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Sans une réforme du système politique point de salut pour la Tunisie

Ennahdha est attaché au système politique bâtard en place en Tunisie depuis 2014, car il lui permet d’être au cœur de jeu politique, de dominer le parlement, d’isoler le président de la république, de tenir en laisse le gouvernement et, en même temps, de n’être pas responsable de la situation catastrophique prévalant dans le pays et de se permettre même parfois de jouer au parti d’opposition.

Par Ridha Kéfi

Ennahdha a une conception pour le moins bizarre de la gouvernance politique : au nom de la recherche du plus large consensus national possible, le parti islamiste œuvre à mettre ensemble tous les partis, à installer un gouvernement hétéroclite conduit par un Premier ministre faible et isolé, à diluer ainsi les responsabilités pour ne pas avoir à assumer les siennes et, ce faisant, à empêcher la mise en œuvre des réformes importantes (notamment contre la corruption) dont le pays a besoin pour sortir enfin du trou où il se morfond depuis plusieurs années.

Grâce à ce système, qui n’existe dans aucune démocratie digne de ce nom, Ennahdha neutralise la justice et les autres instances de contrôle public, lesquelles laissent traîner les dossiers en cours d’instruction. Ainsi, le parti de Rached Ghannouchi assure l’impunité à ceux parmi ses dirigeants qui traînent des affaires judiciaires, et à tous les barons de la corruption qu’il soudoie et/ou rackette.

Une configuration politique non viable et déstabilisante

Résultat des courses : la poursuite de la descente aux enfers de la Tunisie et des Tunisiens, appauvris au cours des dix dernières années et dont beaucoup regrettent désormais les «belles années» vécues sous Zine El-Abidine Ben Ali, au point d’ailleurs de jeter leur dévolu sur l’héritière de ce dictateur, Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), devenu, selon des derniers sondages, le deuxième parti dans le pays, au coude-à-coude avec Ennahdha.

C’est cette même configuration politique qui a été remise en place au lendemain des élections législatives de 2019 ayant donné naissance au gouvernement Elyès Fakhfakh : une coalition gouvernementale composée d’une cohorte de partis aux idéologies et aux positions aux antipodes les unes des autres, un chef de gouvernement indépendant et sans réelle assise politique, et un parlement éclaté où les majorités se font et se défont presque au gré de chaque vote.

Ce tableau, où on aura du mal à identifier le moindre élément de cohérence, ne peut donner lieu qu’à des querelles permanentes rendant impossible une gouvernance efficace et créant continuellement des malentendus, des contradictions voire des blocages.

Il suffit d’interroger les 3 chefs de gouvernement qui se sont succédé depuis l’adoption de la Constitution de 2014, Habib Essid, Youssef Chahed et Elyès Fakhfakh, sur les énormes difficultés qu’ils ont eu à gouverner et qui les ont empêchés de mettre en route les réformes nécessaires, pour comprendre l’inefficacité de ce système politique dont on n’a pas fini de constater les dégâts.

Un système hypothéquant dangereusement l’avenir du pays

Pour ne rien arranger : l’élection d’un président de la république, Kaïs Saïed, véritable électron libre, sans assise partisane voire hostile aux partis, et dont la popularité dépasse celle de tous les partis réunis, ne contribue pas à la lisibilité de ce système non viable, car il balkanise le pouvoir législatif, empêche l’exécutif de gouverner et fragilise le judiciaire.

Et c’est ce système qui permet au parti le plus important du pays (avec seulement 20% des suffrages exprimés), Ennahdha en l’occurrence, de dominer l’échiquier politique et de continuer à manœuvrer pour faire durer une situation devenue intenable et qui, à terme, va hypothéquer dangereusement l’avenir de ce pays.

On comprend dès lors que des personnalités de premier plan, comme le président Kaïs Saïed, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, le président du parti Machrou Tounes Mohsen Marzouk, ou encore Fadhel Mahfoudh, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats et ex-ministre ministre auprès du chef du gouvernement chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, appellent aujourd’hui à une réforme de ce système dont on ne peut rien attendre de bon pour le pays.

Il reste cependant à faire admettre cette évidence aux principaux artisans de la Constitution de 2014, les islamistes d’Ennahdha en l’occurrence, qui, eux, semblent attachés à ce système bâtard qui leur permet d’être au cœur de jeu politique, de dominer le parlement, d’isoler le président de la république, de tenir en laisse le gouvernement et, en même temps, de n’être pas responsable de la situation catastrophique actuelle dans le pays et de se permettre même parfois de jouer au parti d’opposition. C’est ce rôle qu’endossera ce soir, lundi 8 juin 2020, Rached Ghannouchi, dans son entretien télévisé avec la chaîne Nessma, en partant en guerre contre le gouvernement Elyes Fakhfakh.

Les dindons de la farce ce sont, on l’a compris, les citoyens électeurs qui vont continuer à aller de déconvenue en déconvenue sans voir le bout du tunnel.

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