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Pourquoi Caïd Essebsi snobe-t-il l’Afrique?

Cela fait plus de deux ans que le président Béji Caïd Essebsi est entré au palais de Carthage. Il a visité les Etats-Unis et plusieurs pays européens et arabes, mais pas encore en Afrique subsaharienne.

Par Chedly Mamoghli *

Vendredi 31 mars 2017, le président Béji Caïd Essebsi a fait deux ans et trois mois jour pour jour depuis qu’il est entré en fonction et il n’a visité aucun pays africain à l’exception de l’Algérie, pays frontalier, et de l’Egypte, colonne vertébrale du monde arabe. Il n’a entrepris aucune visite officielle en Afrique subsaharienne. Aucune. Il boude notre continent y compris l’Afrique de l’Ouest qui nous est historiquement et culturellement si proche. Pourquoi cette attitude? Est-ce voulu sciemment? Ou bien est-ce un comportement inconscient et donc non-voulu? Mais même dans ce cas, cela dénote que l’Afrique est vraiment le talon d’Achille de la politique étrangère de notre président.

Pour les conseillers de M. Caïd Essebsi, pour son ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinaoui, qui n’est pas un africanophile lui non plus, et pour tous ceux qui ont une influence sur la politique étrangère tunisienne, le monde se résume à l’Europe de l’Ouest, aux États-Unis et au monde arabe.

Une attitude maladroite

Également, nous ne voyons plus de visites officielles de chefs d’États africains à Tunis, c’est devenu rarissime et quand il arrive qu’un président africain vienne chez nous, il est accueilli par le président tunisien au Palais de Carthage, quand il s’agit d’une autre nationalité, le président se déplace lui-même à l’aéroport pour l’accueil officiel de son hôte.

L’Afrique serait-elle une quantité négligeable aux yeux de nos gouvernants? Pour nous qui suivons de très près la politique africaine de la Tunisie et les actions des gouvernants envers notre continent, la déception est grande. Ils peuvent parler, c’est ce qu’ils savent faire mais nous ne serons pas convaincus car nous jugeons par les actions entreprises et, dans ce cas, il y a une véritable carence.

Quand nous voyons le roi du Maroc Mohammed VI enchaîner tournée africaine sur tournée africaine et sillonner le continent dans tous les sens, nous ne pouvons que regretter encore davantage que notre chef d’État n’en fasse pas autant.

On nous dira que le chef du gouvernement Youssef Chahed est parti, cette semaine, pour une tournée marathon au Niger, au Mali et au Burkina Faso. On remarquera qu’il passera un jour dans chaque pays, pas une heure de plus. C’est trop peu pour marquer les esprits, même si on doit admettre qu’il a beaucoup à faire en Tunisie, où la situation sociale reste quelque peu explosive.

Aux larbins de service, nous répondons que c’est au président de la république, qui considère la politique étrangère comme un domaine réservé, de se déplacer en Afrique. Et nous savons la place importante et particulière qu’accordent nos amis africains au poste de président, qui a une symbolique beaucoup plus forte que nulle part ailleurs. C’est donc à Béji Caïd Essebsi d’y aller sans plus tarder. Il a snobé le continent pendant la première moitié de son mandat; il doit mettre fin à cette attitude maladroite.

Pour ce qui est de la visite de M. Chahed, c’est une initiative louable que nous saluons et nous espérons que ce sera le début d’une longue série de visites africaines même si elle a été reportée à maintes reprises ce qui a déplu à nos amis.

Cette visite intervient comme pour calmer les esprits et tenter de sauver les apparences, «tenhit mlèm» comme l’exprime si bien l’expression dialectale tunisienne.

La leçon de l’échec de Jalloul Ayed

Autre élément important et que nous ne pouvons pas passer sous silence concerne l’absence de représentation diplomatique à Conakry, capitale de la Guinée, pays qui bouge et dont le président Alpha Condé préside cette année l’Union africaine. Nous n’avons pas, par ailleurs, de représentation diplomatique à Libreville et Dieu sait l’importance du Gabon en Afrique et dans ce que les initiés appellent «la communauté des chefs d’États de l’Afrique de l’Ouest». Nous n’avons pas, non plus, de représentation diplomatique à Kigali, alors que le Rwanda est un pays très dynamique aux multiples opportunités, un champion africain.

Ces réalités échappent à nos gouvernants dont l’ignorance de notre continent est un cas d’école. Il est peut-être temps qu’ils commencent à s’y intéresser?

On peut dire la même chose en ce qui concerne l’Asie : aucune visite présidentielle à Pékin, Séoul, Tokyo, New Delhi, Jakarta, Singapour et Kuala Lumpur, alors que la croissance mondiale bat dans l’Asie-Pacifique. Dommage que dans la tête du président et de son entourage, le monde se résume à l’Europe de l’Ouest et aux États-Unis.

Alors que les exportations représentent l’un des trois moteurs de la croissance dont notre économie a vitalement besoin et que l’Afrique représente un continent à fort potentiel économique, nous lui tournons hélas le dos.

Les opérateurs économiques veulent peser sur le marché africain; ils ne demandent que ça; ils se rendent même dans les pays où nous ne sommes pas représentés diplomatiquement; ils sont seuls et se débrouillent comme ils peuvent.

La Tunisie n’a même pas tiré les leçons de l’échec de la candidature de Jalloul Ayed à la présidence de la BAD. Pire, ce triste épisode est passé aux oubliettes. C’est un constat affligeant qui souligne l’absence de toute politique africaine chez nous.

L’aîné doit prendre sa place

Le président Caïd Essebsi doit mettre le cap sur l’Afrique sans plus tarder, la situation urge. Et je suis convaincu que par son statut de chef d’Etat, si important aux yeux de nos amis africains, et de par son âge et le fait qu’il était un compagnon de route de Bourguiba, l’un des pionniers du continent, où les aînés sont très respectés et estimés, il pourra ancrer la place de la Tunisie aux quatre coins de l’Afrique.

Il doit, également, mettre fin à une autre fâcheuse habitude, celle de déserter les sommets de l’Union africaine, attitude très mal vu par ses 55 membres, et qu’il semble partager avec l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali, qui a dilapidé, en 23 ans de règne, le capital de sympathie que la Tunisie avait dans le continent africain et qu’elle devait à Bourguiba.

* Juriste.

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