Souhir Ben Amara.
Film de fiction tiré de l’histoire récente de la Tunisie, ‘‘El Jaïda’’ est aussi un plaidoyer politique pour une réelle émancipation des femmes.
Par Fawz Ben Ali
Le 4e long-métrage de fiction de Salma Baccar est actuellement dans les salles tunisiennes après avoir été projeté en avant-première, et lors d’une séance spéciale moyennement agitée, aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC-2017).
La cinéaste a réuni une panoplie de comédiens et surtout de comédiennes autour de ce film qui lui a demandé plusieurs années d’écriture et puis de réécriture avec la comédienne Wajiha Jendoubi (également actrice principale du film).
Recherche, documentation et témoignages : tel était le travail que nécessitait ce film voulu comme une leçon d’histoire et une ode féministe. D’ailleurs, la cinéaste a tenu à ce que son film soit diffusé à la prison des femmes de Manouba lors des JCC, avant sa sortie dans les salles.
Des femmes indociles et éprises de liberté
Salma Baccar, fidèle à son parcours de cinéaste engagée et de femme politique progressiste, nous dévoile un chapitre peu connu des nouvelles générations sur l’histoire de la Tunisie et plus particulièrement celle des femmes. Il s’agit de Dar Jouad, une sorte de maison de redressement à laquelle on envoyait les femmes insoumises pour une durée indéterminée.
Le sort des femmes régenté par les hommes.
Le film se situe à quelques mois de l’indépendance, et c’est sur fond de fougue nationaliste que la cinéaste nous emmène dans le quotidien de femmes de tout âge et de tout milieu social.
Pour commencer, gros plan sur des pieds de femmes qui tâtent le sol et avancent lentement avec hésitation, une marche à l’image d’une vie écrasée et un avenir incertain.
On fait d’abord la connaissance de Bahja (jouée par Wajiha Jendoubi) qui découvre que son mari la trompe. Face au refus de l’épouse de répondre à ses «devoirs conjugaux» (acte de résistance féminine puisqu’à l’époque les femmes ne pouvaient pas demander le divorce), le mari décide de punir cette femme «outrageante» en l’envoyant à Dar Jouad. Et c’est là que Salma Baccar nous fait découvrir les tribunaux et les juges de l’époque. Il s’agit d’une institution dirigée par un Cheikh plutôt qu’un juge et deux conseillers religieux (de rites malékite et hanéfite) qui font tout pour inculper la femme, qu’elle soit victime ou fautive.
Le récit se déploie sur plusieurs histoires de femmes qui, l’une après l’autre, vont devoir séjourner à Dar Jouad, où elles seront surveillées par une sorte de geôlière qu’on appelle «El Jaïda», brillamment jouée dans ce film par Fatma Ben Saïdane.
Quand le mariage devient une prison.
Chargée d’éduquer ces femmes «indociles», El Jaïda se montre tout au long du film une véritable ennemie pour ses prisonnières. Mais les personnages de Salma Baccar ne sont aucunement figés ou linéaires, ils évoluent au fil des événements. En effet, l’enfermement et l’aliénation laissent place à la solidarité et à une volonté de rester soudées.
Des amitiés, des complicités et même une ambiance festive règne parfois à Dar Jouad, donnant du rythme et de la vivacité au film qui prend une dimension humaine et intemporelle en plus de son aspect historique.
L’avant et l’après Bourguiba
Chacune de ces femmes s’est trouvée là pour une raison différente, envoyée par un mari, un frère, un père… qui exerce son devoir de patriarche protecteur.
Partant de ce constat sur cette époque régie par des lois archaïques, Salma Baccar mène un jeu de temporalités nécessaire à son message. Alors que dehors les manifestations battent leur plein, les femmes guettent derrières les murs un chamboulement qui est sur le point d’arriver. Et c’est là que la cinéaste introduit des images de Bourguiba, qui fera promulguer le Code du statut personnel (CSP) en 1956, qui donnera le coup d’envoi du mouvement d’émancipation féminine en Tunisie, et de femmes dans les rues, criant «Vive Bourguiba!», mais la cinéaste reprend son voyage cinématographique à travers le temps, et les pieds féminins qui hésitaient à avancer au début du film sont maintenant plus sûrs et déterminés.
Le film se conclut par un discours de Salma Baccar à l’Assemblée nationale constituante (ANC) en 2012 en faveur d’une vraie égalité entre l’homme et la femme.
Salma Baccar au milieu de ses acteurs.
Ce même personnage de Salma Baccar s’avère être la fille de Bahja au début du film qui lui disait : «Ne renonce jamais à tes études, c’est ce qui fera de toi une femme forte et indépendante !».
La petite Salma a bien suivi les conseils de sa mère puisqu’elle est aujourd’hui la grande cinéaste et la députée fervente qu’on connaît tous, celle qui, à travers sa filmographie et ses positions politiques, a toujours défendu la femme corps et âme.
‘‘El Jaïda’’ sera en compétition officielle au Festival du Caire 2017. Il est en ce moment dans les salles : Le Mondial, Le palace, Le Colisée (centre-ville de Tunis), Ciné-Jamil (Menzah 6), L’Agora, El Hambra (La Marsa), Ciné-théâtre La Médina (Hammamet) et Le Palace (Sousse).
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