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Tunisie : Les dessous du limogeage du ministre de la Santé

Hichem Mechichi a porté le chapeau de tous ses manquements à Faouzi Mehdi.

Ce qui est arrivé hier, mardi 20 juin 2021, dans certains centres de vaccination et qui a justifié, aux yeux du chef du gouvernement Hichem Mechichi, le limogeage du ministre de la Santé Faouzi Mehdi, présente plusieurs zones d’ombre qui nécessitent quelques mises au point sous formes d’interrogations.

Par Imed Bahri

D’abord ce limogeage était prévisible voire attendu depuis un certain temps. On en a même parlé dans les médias, y compris dans Kapitalis. Les coups fourrés dans le milieu politique tunisien étant souvent téléphonés voire annoncés longtemps à l’avance par les protagonistes à travers leurs faits, gestes et paroles.

La décision était aussi trop opportune et Mechichi n’a pas raté l’occasion, qui était trop belle puisqu’elle lui permettait de se débarrasser d’un membre du gouvernement qui n’avait de loyauté que pour le président de la république Kaïs Saïed, et qui, ces derniers temps, s’était plaint publiquement des obstacles qu’il rencontrait dans l’exercice de ses fonctions de la part d’une administration parfois délibérément peu coopérative.

Un contexte politique délétère

M. Mehdi s’était plaint aussi des mauvaises décisions du gouvernement dans la gestion de la crise sanitaire, qui ont permis au virus Covid-19 d’essaimer dans le pays, faisant peser ainsi une pression intenable sur le système de santé, déjà surchargé et au bord de la rupture. Ce qui a déplu à M. Mechichi, qui n’a pas manqué de le relever dans la réunion avec les cadres du ministère de la Santé, hier soir, pour justifier sa décision de remplacer Faouzi Mehdi par Mohamed Trabelsi, qui assurera l’intérim.

Cette affaire doit aussi être située dans le contexte politique lié aux conflits apparus ces derniers mois au sein du pouvoir exécutif et des bisbilles entre Carthage et la Kasbah, alimentés par le Bardo, où le président de l’Assemblée Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahdha, et ses alliés de Qalb Tounes et d’Al-Karama, se faisaient un honneur de jeter constamment de l’huile sur le feu, en faisant régner un climat malsain de suspicion généralisée et, surtout, d’instabilité politique.

Peut-on croire que Mechichi n’avait pas été informé?

D’un point de vue purement managériale, la décision d’ouvrir les 29 centres de vaccination dans tout le territoire de la république le jour de la fête de l’Aid Al Idha pour vacciner surtout les jeunes à partir de 18 ans, était pour le moins mal pesée car, contre toute attente, cette catégorie réputée réfractaire au vaccin a sauté cette fois sur l’occasion pour répondre en grand nombre à l’appel.

On peut donc reprocher au ministre de la Santé d’avoir pris cette décision à la hâte ou de n’avoir pas mis en place la logistique humaine et technique adéquate pour faire face à un grand afflux des candidats à la vaccination, mais peut-on croire un instant que le chef de gouvernement n’était pas au courant de cette décision annoncée vingt-quatre heures à l’avance? Si c’était le cas, ce serait plus grave encore, car il confirme ainsi un sentiment partagé par tous les Tunisiens qu’il est totalement hors du coup, occupé à gérer sa carrière et à tirer le maximum de profit des privilèges liés à sa fonction, comme l’a montré la fameuse affaire de l’Hasdrubal Gate, éclatée quelques jours plus tôt.

Si M. Méchichi était informé de la décision de M. Mehdi, ce dont nous sommes persuadés, pourquoi n’a-t-il pas agi en conséquence, comme l’y oblige sa fonction, en s’y opposant si nécessaire, ou en prenant les décisions complémentaires nécessaires sur le plan organisationnel et sécuritaire, d’autant qu’il assure (doit-on le lui rappeler?) les fonctions de ministre de l’Intérieur par intérim et que, dans ce cas, il assume l’entière responsabilité, autant que le ministre de la Santé sinon davantage, dans la gabegie constatée dans certains centres vaccination. Dans ce cas aussi, M. Mechichi, s’il était véritablement un homme d’Etat et, surtout, un homme de principe, aurait dû démissionner lui-même et non se défausser très courageusement sur son ministre de la Santé.

Et si c’était une opération de sabotage?

Pour revenir à la gabegie d’hier, des faits pour le moins bizarres ont été relevés par des médecins et des citoyens ayant assisté aux désordres observés dans certains centres de vaccination. On dit bien «certains centres», car dans la majorité des centres les choses se sont déroulées normalement, dans le calme et l’ordre (Sousse, Hammam-Sousse, Mahdia, La Marsa, Jendouba, etc.), comme souvent jusque-là, et beaucoup de gens ont profité de l’occasion pour se faire vacciner. Pourquoi donc la gabegie a-t-elle eu lieu dans certains centres et pas d’autres?

Des médecins et pas des moindres ont parlé, hier, dans des post Facebook, dès l’ouverture des centres, d’actes de sabotage. Ils ont relevé aussi un comportement pour le moins étrange de la part des agents de la sécurité qui, non seulement n’ont pas réagi pour mettre de l’ordre et d’organiser les files d’attente, mais ont au contraire ajouté du désordre au désordre, avant de se retirer et de se tenir loin de la cohue, en observant impassibles ce qui se passait. Ces faits pour le moins bizarres ont été soulignés par beaucoup de citoyens témoins de ces scènes dans des commentaires sur les réseaux sociaux, en pointant du doigt la responsabilité du chef du gouvernement dans ce qui s’est passé.

Ces réserves exprimées, nous n’irons pas jusqu’à dire que M. Mechichi, en sa qualité de ministre de l’Intérieur par intérim, s’est employé à faire capoter l’opération pour trouver un prétexte lui permettant de limoger M. Mehdi, coupable à ses yeux d’une trop grande allégeance au président Saïed, mais ces faits sont suffisamment éloquents pour justifier… sa propre démission, car sa responsabilité dans ce qui s’est passé est largement engagée, et à de nombreux niveaux.

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