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Bloc-notes : Quel islam pour la Tunisie d’aujourd’hui ?

L’islam de Fadhel Ben Achour et Habib Bourguiba ou celui de Habib-Ellouze et Sadok Chourou ?

Ce qui s’est passé dans un lycée pilote lors d’un examen de physique ne serait qu’anecdotique s’il ne dénote un grave aspect de la dérive en cours dans le pays où la foi religieuse est voulue une religiosité ostentatoire.

Par Farhat Othman *

En effet, non seulement l’islam est abusivement utilisé pour une propagande intégriste, mais il l’est aussi pour la propagation d’une religiosité inconnue de la majorité des Tunisiens, bafouant toutes les valeurs éthiques, y compris et surtout celles dont elle se réclame, les préceptes islamiques. Car la confusion des valeurs ainsi entretenue fait que ces principes ne sont ni lus ni appliqués avec justesse, selon leur esprit et leurs visées.

Confusion des valeurs

De quoi s’agit-il, en un mot ? De cette manière détournée honteusement en vue d’amener les élèves à apprendre le Coran par cœur dans le but utilitaire de grappiller des points supplémentaires dans des devoirs techniques. Quelle belle façon d’encourager les cancres à rivaliser, à bon compte, avec plus doués qu’eux ! Ainsi, connaître moins bien le Coran que la matière scientifique étudiée deviendrait, sinon impardonnable, du moins préjudiciable en valeur intrinsèque de l’élève. Y a-t-il plus grave comme crise des valeurs ?

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Passons sur le niveau déplorable de français du professeur, incapable d’orthographier correctement le mot verset; il est vrai que ce qui l’intéresse semble être la langue du Coran. Notons juste que c’est déjà contraire à l’esprit de l’islam authentique qui exhorte aux savoirs sans nul dogmatisme, stérile forcément.

Arrêtons-nous plutôt sur l’argument excipé par l’enseignant, parfaitement fautif, qui invoque l’interdisciplinarité; il démontre ainsi, de manière évidente, n’y rien comprendre. En effet, si elle suppose l’ouverture aux multiples branches du savoir dans une interdépendance qui fait richesse, l’interdisciplinarité ne suppose point de mélange qui soit de l’ordre de l’appauvrissement. Or, c’est le cas en insérant du Coran dans un exercice de physique. Ç’aurait été un devoir de littérature, de philosophie, de rhétorique ou de civilisation, les versets y auraient trouvé amplement place comme un enrichissement certain, non pas dans un exercice sans rapport avec la nature spirituelle dudit verset. Sauf à prétendre que la scientificité du Coran dépasse le domaine de la démarche logique de ses démonstrations pour s’incarner en science dure; ce que d’aucuns, on le sait, n’hésitent pas à soutenir sans réaliser qu’ils défigurent de la sorte la foi qu’ils croient honorer. On l’a vu avec la farfelue thèse de la terre plate défendue par une doctorante en physique à l’Université de Sfax sous la direction d’un professeur islamiste; ce qui n’est qu’un exemple aberrant parmi tant d’autres.

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Aussi, il nous faut désormais être non seulement conscients d’une telle dérive, mais attentifs aux dégâts qu’elle occasionne dans les esprits, surtout ceux de nos enfants. On sait à quoi vise le geste à condamner de ce professeur : encourager l’apprentissage par cœur, sans même en comprendre le sens, des versets du Coran par l’élève, en vue de lui rapporter de précieux points dans des devoirs où il arriverait ainsi à égalité dans la notation ou même au-dessus de qui lui serait supérieur en termes de connaissances purement techniques.

N’est-ce pas du lavage de cerveau ? Est-ce la mission de l’éducateur ? Bien mieux, relève-t-il de la morale de l’islam de distinguer les gens au vu de critère n’ayant point de rapport avec le mérite, limité qui plus est à la mauvaise habitude d’ânonner des versets appris pour une visée bassement intéressée ? Est-ce un tel islam que nous voulons pour ce pays ?

Islam des droits et des libertés

Alors que les dogmatiques continuent à avancer dans leur œuvre forcée d’imposer au pays une religiosité bafouant sa foi humaniste, sa nature tolérante, les démocrates supposés lutter contre ce péril continuent à leur baliser le terrain avec un dogmatisme outrancier de même veine, à base laïciste. Ils en deviennent même les complices objectifs puisqu’ils se gardent d’user de la seule arme de nature à donner des résultats : l’appel et le rappel à une saine lecture de la religion du pays. Car, en plus, elle est celle qu’impose la prétention générale à un État de droit, même s’il est voulu en réalité n’être qu’un État de similidroit, une sous-démocratie.

Au vrai, de tels supposés modernistes ne se soucient que de leurs intérêts politiciens, usant et abusant de creux slogans, comme ce qui s’est passé en ce 8 mars, journée de célébration de la femme où l’on s’est limité à des actes sans nulle valeur concrète au lieu de hâter le vote du projet de loi sur l’égalité successorale, par exemple. Ce qui est bien clair, c’est que, tout autant que les intégristes religieux, l’on se trompe dans leurs rangs sur l’islam réel de la société; mais eux, en intégristes profanes, se trompent en plus sur la nature psychosociologique du peuple qu’on croit être conservateur alors qu’il est plutôt libertaire, ne donnant que l’apparence du conservatisme par ruse de vivre ou hypocrisie sociale, de peur surtout des lois scélérates et de la violence des minorités dogmatiques pratiquant le terrorisme mental en jeu de potaches.

Or, la meilleure arme efficace, la seule même, est d’oser affirmer la vérité sur l’islam populaire, à savoir qu’il est, dans sa raison pure méconnue mais vivace dans l’inconscient collectif, une foi des droits et des libertés; ne l’oublions donc pas ! Cette arme redoutable est propre à l’islam qui est la seule des trois religions des Écritures saintes à ne pas admettre d’église, faisant du rapport du fidèle avec son créateur une relation directe et exclusive; ce qui ôte toute légitimité à qui prétend parler au nom de Dieu parmi des clercs autoproclamés. Si le musulman se soumet à Dieu, c’est bien qu’il ne se soumet à personne d’autre, surtout pas à ces jurisconsultes illégitimes que sont les cheikhs et les oulémas jouant le rôle de rabbinat et de cléricature dans une religion libertaire, anarchiste même au sens noble de n’accepter nul maître hors Allah.

C’est cette conception de l’islam qui est la plus proche de la foi des masses tunisiennes qui sont, de par leur imaginaire, moins attachées à leur religion en tant que culte que comme une culture ; ce qu’il est à la vérité.

Combien donc de Tunisiens prient-ils véritablement ? Le surcroît enregistré depuis huit ans prie-t-il sincèrement ou juste par ostentation, mimétisme même, et surtout intérêt ? Ne voit-on pas de plus en plus de mises en garde dans les mosquées contre les vols ? Quelle saugrenue piété en ces lieux de culte où l’on vient voler et pas adorer Dieu ! Il est bien temps de revenir à la religion des droits et des libertés, seule foi d’islam!

Islam libéral éthique

C’est à une telle conception éthique de l’islam qu’il importe que les politiques sincères et éthiques osent se référer, n’hésitant pas à bousculer les fausses croyances d’un islam rétrograde, obscurantiste. Aussi, ils ne doivent plus faire le jeu des religieux intégristes, montrant enfin de l’audace à réformer le faux islam actuel, ce fiqh qui correspond à une interprétation obsolète, issue d’un effort humain imparfait, celui de clercs et de jurisconsultes ayant pensé leur religion pour leur temps. Ce fiqh n’est qu’une lecture partielle, devenue partiale, du Coran qui seul doit s’imposer dans une nouvelle exégèse, répudiant l’effort périmé des anciens et réinterprétant ses préceptes au vu de ses visées, en adéquation avec les impératifs du temps présent.

Un tel islam sera ainsi de son époque, un islam postmoderne, la foi des droits et des libertés qu’il était à l’origine. Qui n’en voudra pas à part ses ennemis ? Or, ils ne sont pas qu’extérieurs à la communauté des musulmans; ils sont d’abord en son sein, de parfaits traîtres d’une religion des Lumières qu’ils veulent obscurantiste.

Les ennemis extérieurs sont prêts à rééditer en islam la guerre de religion ayant dévasté la chrétienté, sans parler de l’holocauste martyrisant les juifs. Ils sont souvent des chrétiens et des juifs dont l’inconscient s’est réveillé à la haine ancestrale nourrie à l’égard d’une religion qui n’a pourtant rien fait pour empêcher leur aggiornamento démocratique alors qu’ils font tout pour l’empêcher en terre d’islam.

Les occidentalocentristes entichés d’Occident sont parmi les ennemis de l’intérieur. Ils doivent être attentifs à cet aspect des choses, car on les trompe avec le creux slogan des valeurs universelles, justes bonnes pour l’Occident judéo-chrétien. Surtout que ce dernier s’est allié aux autres ennemis de l’intérieur de l’islam dans le cadre d’une alliance dont le but est la transformation des terres musulmanes en un vaste marché où tout se vend et s’achète, d’abord les valeurs. Cette alliance capitalislamiste sauvage est ce qui s’est passé en Tunisie où, se rappelant les conditions de la naissance du capitalisme fondateur de sa prospérité, l’Occident a renversé un régime qui était pourtant à son service, mais pas assez, pour le remplacer par un régime islamiste tout acquis à ses intérêts. D’où la stratégie d’envoi de mercenaires sur les champs de bataille d’Orient, ces jeunes illuminés trompés sur leur foi; et d’où l’ouverture du pays au néolibéralisme débridé, car strictement limité à l’économie.

Que l’on ne s’y trompe donc pas ! C’est l’Occident qui soutient les religieux intégristes, même s’il continue à user de la rhétorique des droits et des libertés pour tromper, abuser les plus naïfs ou exciter les attitudes contre-productives, telles celles des laïcistes outranciers (pour la cause homosexuelle, par exemple) ou des anti-islamistes manichéens qui heurtent le sentiment populaire consensuel, ne faisant que renforcer les religieux intégristes dans la stratégie affectionnée de victime (tels ces Destouriens de chez Abir Moussi).

C’est bien en usant de l’arme des plus sûrs soutiens de ces ennemis de la patrie et de sa religion qu’on a une chance de les contrecarrer, car ils ne se soucient que de leurs intérêts néolibéraux. D’où l’impératif de noter et rappeler que l’islam de paix qui sied à la Tunisie est un islam libéral, ouvert certes au marché, mais rejetant la sauvagerie excessive du néolibéralisme, exigeant qu’il ne soit pas limité aux seuls aspects économiques et commerciaux, mais étendu aux droits et libertés de la vie privée, ces libertés individuelles qui manquent cruellement en Tunisie, amenant sa jeunesse à basculer dans le rejet d’autrui, la haine de l’autre, l’Occident en tête. Ce qui est contraire pourtant à la nature profonde du Tunisien, nature paisible.

Un tel islam libéral est à instaurer en Tunisie tant qu’il est encore temps; sinon, un changement irrémédiable affectera la psychologie tunisienne qui ne sera plus ce qu’elle a toujours été : ouverte à l’altérité, guère haineuse et belliqueuse. C’est ce qu’elle semble être devenue déjà en apparence; ce n’est toutefois qu’à la surface encore, le fond altruiste et humaniste demeurant intact; faut-il le préserver dans l’intérêt de tous. Et en premier de cet Occident dont la Tunisie ne saurait se passer et vice versa; je dirais même qu’il a plus à perdre qu’à gagner dans le basculement du pays dans l’horreur obscurantiste. On n’en est guère loin ! Il est bien temps de se réveiller et dire halte à ce jeu d’apprenti sorcier intégriste, religieux comme profane, orientaliste comme occidentaliste, de l’intérieur comme de l’extérieur du pays !

* Ancien diplomate et écrivain.

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