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Avec une scène politique inconsistante et très éclatée, où va la jeune démocratie tunisienne ?

Au vu de la qualité (et le mot n’est pas nécessairement péjoratif) de l’offre politique telle qu’elle ressort des listes électorales pour les prochaines législatives, celles-ci risquent d’aboutir à un champ politique éclaté qui rendra hypothétique la constitution d’une majorité gouvernementale.

Par Ridha Kefi

En effet, au-delà du nombre de ces listes déposées auprès de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), des conditions dans lesquelles elles ont été constituées, des critères – souvent clientélistes – ayant présidé au choix des hommes et des femmes les composant et des querelles internes aux partis auxquelles elles ont donné lieu, on peut d’ores et déjà prévoir un certain nombre de scénarios politiques.

D’abord, les électeurs vont avoir beaucoup de mal à y voir clair, les identités politiques des candidats étant souvent floues, les différences ténues et les programmes – s’ils existent – sans intelligibilité ni pertinence pour le commun des mortels : des généralités, des lieux communs et des promesses, dont on imagine qu’ils parleront peu aux électeurs le jour du vote.

Un champ politique très éclaté

Ce vote, on l’imagine aussi, risque de se transformer en une sorte de loterie, de coup de dé ou de coup de poker menteur. Voilà d’ailleurs le mot qui définit le mieux la jeune démocratie tunisienne : mensonge, et tout le champ lexical et sémantique de ce mot : tromperie, duperie, imposture, déguisement, masque, mascarade…

Ensuite, Ennahdha, le parti le mieux structuré et dont l’identité est la mieux affirmée et la base identifiable, stable et, dit-on aussi, disciplinée et votant souvent comme un seul homme, montre lui aussi des fissures et est désormais traversé par des divisions qui risquent de démobiliser une partie de ses électeurs ou de les éparpiller, surtout avec l’apparition de listes issues de la même mouvance islamiste mais en rupture avec la ligne jugée trop consensuelle de Rached Ghannouchi.

Ce parti, qui se taille souvent la part du lion et est souvent crédité de 25 à 30% des suffrages, risque de voir cette part descendre d’un palier et se situer entre 15 et 20%.

Si, en face, la famille dite libérale et progressiste est on ne plus divisée et se présentant sous une dizaine de bannières, se prévalant du même legs national-bourguibiste et chassant dans les mêmes plate-bandes (les classes moyennes supérieures éduquées des grandes cités), on peut prévoir sans risque de se tromper qu’aucune de ces bannières (Nidaa Tounes, Machrou Tounes, Tahya Tounes, Parti destourien libre, Al-Amal, etc.) ne dépassera, au meilleur des cas, le seuil des 10-12% des suffrages.

La gauche, qui ne se porte pas mieux, puisqu’elle se présentera, elle aussi, en rangs dispersés, verra, pour sa part, ses scores descendre au-dessous de la barre fatidique des 5%, et signera ainsi sa mort historique.

Une impossible majorité gouvernementale

Par conséquent, le paysage parlementaire qui sortira des urnes, à la suite des législatives du 6 octobre 2019, rendra très hypothétique la constitution d’une majorité gouvernementale suffisamment cohérente et d’un gouvernement viable et assez fort pour mettre en route les réformes en suspens. Car, dans la conjoncture politique et électorale actuelle, caractérisées par un éparpillement tout azimut, même une coalition Ennahdha – socio-libéraux, comme celles constituées au lendemain des élections de 2011 et 2014, sera très difficile à obtenir.

On imagine l’instabilité gouvernementale à laquelle nous risquons de faire face au cours des 5 prochaines années, qui plus est, dans un contexte régional volatile (crises en Libye et en Algérie) et interne caractérisé par une aggravation de la crise sociale.

Peut-on éviter ce scénario catastrophe ?

L’absence d’une personnalité charismatique de la trempe du défunt président Béji Caïd Essebsi, capable de rassembler la famille dite libérale ou destourienne, sous une même bannière pour peser face à Ennahdha, est un élément aggravant. Et qu’on ne se berce pas d’illusion : ni Abdelkrim Zbidi ni Youssef Chahed ni Mohsen Marzouk ni Salma Elloumi ni a fortiori Abir Moussi n’ont les moyens de jouer ce rôle-là, si tant est qu’ils en auraient la légitimité.

Par ailleurs, un vote soi-disant antisystème ou un vote-sanction, qui renverrait islamistes et libéraux dos-à-dos, ne saurait constituer une solution, car il risque d’affaiblir encore davantage les scores des uns et des autres et de nous offrir un paysage parlementaire monstrueux d’inconsistance et d’incohérence.

Voilà où va la Tunisie. Il ne faut être grand clerc pour comprendre qu’une réaction s’impose de la part des acteurs politiques, toutes tendances confondues, pour examiner les moyens d’éviter un scénario aussi apocalyptique que celui qu’ils nous préparent tous pour l’année prochaine, en raison de leur incapacité à mettre leurs égos entre parenthèses, à oublier leurs petits calculs étriqués et à inventer un possible vivre-ensemble qui restaurerait la confiance, ferait renaître l’espoir et éviterait à l’économie une banqueroute annoncée.

À bons entendeurs…

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