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Affaire Rached Jaïdane : Un nouveau pas vers la recherche de la justice ?

La première audience dans le cadre du processus de justice transitionnelle pour l’affaire Rached Jaïdane a eu lieu hier, jeudi 4 octobre 2018 à Tunis. Mais l’audience a dû être reportée, indique un communiqué signé par 4 organisations internationales que nous reproduisons ci-dessous.

En raison du mouvement des magistrats qui a touché la quasi-totalité des chambres spécialisées, la chambre de Tunis, composée en partie de magistrats remplaçants, a dont prononcer le report de l’audience après 45 minutes d’échanges introductifs alors même que 5 accusés étaient présents.

Après que la cour d’appel de Tunis a donné, en décembre 2017, un arrêt retenant la prescription de la torture subie par Rached Jaïdane en faveur de ses tortionnaires, le transfert du dossier, en juin 2018, par l’Instance Vérité et Dignité (IVD) offre un nouvel espoir pour rendre justice et voir les auteurs présumés condamnés.

L’IVD a inculpé, lors du transfert du dossier de l’affaire, 9 auteurs présumés pour 6 chefs d’inculpation sur la base de plusieurs articles du Code pénal tunisien.

Rappel des faits : En 1993, Rached Jaidane, enseignant à l’université en France, se rend en Tunisie pour assister au mariage de sa sœur. Le 29 juillet, des agents de la sûreté de l’Etat l’interpellent à son domicile, sans mandat. S’ensuivent 38 jours de détention au secret et de tortures au ministère de l’Intérieur sous la supervision directe de hauts responsables du régime sécuritaire de Ben Ali.

Rached Jaidane est interrogé sur ses liens présumés avec un responsable du parti islamiste Ennahdha vivant en exil en France. Sous les coups, il finit par signer, sans les lire, des aveux dans lesquels il reconnaît notamment avoir fomenté un attentat contre le parti de Ben Ali.

Après 3 ans d’instruction judiciaire menée par un juge aux ordres, Rached Jaïdane est condamné à 26 ans de prison à l’issue d’un procès de 45 mn. Il sera libéré en 2006, après 13 ans de torture et mauvais traitements dans les geôles tunisiennes.

Malgré le fait que le crime de torture soit imprescriptible selon les dispositions de la Constitution tunisienne, le tribunal de première instance de Tunis a pourtant jugé le 8 avril 2015 que les faits étaient trop anciens. Les auteurs présumés sont ainsi repartis libres. Cette décision a été par la suite confirmée par la cour d’appel de Tunis le 21 décembre 2017.

Le 11 août 2017, la décision du Comité contre la torture, rendue à la suite d’une plainte déposée par l’ACAT et Trial international, s’inscrit à l’encontre des jugements rendus. Elle est lourde de sens et d’exigences vis-à-vis de la justice tunisienne. Tout en rappelant à la Tunisie l’«obligation (…) d’imposer aux auteurs d’actes de torture des peine appropriées eu égard à la gravité des actes», le Comité affirme que la justice tunisienne ne peut nullement retenir la prescription comme elle l’a fait dans l’affaire Jaïdane; et exige, dans les cas où les juges ne pourraient qualifier juridiquement de ‘torture’ des actes commis avant 1999 (date d’incrimination de la torture dans le code pénal), qu’ils retiennent une qualification reflétant la gravité des faits et permettant des poursuites.

Cette décision constitue un appel clair à rompre avec les pratiques d’impunité qui, au-delà de la douleur qu’elles infligent aux victimes, constituent un blanc-seing donné aux forces de sécurité tunisiennes qui continuent encore aujourd’hui de recourir à la torture et aux mauvais traitements.

L’histoire de Rached Jaïdane est emblématique du système tortionnaire tunisien, celui-là sur lequel les gouvernements post-révolution ont promis de tourner la page en rendant justice aux victimes. Et pourtant…

Aujourd’hui, et malgré ses obligations internationales ainsi que les réformes juridiques et institutionnelles introduites depuis 2011, l’Etat tunisien ne démontre toujours pas de volonté ferme de mettre fin à cette impunité. Dans ce contexte, la mise en place des chambres spécialisées représente un espoir considérable d’obtenir justice et de créer une jurisprudence solide sur laquelle des centaines d’autres affaires pourront se baser.

Dans ce contexte, les organisations signataires appellent le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ainsi que les acteurs concernés à procéder rapidement aux remplacements des membres manquants des chambres spécialisées et à leur formation; et la chambre spécialisée de Tunis à agir avec toute la diligence nécessaire pour poursuivre, dans le cadre d’un procès équitable, les présumés tortionnaires.

Organisations signataires :
– Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat);
– Avocats Sans Frontières (ASF);
– Trial International;
– Organisation mondiale contre la torture (OMCT).

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