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Le salaire de la peur d’Ennahdha

La multiplication des professions de foi en faveur des droits et libertés de la part du parti islamiste Ennahdha n’est que de la désinformation.

Par Farhat Othman *

Tant que ces professions de foi ne sont pas confirmées par des projets de loi au parlement, elles ne peuvent faire foi, car on ne gouverne pas avec des mots, mais par des textes juridiques.

La Tunisie aujourd’hui ressemble à un paysage de film de western américain où tout est possible en un Far West mis au goût du jour, où celui qui dégaine le plus vite, shérif ou outlaw, est celui qui a le dernier mort, même s’il n’est pas le plus fort, même s’il est le plus fou.

Il est même en notre pays cette atmosphère moite et lourde dans l’agressive beauté de ses décors naturels quasi sauvages, s’ajoutant à un suspense politique haletant avec les inévitables rebondissements dramatiques angoissants et tragi-comiques consternant.

Remake du film de Clouzot

C’est qu’une partie de poker de politique à l’antique s’y joue depuis la déclaration de la guerre à la corruption, une oeuvre dure, violente et de longue haleine, qui «prend aux tripes» comme on a dit de cet excellent film de Henri-Georges Clouzot : ‘‘Le Salaire de la peur’’, un grand moment de cinéma malgré les années et dont la thématique semble correspondre à ce que vit le parti Ennahdha ces jours-ci.

Datant de 1953, d’après Georges Arnaud, avec les inoubliables Yves Montand (dans le rôle de Mario) et Charles Vanel (dans celui de Jo), ‘‘Le Salaire de la peur’’ se passe au coeur de l’Amérique centrale où quatre aventuriers, contre une forte somme d’argent, acceptent la périlleuse mission consistant à convoyer deux camions chargés de nitroglycérine devant servir à éteindre l’incendie d’un puits de pétrole. Outre les deux Français, Mario et Jo, il y a Luigi, un Italien, et Bimba, un Allemand pour faire le transport, long et périlleux, de la dangereuse cargaison, sur un chemin escarpé où la moindre secousse est de nature à faire tout exploser.

Si Luigi et Bimba ne réussissent pas à éviter l’explosion de leur camion, perdant la vie dans l’aventure et si Jo, grièvement blessé, meurt de gangrène, Mario réussit à arriver sain et sauf à destination, livre sa cargaison d’explosifs et gagne le salaire de la peur endurée durant le trajet aller. Mais, sur le trajet retour, revenant tout heureux d’avoir réussi, ivre de joie même, il perd le contrôle de son véhicule et finit par s’écraser dans un précipice.

Voilà ce que raconte ce film dont le parti Ennahdha semble vivre actuellement les péripéties en Tunisie. On le sait désormais, le parti a été la pièce maîtresse de la stratégie occidentale pour déstabiliser Assad en Syrie et Kadhafi en Libye. Ce n’était ni pour les beaux yeux du parti islamiste et encore moins pour les valeurs de liberté et de démocratie qui n’ont jamais été, pour le capitalisme, redevenu sauvage, qu’un cache-sexe pour voiler ses turpitudes matérialistes et impérialistes.

Pour mieux faire passer son nouvel impérialisme visant surtout le mental, l’Occident a monté de toutes pièces une alliance avec l’islam intégriste, alliance capitalislamiste sauvage qui n’a été, au vrai, que l’extension de l’alliance stratégique entre les États-Unis et cet Etat islamique (Daech) ayant réussi qu’est l’Arabie Saoudite. D’où d’ailleurs la forte tentation ayant saisi l’Occident de rééditer la même stratégie avec un autre Daech en Irak et en Syrie.

Or, si dans le cadre de cette stratégie occidentale, Ennahdha a réussi là ou d’autres islamistes ont perdu, comme en Égypte, le parti islamiste tunisien n’a pas encore fini de toucher le salaire de la peur. Car, aujourd’hui, il commence à l’éprouver, le temps des comptes étant venu avec l’échec de la stratégie occidentale en Syrie et le changement de sa stratégie, et ce Qatar qui supportait à bout de bras Ennahdha et qui n’est plus en odeur de sainteté. Ennahdha est même est de plus en plus désigné comme responsable de l’affluence sur le territoire syrien de nos jeunes trompés. En effet, lors du gouvernement de la «troïka», la coalition gouvernementale qu’il a conduite de janvier 2012 à janvier 2014, il a laissé faire, pour le moins, ceux qui tenaient ce discours manichéen sur la nécessité d’un jihad obsolète en islam, et qui a fait le terreau des terroristes.

Plan B d’Ennahdha

Avec le déclenchement de l’opération mains propres qui doit bien, tôt ou tard, finir par exiger des comptes aux responsables du pays en un temps où la corruption, surtout mentale, s’est retrouvée encouragée sinon institutionnalisée, on voit le parti multiplier les actions de blanchiment de son dogmatisme dans le seul domaine où il lui est encore possible d’agir avec quelque efficacité encore, celui des droits et des libertés.

En effet, du fait des contradictions des supposés modernistes, le parti Ennahdha peut encore se présenter comme étant le plus libéral en matière la matière. Pour cela, de grosses pointures sont en train de mener une campagne d’information sur ce qui serait leur option libérale en matière de droits et de libertés. La dernière sortie en date est celle de Lotfi Zitoun.

Or, cela ne que relève de la pure désinformation du moment qu’on se limite à des paroles sans les faire ni suivre ni précéder par des actes; ce que commande pourtant le poids du parti au parlement qui est en mesure, non seulement de proposer, mais aussi de faire voter des projets de loi dans le sens des récentes déclarations d’intention. D’ailleurs, la logique politique veut qu’on commence d’abord par proposer des projets de loi avant de venir en parler dans les médias.

Assurément, la peur de devoir payer le prix fort pour sa catastrophique gestion au pouvoir dont il a usé et abusé, amène Ennahdha désormais à lâcher du lest, ne serait-ce qu’en parole. Or, en Tunisie d’aujourd’hui, il ne suffit plus de parler, il faut agir par des actes en termes de projets de loi dans, au moins sur les sujets ayant fait l’objet des dernières interventions du plus proche conseiller du président du parti : abolition de l’homophobie, dépénalisation du cannabis, libéralisation totale du commerce et de la consommation d’alcool; sans parler de la réforme impérative et incontournable de l’égalité successorale.

C’est d’autant plus impératif que la société civile n’a pas manqué de proposer les projets les plus divers en la matière, des plus militants, se référant juste au droit, aux plus consensuels se réclamant aussi de la religion à laquelle réfère le droit constitutionnel en Tunisie et dont usent les islamistes pour ne rien entreprendre.

Alors, le parti Ennahdha aura-t-il assez d’intelligence pour ne pas perdre le salaire de sa peur actuelle comme Mario, le héros du film précité? La seule issue pour le parti islamiste pour se protéger du tsunami qui s’annonce est de jouer enfin la carte des droits et des libertés en Tunisie, franchement et sans louvoiement. Cela suppose des projets de loi sur les sujets sensibles ci-dessus évoqués pour le moins.

Il faut dire que c’est un plan B qui existe depuis longtemps dans les cartons de M. Ghannouchi qui ne semble pas encore s’y résoudre bien que le ratio inconvénient/bénéfices impose d’y recourir. D’où cette perte (ou gain pour lui) de temps en parlerie médiatique, se voulant comme une préparation de terrain pour ménager les siens.

Or, il importe au plus vite d’acter de telles paroles. Ce ne serait alors que tout bénéfice, au-delà du parti islamiste, pour tout le pays; un bienfait qu’on n’a pas cessé de réclamer en dehors de tout manichéisme. Vivement donc une nouvelle idéologie libérale et humaniste chez Ennahdha! C’est sa dernière carte pour ne pas connaître le sort du héros du film de Clouzot. Car, comme on le sait depuis l’antiquité, la roche Tarpéienne est proche du Capitole!

* Ancien diplomate.

 

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