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Le cauchemar absolu d’Ennahdha : une carte Saïed-Moussi

Finalement, et au-delà de l’effet d’annonce visiblement recherché par le parti islamiste Ennahdha, la rencontre entre Rached Ghannouchi et Kaïs Saïed, avant-hier, jeudi 24 juin 2021, au Palais de Carthage, après six mois de «guerre froide» opposant les deux hommes et leurs camps politiques respectifs, n’a débouché sur presque rien. En tout cas, ceux et celles qui en attendaient monts et merveilles en ont eu pour leur frais. Cependant, pour Ennahdha, l’enjeu est bien ailleurs…

Par Ridha Kéfi

Hier, les dirigeants d’Ennahdha, à commencer par leur chef, ont continué à souffler le chaud et le froid, c’est-à-dire à alterner les critiques directes ou enveloppées de cette mielleuse langue de bois dont ils ont le secret à l’endroit du président de la république et les propos soporifiques sur la nécessité d’une reprise du dialogue entre les hauts responsables de l’Etat, dans un contexte de crise politique, économique et sanitaire, requérant la conjugaison des efforts de toutes les parties pour redonner espoir aux Tunisiens, et patati et patata…

Kaïs Saïed et le pouvoir de l’ombre

Pour sa part, le président Saïed, que l’on avait un peu vite présenté comme un homme marginalisé qui cherche, à travers la rencontre avec le cheikh des Frères musulmans tunisiens à sortir de son isolement et à reprendre langue avec ses adversaires politiques, s’est empressé de faire diffuser, hier, la vidéo de sa rencontre avec Zouhaier Maghzaoui, secrétaire général du parti Echaâb, un proche de Noureddine Tarboubi, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), où, restant droit dans ses bottes, il a repris la thématique qui lui est chère : pas de dialogue avec les ennemis du peuple, qui pillent ses richesses, avec la complicité de lobbys d’intérêts. «En Tunisie, il y a un pouvoir apparent et un pouvoir de l’ombre», a-t-il martelé, en s’en prenant aux «voleurs qui se transforment en procureurs», dans une allusion limpide à Nabil Karoui, président de Qalb Tounes, principal allié du parti Ennahdha, poursuivi en justice dans des affaires d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent.

Bref, Kaïs Saïed entrouvre la porte devant ses adversaires politiques pour ne pas les faire désespérer totalement de sa disposition au dialogue, mais c’est pour mieux la fermer ensuite à leur nez.

En soufflant ainsi, lui aussi, le chaud et le froid, le chef de l’Etat ne le fait pas comme les dirigeants d’Ennahdha, c’est-à-dire dans le cadre d’une tactique de diversion, mais parce qu’il ne peut pas faire autrement. Il est acculé par les partenaires internationaux de la Tunisie à montrer un visage plus avenant et à dialoguer avec ses adversaires politiques, mais il n’arrive pas à vraiment sourire à ces derniers dont il connaît trop bien toutes les bassesses et dont il n’a pas fini de subir les attaques au-dessous de la ceinture. Chez lui, les principes passent avant tout et il n’est pas question de faire des concessions sur le qu’il considère comme essentiel, à commencer par l’intégrité morale. Cela fait certes sourire ses adversaires, qui déplorent chez lui cette intransigeance imperméable à toute négociation, mais cela mobilise également derrière lui de plus en plus de partisans et semble l’acculer à une posture d’intraitable défenseur de la vertu en politique.

Mais tout cela n’explique pas l’incroyable impatience dont font preuve les dirigeants d’Ennahdha vis-à-vis d’un président qui leur tend sans cesse la main mais pour mieux leur tordre ensuite le bras. Grands manœuvriers devant l’Eternel, mais à court d’idées et portés sur les stratagèmes éculés, ces derniers continuent de faire semblant de croire aux dispositions de Saïed au dialogue et même de poser leurs conditions à un dialogue dont ils sont, au fond d’eux-mêmes, persuadés qu’il n’aura jamais lieu, dans une démarche dont a du mal à comprendre les tenants et les aboutissants.

Ennahdha entre deux feux

En fait, Ghannouchi et ses partisans cherchent désespérément à refaire avec Saïed ce qu’ils ont expérimenté avec feu Béji Caïd Essebsi et Nidaa Tounes, c’est-à-dire qu’ils veulent l’entraîner dans une sorte de consensus mou qui leur permette de gouverner en sous-main, de diluer les responsabilités et de se défausser sur lui et lui faire porter le chapeau de tout ce qui ne marche pas dans le pays, et Dieu sait que rien ne marche dans le pays depuis qu’ils y sont aux commandes, c’est-à-dire depuis 2011. Et cela M. Saïed en est conscient et c’est- ce qui explique son hésitation et sa résistance héroïque aux assauts d’amabilités des Nahdhaouis, dont il a de bonnes raisons de craindre les coups bas qu’ils ne tarderaient pas à lui asséner.

Ghannouchi et ses Frères musulmans ont réussi à mettre dans la poche une bonne partie des dirigeants des partis de centre-droite et de centre gauche, ces opportunistes professionnels toujours prêts à louer leurs services contre quelques postes gouvernementaux et c’est grâce à ces derniers qu’ils contrôlent le parlement et imposent leurs vues au sein du gouvernement conduit par une marionnette appelée Hichem Mechichi, mais ils ne sont pas pour autant rassurés et savent que les rênes du pouvoir peuvent leur échapper à tout moment, tant qu’ils ont contre eux un président de la république élu par plus de 72% des suffrages exprimés et qui, un an et demi après son élection, continue de caracoler en tête des sondages d’opinions, très loin devant tous ses concurrents. Ils savent aussi qu’en cas de grave crise politique et d’élections législatives anticipées – ce qu’un politique qui se respecte ne saurait écarter –, c’est le Parti destourien libre (PDL), la principale formation de l’opposition, qui remportera la majorité des sièges à l’Assemblée.

Par ailleurs, et quand on sait l’hostilité qu’affiche Abir Moussi, la présidente du PDL et de son bloc parlementaire, à l’islam politique en général et au mouvement Ennahdha en particulier, on comprend les craintes des dirigeants nahdhaouis dont le cauchemar absolu serait une carte Saïed-Moussi, certes très improbable, étant donné la haine actuellement vouée par le premier à la seconde, mais on sait qu’en politique bien malin est celui qui pourrait prédire l’avenir.

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