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Tunisie : le pouvoir contre le peuple

Un ballet à trois qui n’amuse plus personne.

Ce qui se passe aujourd’hui en Tunisie est honteux. Rien ne va plus au plus haut sommet de l’Etat. Ceux qui gouvernent nous laissent mourir dans l’indifférence la plus totale. Et depuis quelques jours, avec la recrudescence de la pandémie de la Covid-19, les ratés de la campagne de vaccination qui peine à démarrer et la multiplication des grèves, notamment celle des médecins de la santé publique, nous avons même l’impression que le temps s’est arrêté pour nous et que notre survie même est désormais en jeu.

Par Moncef Kamoun *

Le pays est pris en étau entre la crise sanitaire de la Covid-19 et la crise économique qui s’aggrave ? Comment gérer l’impératif sanitaire et celui de préserver ce qui reste de la paix sociale ?

Si j’ai bien compris, on décide de reléguer la question sanitaire au second plan en raison d’une crise économique et d’une agitation sociale qui pourraient prendre le dessus, surtout que l’équilibre même du foyer tunisien est menacé. On a l’impression aussi que ce qui reste de l’Etat suscite un rejet massif de la population.

Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment avons-nous pu tomber si bas ?

D’abord au Bardo

Du haut de son perchoir au Palais du Bardo, où il s’est installé à l’issue des législatives du 14 novembre 2019, l’indéboulonnable Rached Ghannouchi, 80 ans, président du parti islamiste Ennahdha depuis 40 ans, personnalise, aux yeux de beaucoup de Tunisiens, la corruption du système politique. Certes, il n’est pas le seul à incarner le système, mais cet ancien chef de milice, patron à vie de son parti, tire les ficelles d’une machine de prédation à grande échelle des maigres ressources de l’Etat. Avec lui, on peut évidemment parler de système, d’ailleurs aucun membre de la communauté ne pourra obtenir le moindre poste dans l’administration sans passer par les réseaux manipulés par lui.

Aujourd’hui, et d’après certaines sources, l’empire Ghannouchi pèse des dizaines de millions de dollars !

Ensuite à Carthage

L’homme élu à la présidence de la république, Kaïs Saïed, est pour le moins étrange. Apparemment honnête, et en tout cas il ne traîne pas de casseroles, sa rectitude présumée et son titre de professeur de droit constitutionnel avaient séduit la population lors des dernières présidentielles. Cependant, il a toutes les bonnes apparences, sauf celle d’un homme d’Etat, chef suprême des armées et de la diplomatie.

Aujourd’hui, plus d’un an après son investiture, cet homme sorti de nulle part, arrivé par accident sur les devants de la scène politique, apparaît de plus en plus comme un opportuniste doublé d’un populiste faussement généreux. Il a, en tout cas, le génie de faire le vide autour de lui et de tout bloquer au prétexte de vouloir lutter contre un système gangrené par la corruption.

Enfin à la Kasbah

Hichem Mechichi, un simple commis de l’Etat, inconnu au bataillon, bombardé ministre de l’Intérieur avant d’être désigné, dans des circonstances obscures, par le président de la république pour constituer un gouvernement en dehors des partis politiques. Six mois après son investiture, il décide de faire un important remaniement conformément aux désirs de son nouveau mentor, Rached Ghannouchi, mais Kaïs Saïed refuse de recevoir les nouveaux ministres et, depuis le début du mois de février, un climat de tension s’installe au sommet de l’Etat, chacun des trois têtes restant ferme sur ses positions, sans qu’aucune issue juridique ne soit entrevue pour trancher ce différend. Le chef du gouvernement gouverne donc avec un la moitié d’un gouvernement, dans une atmosphère électrique, l’intérêt individuel de chacun des protagonistes lui commandant de ne pas céder sous peine de perdre la face et d’apparaître faible. Ceci sans parler de la gabegie régnant dans un parlement dont les affaires sont devenues ingérables par le comportement sectaire et irresponsable de son président même.

Dans ce bras-de-fer, c’est, on l’a compris, le pays qui est le grand perdant. Chacun des protagonistes anticipant les réactions de l’autre, évaluant sa propre force par rapport à celle des autres et établissant la balance entre le risque des concessions pouvant être faites et la valeur des gains qu’il en espère, ce sont les intérêts de l’Etat et du pays qui, au final, passent à la trappe.

Dans une telle situation politique, dominée par la haine et le ressentiment, le pays devient carrément ingouvernable et la crise multiforme, aussi bien politique qu’économique, sociale et sanitaire, n’arrange guère les choses.

Que nous reste-t-il, à nous autres simples citoyens d’une improbable démocratie, sinon attendre que ces trois têtes de l’Etat retrouvent leur tête et cherchent un terrain d’entente ? En attendant, le pays peut poursuivre sa descente aux enfers.

Ce parasitisme ne peut plus durer

Nous avons depuis la révolution de 2011 un grand nombre de boîtes noires qu’il va falloir complètement démanteler. Et s’il y a encore des actifs à récupérer, ce sont probablement ceux qu’ont subtilisés les politiciens. C’est donc à eux qu’il faut demander des comptes.

La logique derrière les sanctions qui nous ont été infligées par les bailleurs de fonds est tout à fait claire car un État qui sollicite tout le temps des aides de l’étranger doit s’attendre à ce que ceux qui procurent ces aides lui demandent où va l’argent précédemment donné et comment il est réellement dépensé.

Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment avons-nous pu tomber si bas ? Comment avons-nous pu livrer notre pays à des personnes qui n’ont de cesse de pomper ses rares ressources et de cultiver dans le peuple la paresse et l’inculture ?

C’était mieux avant, disent beaucoup de Tunisiens. Oui, c’était mieux avant, au temps des peurs, des horreurs, et des privations. C’était mieux parce qu’il y avait de la place pour l’espoir, la fraternité et la certitude que demain ce serait mieux.

À ceux d’aujourd’hui, je dis ceci : «Vous voulez que je vous le dise plus haut, vos changements et vos reformes, vous êtes les seuls à y croire et vous ne les vendez plus à personne. Hypocrites, nous ne vous croyons plus et pire que cela, nous ne croyons plus en rien, vous nous avez privés même de l’espérance.»

*M.K. Architecte.

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