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Tunisie : le film «Bhiri» au festival des cons

Le 3 janvier 2022, le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, a donné une conférence de presse consacré à l’assignation à résidence décidée à l’encontre de Noureddine Bhiri, ci-devant dirigeant du parti islamiste Ennahdha, qui fait l’objet de lourds suspicions dans une affaire terroriste remontant à l’époque où il était ministre de la Justice. La communication, qui était la bienvenue, fût néanmoins lamentable sur les plan de la forme et du fond. Explications…

Par Mounir Chebil *

Le ministre a donné l’impression d’avoir été amené par le bout du nez devant les micros et les caméras. Lui a-t-on imposé ce qu’il ressentait comme un calvaire ? Il avait les traits crispé, la gorge sèche, la parole hésitante, le regard fuyant. Même quand il a voulu être ferme, à certains moments de sa conférence de presse, l’élan a semblé lui manquer. Hésitation ou manque d’expérience ? Bhiri serait-il un ogre pour lui faire si peur? Et si ce Goebbels des Frères musulmans tunisiens était présent dans la salle, en face de lui, aurait-il fini par lui demander pardon? Ce soir-là, le ministre de l’Intérieur a voulu incarner la fermeté d’un Etat fort et déterminé à en découdre avec ceux qui l’ont longtemps infiltré et affaibli, mais y est-il arrivé ?

Après l’annonce des mesures exceptionnelles par la président Kaïs Saïed, le 25 juillet dernier, on pensait que tous les dirigeants d’Ennahdha allaient être mis en résidence surveillée, que les activités de leur parti seraient suspendues et ses locaux fermés. Il n’en fut rien. Ce parti lié au terrorisme, responsable de l’assassinat de centaines de civils, de soldats et d’agents de sécurité, est resté impuni. En une décennie de pouvoir, il a pillé le trésor public et mis le pays à genoux, tout en continuant d’afficher une arrogance sans vergogne.

Les islamistes ont toujours pignon sur rue

Après le gel de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qu’ils dominaient et qu’ils instrumentalisaient pour dominer le gouvernement, les Frères musulmans occupent encore la scène politique en Tunisie. Ils essaient même de se faire passer pour des victimes, en s’entourant d’alliés d’autres bords politiques. Ils s’érigent défenseurs de la démocratie et des libertés et gagnent des sympathies auprès de leurs suzerains occidentaux qui ne semblent pas se décider à les lâcher. Les médias se font l’écho de leur propagande et les mêmes oiseaux de mauvais augure nous sont imposés sur les plateaux TV.

Pourtant, ceux qui ont supporté héroïquement pendant des heures la canicule du 25 juillet croyaient naïvement que Kaïs Saïed allait éradiquer le cancer intégriste qui a mis à mal le système immunitaire du pays. Or, il n’a jamais dénoncé leur idéologie rétrograde ni leurs liens avérés avec les réseaux terroristes aux plans national et international. Pour lui, ce ne sont pas des islamo-fascistes portés sur la violence et le terrorisme, ni des salafistes œuvrant pour instaurer une société des plus rétrogrades, quitte à s’allier avec le diable pour atteindre leur but. Ce sont juste de mauvais gestionnaires qui, comme tant d’autres, ont trempé dans des affaires louches.

Il faut se rendre à l’évidence, M. Saïed n’a jamais attaqué les Frères musulmans de front. Il n’a jamais prononcé le nom de Rached Ghannouchi ou de son parti comme étant les principaux ennemis de notre pays. Leurs liens suspects avec le Qatar et la Turquie, et avec l’internationale des Frères musulmans qui les financent sont passés sous silence par le président Saïed qui ne veut visiblement pas gêner ses amis Qataris et Turcs. Peut-être en attend-il une hypothétique aumône. Recep Tayyip Erdogan a exprimé, récemment, son total soutien à Kaïs Saïed qui a, tout compte fait et malgré ses incessantes gesticulations médiatiques, épargné ses Frères musulmans.

On comprend donc que Taoufik Charfeddine se garde de déclarer ouvertement la guerre aux commanditaires du terrorisme en Tunisie, puisque son raïs semble vouloir les épargner. Par peur ou par calcul politique, en lorgnant leurs électeurs, ceux-là mêmes qui lui ont offert le palais de Carthage sur un plateau en 2019.

Un lancinant sentiment d’inachevé

Ouf ! Dès que la séance de torture fût terminée, le ministre de l’Intérieur prit la poudre d’escampette, sans aigner répondre aux questions des journalistes présents, dès fois où ils lui poseraient des questions dérangeantes.

Est-ce pour remédier au lancinant sentiment d’inachevé laissé par la prestation de son ministre que le président de la république a cru bon faire une mise au point au ton martial, le 6 janvier, sur ce qui est désormais appelé «l’affaire Bhiri».

La résidence surveillée imposée à l’ancien ministre de la Justice entre dans le cadre des prérogatives de la puissance publique. Le ministre de l’Intérieur est en droit de prendre cette mesure sur la base du décret de 1978. Il peut se contenter de la motiver par des raisons d’ordre public, sans les préciser. Cette mesure est, cependant, susceptible de recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif, et c’est au juge de trancher sur la validité de cet acte administratif.

Ni le ministre de l’Intérieur ni le président de la république n’avaient à justifier cette décision. Pour le cas de Bhiri, l’Ordre des avocats et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme peuvent vérifier les conditions de sa détention et attirer l’attention des autorités en cas de manquements à ce niveau, sans que le ministre ou son patron aient à prouver le respect des formes de cette mise en détention provisoire.

Or, même si le général et son lieutenant «trempaient leurs doigts dans l’or», comme le dit notre proverbe, les islamistes et leurs métayers seraient sourds à tout ce qu’ils pourraient dire. Car leur but est de crier au scandale et de provoquer une mobilisation qui les réhabiliterait aux yeux de la communauté nationale, celle internationale étant déjà acquise à leur cause.

On peut déplorer dans ce contexte que le ministre de l’Intérieur ait donné les moyens à ses détracteurs pour mettre en cause sa décision de mise en résidence surveillée de Bhiri. Motiver cette décision par le retard pris par le juge dans l’instruction de l’affaire où il serait impliqué pour falsification de passeport et de certificat de nationalité, ne peut, en effet, convaincre ni le juge ni le commun des mortels. Au moment de son arrestation, l’homme ne présentait aucune menace à l’ordre public. Si c’était le cas, on aurait dû nous en donner les preuves.

Qui s’occupe des légumes, des œufs et de la baguette ?

En se rabattant sur les retards supposés dans l’instruction de cette affaire, le ministre de l’Intérieur a donné l’impression d’emboîter le pas à son patron, et d’utiliser l’affaire Bhiri comme un prétexte pour jeter en pâture un corps judiciaire rebelle à toute ingérence de l’exécutif et aux ambitions absolutistes de son chef.

Cette affaire Bhiri me rappelle celle du criminel qui a tué une vieille dame et volé sa poule, mais que seul le vol de la poule fût retenu contre lui.

Voilà une affaire de plus pour détourner l’attention du peuple de sa condition qui se dégrade de jour en jour, sans aucun espoir de la voir s’améliorer.

Voilà un subterfuge de plus pour détourner l’attention sur le plébiscite numérique du nouveau calife, avec la bénédiction de Ridha Mekki alis Ridha Lénine et de Nizar Chaari, les Omar Ibn El-Khattab et Abou ‘Obeïda Ibn El Jarrah du prophète des temps modernes qu’est Kaïs Saïed.

Le 6 janvier, alors que Saïed s’en prenait à Bhiri et à son épouse au conseil des ministres, le citoyen avait la tête ailleurs : à la la hausse des prix des légumes, au début de pénurie d’oeufs et à la baguette de pain vendue à 250 millimes au lieu du prix légal de 190 millimes.

* Haut cadre de la fonction publique à la retraite.

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