Une grande partie des Tunisiens en a ras-le-bol de la mandature parlementaire actuelle, une véritable machine à scandales, qui ne fait qu’empirer les crises politique, économique et sociale par lesquelles passe le pays. Ces Tunisiens ne souhaitent pas attendre 2024 pour que les choses changent à travers les élections. Mais comment peut-on dissoudre le Parlement, qui jouit d’une légalité constitutionnelle, sans enfreindre les lois du pays ? Mohamed Abbou pense en avoir la solution.
Par Cherif Ben Younès
Évidemment, le chef de l’État peut recourir à l’article 80 de la constitution, qui lui donne le droit de dissoudre l’Assemblée, notamment, en cas de «péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics».
Difficile d’appliquer l’article 80 de la constitution en l’absence d’une Cour constitutionnelle
Seulement, cet article sera difficile à appliquer dans les règles de l’art en l’absence d’une Cour constitutionnelle, une institution, ô combien importante pour l’application des lois constitutionnelles, que nos chers députés ont en saboté la création depuis 2014.
Dans un long statut Facebook qu’il a écrit mercredi soir, 9 décembre 2020, l’ancien secrétaire général d’Attayar a présenté une «recette» au président de la république, Kaïs Saïed, lui permettant, selon lui, de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), en toute légalité, sans passer par l’article 80 de la constitution.
Pour ce faire, il l’a appelé à suivre les étapes suivantes :
«– Déployer l’armée, à la demande du chef suprême des armées (le président Saïed, ndlr) dans les villes et toutes les zones de production, en tenant les forces de sécurité mobilisées pour maintenir l’ordre, lutter contre la criminalité, et appliquer strictement les lois avec la forte recommandation de respecter les droits et l’intégrité des citoyens, et de ne pas punir ceux qui exercent leurs obligations professionnelles dans le respect des lois et des dispositions ;
«– Appliquer le décret 50 de 1978 en mettant en résidence surveillée les politiciens sérieusement soupçonnés d’être impliqués dans des affaires de corruption, ou faire preuve d’abus de pouvoir pour se protéger, ou d’avoir des liens avec le financement étranger. Ils constituent aujourd’hui une menace pour la stabilité, et le chaos sera leur moyen d’échapper au jugement ;
«– Appeler les présidents des tribunaux judiciaires, les représentants du ministère public et le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour les inviter à trancher sérieusement, et en toute neutralité, dans les affaires de corruption politique. Autrement, les dispositions de l’article 80 de la Constitution et les décrets mis en place en concertation avec le chef du gouvernement seront appliqués après la dissolution du Parlement ;
«– Appeler le CSM et le ministère de la Justice à trancher rapidement dans les dossiers disciplinaires des magistrats et à ouvrir les dossiers qui traînent, en reportant l’examen des revendications financières légitimes des magistrats, par un gouvernement ultérieur qui sera élu ;
«– Appeler le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, à démissionner et le charger d’expédier les affaires courantes (il acceptera pour ce qui suivra) ;
«– Charger une personne de composer un gouvernement, qui soit capable d’appliquer la loi, avec une équipe gouvernementale n’ayant aucune suspicion de corruption et aucun lien avec les centres du pouvoir et les partis. Ce gouvernement n’obtiendra, sans doute, pas la confiance du parlement ;
«– Dissoudre le parlement sur la base des articles 89 et 98 de la Constitution ;
Saïed est-il capable de mener la «révolution» que lui demande Abbou ?
«– Le gouvernement Mechichi poursuivra ses travaux, sans dépendre des partis corrompus et égoïstes. Le pouvoir exécutif exercera son pouvoir avec des décrets-lois décidés par le chef de l’État en concertation avec le chef du gouvernement, conformément à l’article 70 de la Constitution et sous le contrôle de l’opinion publique, des partis, des médias et de la société civile ;
«– Organiser des élections dans un délai ne dépassant pas les 90 jours, dans un environnement de liberté, respectant les exigences de la déocratie, sous le contrôle sécuritaire et judiciaire du financement étranger et de la corruption. L’opinion publique doit en même temps être officiellement informée de la corruption et des fortunes de plusieurs hommes politiques, pour ne pas duper la majorité des électeurs comme en 2014 ;
«– Procéder à une enquête autour des comptes des médias et chercher leurs réels propriétaires. A ces médias de limoger les chroniqueurs représentants de partis et de lobbys par la suite. Un décret-loi sera publié pour organiser la publicité publique et privée dans les médias audio-visuels.»
Les suggestions de Abbou visent clairement à tirer le tapis sous les pieds des deux partis ayant gagné les législatives de 2019, à savoir Ennahdha et Qalb Tounes, dont plusieurs dirigeants font face à de sérieux soupçons de corruption.
Ces suggestions supposent, par ailleurs, essentiellement, que le chef de l’État ait ce qu’il faut, en termes de force de personnalité, pour mener une révolution à presque lui seul. Or, jusqu’à maintenant, à part des menaces vagues et manquant de crédibilité, Saïed n’a absolument rien fait de concret. Autant dire que le pousser à agir aussi fermement n’est pas gagné d’avance.
Abbou prend, également, pour acquis, que certaines conditions, loin d’être garanties, peuvent aisément être satisfaites, parmi lesquelles une coopération entière du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui a, pour rappel, choisi, de son plein gré, de marcher main dans la main avec «les partis corrompus» que l’avocat cherche à combatte.
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