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Quelle autorité pour la Cour constitutionnelle en Tunisie ?

La «nomination élective» par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à la majorité des deux tiers des quatre «sages» de la Cour constitutionnelle et les tiraillements politiques ravageant toute la sphère publique, rendent les «sages», en Tunisie, monnaie rare!

Par Me Sayah Oueriemmi *

«Si généraux soient-ils, les termes précités de l’article 6 de la déclaration de 1789 sont, à tout prendre, plus précis que la plupart des autres principes énoncés par notre ‘‘bloc de constitutionnalité’’ y-compris ceux énoncés à une date récente», ainsi commentait Pierre Mazeaud, l’ex-président du Conseil constitutionnel français, l’article 6 de la déclaration de 1789.

Il importe de rappeler la teneur de ses termes : «la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents».

La constitution, à ce sujet, est la norme des normes issues de la volonté générale. Elle se situe au sommet de la hiérarchie normative de l’Etat. Par, à la fois, les principes généraux qu’elle énonce et les règles de fonctionnement des pouvoirs publics qu’elle fixe.

De ces deux volets se dégage l’autorité de la constitution, autorité d’ordre moral et autorité d’ordre effectif relatif à la déclaration de conformité assurée par la cour constitutionnelle.

L’autorité morale de la constitution

Ça n’est pas tous les jours, ni toutes les années, ni, d’autant plus que toutes les décennies qu’on élabore une constitution. Celle-ci traduit, semble-t-il, l’état d’esprit de la volonté qui l’a élaborée. C’est l’une des causes qui a fait la différence entre les constituants de 1959 animés par leur enthousiasme et les constituants de 2014 animés par leur agitation !!!

Autant la constitution de 1959 était consensuelle, autant celle de 2014 reste controversée, aussi bien dans son contenu (principes généraux) que dans les règles de fonctionnement des institutions (régime politique).

La constitution est un modèle auquel on se réfère. Ce modèle devait influencer les esprits et dicter une conduite aux institutions.

«Une constitution trop peu connue, trop vilipendée, selon l’expression de Pierre Mazeaud, ou trop dévaluée à force d’être bousculée par des révisions de convenance n’inspire plus cette sorte de tendresse déférente qui conduit à se porter à son secours ou à y chercher une ligne de conduite».

Mais son inobservation pouvait donner matière à interpellation au parlement ou dans la presse. Que de dénonciation politique et non pas de censure juridictionnelle.

«Insuffisant parce que platonique, rétorqua Mazeaud, mais cela reste important». Le rayonnement moral et intellectuel d’une constitution est important parce qu’il conditionne une part de son effectivité.

Aussi parce que les principes fondamentaux par lesquels rayonne une constitution régissent la substance des actes juridiques pris par les pouvoirs publics au niveau inferieur de la hiérarchie des normes (lois ou règlements…). Ils prédéterminent cette substance, la bornent, l’orientent ou l’inspirent. Alors que les règles gouvernent le mode de production normative du niveau inferieur qui incarne l’effectivité de la constitution entière.

L’autorité effective de la constitution ou le contrôle de la constitutionnalité

Etant «la loi fait écran à la constitution», Le contrôle de l’inobservation de la constitution ne se réalise que par un «juge des lois» qui déclare sa conformité à la constitution. La déclaration de conformité assure, donc, l’effectivité de la constitution.

Une question fondamentale se pose : comment s’assurer que le juge chargé de rendre effective la constitution ne trahit pas celle-ci, en y ajoutant, sous couvert de l’interpréter ? Ce danger de «gouvernement des juges», observe Pierre Mazeaud, est d’autant moins à négliger que le juge constitutionnel est juge de la loi, c’est-à-dire de l’œuvre de la représentation nationale ?

À cette question, le système français ainsi que tunisien apportent un certain nombre de réponses.

D’abord, la Cour constitutionnelle est juge de confrontation directe à la constitution de la loi nouvellement adoptée ou du traité signé et non ratifié.

Ensuite, les autres juges peuvent appliquer la constitution aux actes du niveau inférieur à la loi, pas à la loi elle-même. Le but, selon Mazeaud, «est de respecter l’autorité du juge constitutionnel spécialisé que de protéger le parlement»!

Par ailleurs, l’autorité des décisions de la cour constitutionnelle est absolue. Nulle voie de recours : les dispositions censurées ne seront pas promulguées et n’entreront jamais en vigueur. Celles dont la déclaration de conformité a été assortie des réserves interprétatives devront être appliquées moyennant ces réserves.
Enfin, les cours et tribunaux respectent les décisions de la cour constitutionnelle, c’est «l’autorité de la chose interprétée».

Cela étant dit, aucune «recette», selon le Président Mazeaud, ne garantit contre les incohérences, les abus ou les extravagances d’une cour constitutionnelle. Les seuls remèdes se trouvent en elle : sa retenue spontanée contre l’activisme, son courage contre la pusillanimité, sa compétence contre erreurs, omissions et contradictions, sa constance contre l’imprévisibilité.

«Rien, concluait Mazeaud, n’est jamais acquis en ce domaine. Aussi la question des nominations est elle si importante. Il n’y a pas de système parfait et le système français permet un bon dosage entre juristes et hommes d’expérience, de préférence au sein de la même personne. Mais lourde est la responsabilité des autorités des nominations (président de la république et présidents des assemblées parlementaires) et grande est la sagesse qu’il faut pour designer des sages».

Alors que dire du système tunisien dont le mécanisme est presque le même, mais les procédés seraient différents à cause, d’un côté, de la «nomination élective» par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à la majorité des deux tiers des quatre «sages» et, de l’autre côté du tiraillement politique qui ne cesse de ravager toute la sphère publique y compris celle des sages. ce qui rend les sages, en Tunisie, monnaie rare!

* Avocat à la cour, Zarzis, Medenine.

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