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Terrorisme: Le risque pour les touristes en Tunisie n’est pas plus grand

Attentats-26-juin-2015

Paradoxalement, le tourisme n’est pas le secteur le plus vulnérable au terrorisme. La tendance terroriste s’orienterait plutôt vers d’autres industries…  

Par Steve Johnson*

En l’espace de 3 mois, la Tunisie a été secouée par 2 attaques terroristes qui ont pris pour cible son industrie touristique et tué 60 visiteurs étrangers. Cependant, selon The Risk Advisory Group (TRAG), un cabinet international de conseil en gestion des risques spécialisé dans l’optimisation de la gestion des risques, basé au Royaume-Uni, il n’y aurait pas beaucoup plus à craindre pour la sécurité des touristes étrangers.

Les attentats du musée du Bardo et de l’hôtel Imperial Marhaba à Sousse, les 18 mars et 26 juin derniers, ne pouvaient que raviver les douloureux souvenirs de la série d’attaques terroristes souffertes par l’Egypte en 2005 et 2006. La peur s’est vite répandue que l’islamisme radical marquait, là, des points imparables: il touchait l’industrie du tourisme, un secteur névralgique de l’économie, il déstabilisait l’Etat et l’ordre dans le pays et il adressait un message direct à l’Occident sur ce qui l’attend…

Affaiblir un gouvernement en s’en prenant au tourisme

«Les raisons qui poussent les terroristes à prendre les touristes pour cible sont claires», déclare Henry Wilkinson, chef du département Renseignement et analyse à la TRAG. «Les touristes sont des personnes extrêmement sensibles à cette question d’insécurité. Un petit peu à l’image des marchés boursiers, les touristes ont une tendance prononcée à réagir excessivement. C’est bien simple, lorsque les gens partent en vacances, ils peuvent choisir là où ils vont», explique M. Wilkinson, qui établit une comparaison avec «l’industrie du pétrole et du gaz, elle qui est contrainte de se diriger vers les régions où les réserves de ces matières premières se trouvent – quel que soit le niveau du risque pris à opérer sur pareils terrains.»

Pour l’expert de la TRAG, la conclusion est évidente: «Dans le cas où le tourisme est le pilier de l’économie d’un pays, vous pouvez assez facilement porter atteinte au gouvernement de ce pays et l’affaiblir, en vous attaquant à son industrie touristique. Vous pouvez nuire à l’économie du pays, faire perdre des emplois à la population, générer un sentiment de frustration et miner la légitimité du gouvernement en place. L’objectif d’un acte terroriste est de provoquer le pouvoir en place et le déstabiliser

De plus, une attaque contre des étrangers offre l’indéniable «avantage» d’une vaste couverture médiatique internationale et sert ainsi l’agenda des terroristes qui sont à la recherche de la plus large publicité possible.

Avant même les attentats du Bardo et de Sousse, il y avait des signes évidents que les appréhensions sécuritaires étaient un facteur déterminant dans le choix de la destination que font les touristes.

Le Maroc, par exemple, où 17 personnes, pour la plupart étrangères, ont trouvé la mort à Marrakech en 2011, a enregistré une baisse de 5,6% en recettes touristiques cette année-là, selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WTTC, en anglais). Le Kenya, une autre victime africaine du terrorisme, a subi des pertes de revenus de 9,4% en 2014, suite aux attaques terroristes.

En Europe, par contre, des pays comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal ont tous enregistré des croissances fortes de leurs revenus touristiques.

Les terroristes opèrent plutôt sur d’autres terrains

Les données semblent indiquer que les terroristes n’ont pas intensifié leurs attaques contre l’industrie du tourisme, ces dernières années.

Les chiffres de TRAG suggèrent que la tendance des attaques contre le secteur du tourisme a été très stable depuis 2007, et plus particulièrement depuis 2011, année où le nombre annuel avait oscillé entre 28 et 32. Pour l’année courante, le compte en était à 17 jusqu’au 4 août et il équivaudrait un nombre annuel de 29.

Globalement, la banque de données de la TRAG a enregistré 297 attaques terroristes contre des intérêts commerciaux (plutôt que contre des services de sécurité, tels que des commissariats de police ou des casernes) durant l’année se terminant au début du mois d’août, et la majorité de ces opérations terroristes auront eu lieu dans des marchés émergents.

L’année 2015 s’achemine vers un record d’environ 500 attaques contre des intérêts commerciaux, en hausse par rapport aux 443 attaques de 2014, mais en baisse en comparaison avec les 5 années précédentes.

Le commerce du détail est l’activité économique la plus atteinte, du fait très probablement de l’omniprésence de ce secteur et sa nature de cible très vulnérable. Plusieurs de ces attaques ont lieu dans des marchés en plein air, selon M. Wilkinson.

Cependant, alors qu’en 2014 les attaques contre les commerces de détail ont atteint 45,8% du nombre total des attaques, en 2015, jusqu’à présent, elles n’atteignent que la proportion de 28,9%.

Si tant est qu’il existe des schémas généraux à dégager de toutes ces données, il semble bien qu’il y ait une tendance vers l’attaque terroriste contre les infrastructures.

Pétrole et gaz, 2e sur la liste des cibles terroristes

Les 67 attentats contre les industries électriques, des télécommunications et des services publics, jusqu’ici en 2015, pourrait indiquer qu’il s’agirait de la pire année pour ces installations vitales, depuis 2007. Les réseaux électriques ont été les plus touchés par ces attaques terroristes, avec 37 attentats jusqu’à début d’août, c’est-à-dire plus qu’aucune autre année récente – à l’exception de 2010, avec ses 39 opérations terroristes contre les installations pétrolières et gazières.

Les industries du pétrole et du gaz sont les 2èmes dans le point de mire des attentats terroristes, avec une proportion de 20% des attaques, cette année –plus que d’habitude.

«Dans certaines régions, les industries pétrolières et gazières et les infrastructures énergétiques (centrales électriques, pylônes et les lignes électriques) viennent en second ou troisième lieu du classement des attaques terroristes», selon Jonathan Wood, sous-directeur auprès du cabinet international Control Risks. L’expert en analyse du risque explique que ces installations sont des cibles indiquées pour le jihadisme transnational car elles sont cruciales à la fois aux gouvernements en place et aux intérêts étrangers. (…) «Les coupures d’électricité et les interruptions de courant restent les meilleures armes pour ébranler un gouvernement et le délégitimer auprès des populations», ajoute Jonathan Wood.
Contrairement aux impressions que l’on pourrait avoir, Henry Wilkinson soutient qu’«en termes nets, le monde est plus sûr que ce qu’il n’était.» Durant les 2 dernières années, la TRAG a «rétrogradé» plus de pays qu’elle n’en a «promus» dans son classement des risques de violence politique: 21 «rétrogradations» contre 13 «promotions», pour 2015.

Cependant, cette amélioration ne devrait pas cacher cette nouvelle réalité que, dans les pays les moins sûrs, la situation est en train de se détériorée encore plus, créant ainsi un monde de plus en plus polarisé.

M. Wilkinson conclut: «Il y a un écart de plus en plus important entre les pays qui sont capables de faire face et de gérer avec succès ces risques et ceux qui ne sont pas capables de le faire, c’est-à-dire ceux qui sont incapables de résoudre leurs problèmes et de les contenir à l’intérieur de leurs frontières.»

Traduit de l’anglais par Moncef Dhambri

Source: ‘‘The Financial Times’’.

*Steve Johnson a publié 9 livres qui portent généralement sur les intersections des sciences, des technologies et l’expérience personnelle. Il a été le créateur de nombreux sites web, notamment le très célèbre FEED. Il est également contributeur régulier aux ‘‘New York Times’’, ‘‘The Wall Street Journal’’ et ‘‘The Financial Times’’.

**Les titre et intertitres de cette tribune sont de la rédaction.

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