femme des inimitiés durables autant parmi certains gynécologues, soucieux de ne pas susciter dans leur corps de métier une concurrence jugée dangereuse, que parmi bon nombre des cadres paramédicaux qui ne voient pas d’un bon œil une profession spécifique acquérir une reconnaissance dont eux-mêmes seraient privés. Peut être à raison: les infirmiers au Maroc, par exemple, se sont dernièrement vus reconnaître le droit de préparer une maîtrise d’Etat leur permettant de postuler sous certaines conditions à l’inscription pour des études médicales en faculté de médecine.

Mais il s’agit de deux situations distinctes, l’une se rapportant à l’ouverture sur d’autres perspectives, l’autre à une valorisation professionnelle. En tous cas, le fait est là : l’UGTT avait toujours refusé de soulever les revendications professionnelles spécifiques de la sage-femme dans un cadre autre que celui des revendications communes à tous les cadres paramédicaux.

Et donc après plusieurs années de promesses non tenues et d’atermoiements, des sages-femmes avaient fini par créer un syndicat autonome chargé de défendre leurs propres revendications professionnelles et syndicales, et l’ancien ministre de la Santé, Said Aïdi, après des manifestations devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), avait promis de régler la question dans un sens favorable; ainsi d’ailleurs que les membres de la commission parlementaire en charge de la question, les assurant de leur soutien.

Toujours est-il que, concomitamment à tout cela, des manifestations avaient été organisées par l’ensemble des paramédicaux exigeant de bénéficier des mêmes droits que ceux qui seraient reconnus et accordés aux sages-femmes, et c’est en se référant à cela que finalement, aussi bien les représentants du peuple que le ministère de tutelle, se sont fondés, d’une manière assez injuste, pour ne pas donner suite aux revendications professionnelles du syndicat des sages-femmes.

Autrement dit, comme bien souvent, des revendications justes n’ont pas été satisfaites pour ne pas mécontenter les tenants de revendications sans doute justes, mais dont l’opportunité l’était certainement moins. Il faut tout de même se poser la question de savoir si les revendications soulevées concomitamment à celles bien plus anciennes des sages-femmes n’avaient pas simplement pour but de torpiller les initiatives de ces dernières, sans plus; et si tel est le cas, qui aurait été assez puissant pour en être l’instigateur… Car plusieurs questions, se posent face à cette concordance brusquement établie entre l’UGTT, et l’actuelle ministre de la Santé publique, dont le refus de recevoir des membres du Syndicat autonome des sages-femmes, avait mis le feu aux poudres en précipitant la grève.

Faut-il en conclure que le bien-fondé des revendications aux yeux de l’autorité de tutelle, se juge ou non en fonction du Syndicat qui les présente? Une question d’autant plus pertinente après le limogeage du directeur général de l’hôpital de Sfax, abstraction faite de toutes les déclarations incendiaires et des violations de la loi, qui l’avaient précédée, et dont on sait à qui la responsabilité incombe.

Une autre question a trait à l’aspect symbolique d’une profession dont la spécificité est d’abord d’aider à l’accomplissement de la maternité, et d’autre part d’être exercée exclusivement par des femmes, de surcroît dans des conditions souvent difficiles, en particulier dans les coins perdus du pays, sans la couverture d’un gynécologue.

Une seule journée de réaction pour des années de déni de justice

Le fait que cette profession soit du ressort exclusif de femmes en prouve bien toute la spécificité et justifie déjà le choix de l’autonomie corporatiste de ses instances syndicales représentatives. Une autonomie qui n’a pas l’heur de plaire au syndicat sectoriel, et qui revient à dire que l’incompréhension à laquelle se trouve en butte la profession soit, en partie, due au fait qu’elle soit perçue et jugée comme une profession féminine.

Autrement dit, à une époque où les droits des femmes sont menacés et devraient être défendus avec acharnement par tout l’éventail progressiste de la société, des partis politiques à la société civile, la profession la plus représentative de la spécificité féminine se voit une nouvelle fois injustement, comme cela s’est toujours fait depuis près de trois décennies, refuser la satisfaction de ses demandes professionnelles légitimes sans que quiconque ne réagisse.

Abstraction faite de la nécessaire amélioration de la sécurité des mères et des bébés, mais aussi du dévouement professionnel et des services rendus à la société dans des régions où les spécialistes, en l’occurrence les gynécologues, refusent de s’installer, est-ce ainsi que dans le pays dont les spécificités culturelles le rangent d’emblée aux yeux du monde dans le camp misogyne, on arrivera à redresser une image aussi défavorable qu’handicapante?

Le fait de considérer comme illégale et de punir une seule journée de réaction à des années de déni de justice de la part des sages-femmes, à qui on n’avait pas vraiment laissé d’autre choix que de manifester leurs colères, tout en faisant preuve de mansuétude à l’égard de ceux qui avaient, pendant des semaines et des mois, commis des actes bien plus répréhensibles pour des raisons beaucoup moins justifiables, tout cela ne fait que renforcer la détermination de cette profession à revendiquer ses droits légitimes. Il y va non seulement de sa crédibilité, mais de l’honneur et de la place de l’ensemble des femmes tunisiennes dans la société.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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